Avec cette église, on peut dire qu'on ne sait plus à quel saint se vouer. Actuellement, et les différentes sources concordent, l'église de Brageac est placée sous le vocable de Saint-Thibaud, le culte de ce saint, abbé de l'abbaye des Vaux-de-Cernay, mort en 1247, ne remonte qu'au milieu du XIIIe siècle, mais c'est sous ce vocable qu'elle a été classée aux Monuments Historiques en 1862.
Elle est également placée sous le double vocable des saints guérisseurs, Saint-Damien, patron des chirurgiens et Saint-Côme, patron des pharmaciens. En effet vers l'an 1100, Guy et Raoul de Scorailles rapportèrent de croisade les chefs des deux saints, dans la foulée, l'église abbatiale édifiée entre 1151 et 1174 par Matfred de Scorailles, doyen du monastère Saint-Pierre de Mauriac sur l'emplacement de l'ermitage de Saint-Till (voir ci-dessous « Entre légende et réalité") est devenue un haut lieu pour les grands médecins français. La fondation du monastère bénédictin de filles nobles de Brageac leur est également attribuée. Enfin, il semble que l'église fut également placée sous le vocable de Notre-Dame de l'Assomption.
Entre légende et réalité (source : Dictionnaire statistique du Cantal, Brageac) :
« Vers l'an 635, sous le règne de Dagobert Ier, le sort des armes fit tomber entre les mains des Francs un noble Saxon, nommé Tillo. Dans la foule des captifs que la charité de saint Eloi le portait à racheter, il distingua le jeune Saxon, et, après l'avoir affranchi en présence du roi, il le reçut dans sa maison, le traita comme un frère et le fit initier, sous ses yeux, aux mystères sacrés du christianisme.Tillo mit à profit les pieuses leçons qu'il recevait; ses talents se développaient en même temps qu'il s'avançait dans la pratique des vertus chrétiennes. Bientôt son bienfaiteur lui ouvrit les portes du monastère de Solignac qu'il avait fondé en Limousin. Tillo y demeura quelque temps, et en sortit pour remplir une mission qu'Eloi lui avait donnée …
Après avoir employé une partie de sa jeunesse aux travaux pénibles de l'apostolat, et avoir laissé dans la Belgique des souvenirs durables de sa sainteté. (Il est connu, en Belgique, sous le nom Thilmans ... Il rentra à Solignac. Mais l'austérité de la vie monastique n'étant pas suffisante pour satisfaire son extrême ferveur, il résolut de se retirer dans la solitude pour y mener la vie érémitique. C'est dans la partie occidentale de l’Auvergne, à une lieue de Mauriac, dans les gorges désertes de la vallée d'Auze, qu'il vint planter la croix et fonder sa cellule … On visite encore avec un pieux respect les vestiges de la cellule du noble Saxon. Bâtie en pierre sèche, adossée contre la roche, elle a la forme d'un bâtiment carré, dont chaque côté n'a que deux mètres environ de longueur, elle était un peu creusée dans la roche, et on y descendait par deux ou trois degrés qui existent encore ».
Dès l'origine, l'église et le monastère furent réunis par un couloir, puis le zèle révolutionnaire fit son œuvre. Après plus de dix siècles d'existence, après s'être fait confisquer ses biens, l'abbaye est revendue le 23 août 1796 à la famille Mazar qui en est toujours propriétaire.
Marcel MAZAR (1926-2009) dont la famille possède ce qu'il reste de l'abbaye depuis sa mise en vente au moment de la révolution fut un brillant élève de l'école du Louvre. Il se retira à Brageac en 1968 afin d'enseigner son art, il est l'auteur de nombreux dessins et croquis de son village natal dont celui que nous vous présentons ci-dessous.
Dès 1847, un constat s'imposait, l'église était en très mauvais état, une importante restauration (voûte, clocher, colonnes) s'imposait et fut entreprise en 1863 dès que l'église fut classée aux Monuments Historiques sur la liste de 1862. Elle en fut conséquemment modifiée, le nombre de travées étant, par exemple, ramené de 4 à 3. Le portail actuel date de cette période. Bien que de dimensions raisonnables (24 m de long sur 12 de large), l'édifice en impose, sans doute est-ce dû à la présence des 6 piliers massifs entourés de colonnes qui conduisent au transept sous coupole au-dessus duquel s'élève le clocher. Datée de 1466, l'une des trois cloches de Brageac, en l'occurence la plus petite, est également la plus ancienne du Cantal.
Ornementation intérieure
De part et d'autre de l'abside, sont accolées deux absidioles, celle de gauche abrite, dans une châsse de verre, les reliques de Saint-Côme et Saint-Damien, rapportées des croisades par Guy et Raoul de Scorailles, celle de droite une vierge à l'enfant en bois doré.
Les jours de leur fête, les reliques des chefs de Saint-Côme et de Saint-Damien sont mis dans leur buste-reliquaire respectif dont le sommet du crâne s'ouvre à cet effet.
En hauteur, dans le choeur de l'église, aux côtés de buste de St-Côme et St-Damien, on notera la présence des bustes-reliquaires de St-Fabien et St-Damien, tous deux inscrits au titre des objets historiques depuis le 14 octobre 1975, "Saint Sébastien est coiffé d'une abondante chevelure et porte une barbe et une moustache frisées et saint Fabien est représenté avec un visage plus jeune et une barbe très courte". Les deux sculptures en bois polychrome mesurent 46 cm et sont datés du XVIIe.
Oeuvre de Jean Ribes (1849-1919) sculptueur sur bois comme sur pierre, la chaire en bois a été démontée et remisée, mais on peut encore en admirer la coiffe exposée à gauche de la porte d'entrée de l'église ainsi que le pied d'origine près du choeur.
D'autres sculptures en bois, probablement du XVIIe, sont réparties de part et d'autres des murs des collatéraux, on reconnaît ainsi Jésus, Saint-Thibaud, Saint-François d'Assises ou encore Saint-Gervais.
La richesse de l'église de Brageac réside également dans ses sculptures, en effet, les chapiteaux sont ornés des nombreux motifs traditionnels (feuillages, animaux, personnages) mais les bases le sont également avec leurs motifs entrelacés aux formes toujours renouvelées. On compte plus d'une centaine de décors sculptés sur les colonnes et colonnettes de l'édifice.
Enfin, il faut évoquer le trésor de Brageac fort intelligemment présenté dans une vitrine sécurisée et installée à la hauteur des yeux. On trouve là une dizaine d'objets précieux et souvent classés au titre des objets aussi divers qu'une croix reliquaire, un coffret reliquaire, une bourse brodée dite de Saint-Till, le reliquaire de Saint-Fabien et Saint-Sébastien, un reliquaire à tourelle, une custode en argent, un calice en étain et des plats de service.
Décoration extérieure
Passée la déception du portail du XIXe sans le moindre charme, on s'empressera de faire le tour de l'église, de lever la tête vers les modillons ou encore d'admirer les fenêtres à colonnettes (type limousin) richement décorées de sculptures toutes différentes (chapiteaux et bases). La vue sur la vallée de l'Auze est également superbe.
De nombreuses pierres du chevet présentent la particularité de porter la « griffe » des maçons qui les ont façonnées, une manière pour eux de prouver le travail réellement fourni en des temps où l'on n'était payé qu'à la tâche.
La vie de l'église de nos jours
De nos jours où l'on compte parfois un unique prêtre pour 40 paroisses, la messe n'est plus guère célébrée à Brageac et pourtant, grâce à l'association de Brageac pour Saint-Côme et Saint-Damien, la commune revit au rythme de plusieurs événements, rencontres médicales, concerts, exposition, journée du Patrimoine.
"De 1955 à 1994, plusieurs médecins et pharmaciens du nord-Cantal organisaient régulièrement une journée d’éthique médicale dans la petite église romane de Brageac sous l’égide de saint Côme et saint Damien, patrons des médecins. Les organisateurs avaient eu le privilège d’y accueillir le professeur Cabrol, le pionnier de la greffe du cardiaque". (Source : La Montagne, Cantal du 3 septembre 2019).
Après un interruption de 25 ans, la journée d'éthique médicale s'est à nouveau tenue dans l'église de Brageac en 2019 sous l'mpulsion du professeur Jean-François Delfraissy, originaire de Loupiac (Pleaux) et d'un comité d'organisation composé de médecins et des membres de l'association de Brageac pour Saint-Côme et Saint-Damien.
D'autres projets sont portés par l'association tels que l'organisation de concert avec l'illumination intérieure et extérieure aux bougies de l'église romane Saint-Thibaud de Brageac dans le cadre de la « Nuit des Églises », des visites commentées lors des Journées du Patrimoine ou encore des expositions autour de l'oeuvre de Marcel Mazar (1925-2009), peintre et poète, venu s'installer dans la maison familiale de Brageac de 1968 à son décès en 2009..
Aux beaux jours, l'église est ouverte et en accès libre pour les curieux et autres amoureux de l'art roman.
Enfin, je ne peux terminer sans évoquer cette chance qui souvent m'accompagne lors de mes pérégrinations cantaliennes puisque le jour de mon passage à Brageac, j'ai croisé le chemin de M. Bruno Gibaru, président de l'Association de Brageac pour Saint-Côme et Saint-Damien qui m'a très aimablement fait partager une partie de ses connaissances sur cette magnifique église, bref j'ai eu droit à une visite guidée pour moi seule, ce dont je le remercie du fond du coeur. La malchance n'était pourtant pas loin, puisqu'à cause d'une serrure récalcitrante, je n'ai pas pu voir de près la plus vieille cloche du Cantal. Qui sait ? Ce n'est peut-être que partie remise.
On ne saurait quitter l'église de Brageac sans évoquer Antoine Lescure, l'enfant du pays, fondateur de SEB, acronyme pour Société d'Emboutissage de Bourgogne.
DTF, mise à jour juillet 2024
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