A Cassaniouze, dans le sud Cantal, en plein coeur de la Châtaigneraie, le promeneur un peu curieux ne manquera pas de s’étonner devant le clocher de l’église Notre-Dame de la Purification qui semble purement et simplement déporté sur la droite de l’édifice. Il y a bien sûr une bonne raison à cela que nous allons voir en détail ci-dessous.
Comme « à côté » de l’église
L’église précédente, particulièrement vétuste, menaçait de s’effondrer, l’actuelle est une construction récente (1906) dont les plans ont été réalisés par l’architecte aurillacois Casimir Croizet. En 1839, les murs extérieurs du clocher ont été crépis puis laissés en pierre apparente lors de la rénovation de 1990. Il est ainsi impossible de distinguer les bases romanes de la partie haute bien plus tardive. Quoiqu’il en soit, le clocher étant en relatif bon état au moment de la reconstruction de 1906, il fut conservé, il est inscrit aux Monuments historiques par arrêté du 12 février 2002. S’il semble aujourd’hui placé « à côté » de l’église, c’est parce que la nouvelle fut bâtie à la gauche de ce dernier afin d’élargir la place du village.
On devine déjà que le plus intéressant se trouve dans cette partie basse et romane du clocher qui abrite le chœur de l’ancienne église, devenu chapelle de la nouvelle placée sous le vocable de Sainte-Croix.
La chapelle Sainte-Croix
Deux travées et deux croisées d’ogives, terminées en culots sculptés, forment le chœur et l’abside cette chapelle. Le chevet est percé de deux baies très étroites surmontées d’un oculus.
Peintures murales
D’importants travaux qui se sont étalés sur deux ans (2002-2003) ont permis de mettre à jour un magnifique ensemble de peintures murales. Le décor baroque aux voûtes et aux parties supérieures des murs a été soigneusement restauré par M. Vladimir Halalau, restaurateur en peintures murales.
Croix processionnelle dite Sainte-Croix
Depuis 2003, le mur est de l’abside abrite une niche fermée et sécurissée qui met en scène (lumière et mouvement) une croix classée au titre d’objet d’art depuis le 30 juin 1908. Cette croix, œuvre d’un atelier aurillacois du XVe siècle (poinçon) mesure 79 cm de haut pour 45 cm de large, elle est décrite en ces termes dans la fiche de la plateforme du patrimoine (base Palissy) :
« Montant et traverse en bois, revêtu de feuilles d'argent estampées et clouées ; cabochons de quartz de diverses couleur, de jais, de verre ; traces d'émail champlevé translucide, alternativement rouge et bleu, sur les quintefeuilles des boutons du noeud ; lobes ornés de boules métalliques formées de deux hémisphères soudés ; Christ repoussé en plusieurs éléments ; Vierge et saint Jean soudés, le reste cloué ; quatre clochettes suspendues à la traverse ».
C’est donc une œuvre d’art régulièrement présentées dans des expositions nationales d’art et d’orfèvrerie que l’on peut voir ici.
Selon une version elle aurait appartenu à l'ermitage du Don situé dans la profonde et sauvage vallée de l'Auze. Mais au XIIIème siècle, l'église de Cassaniouze était un prieuré qui appartenait à l'abbaye de Saint Géraud d'Aurillac, il est donc plus vraisemblable que, provenant d'un atelier d'orfèvrerie d'Aurillac, la croix soit un cadeau des moines de Saint Géraud à leur prieuré.
Pour la protéger du vandalisme de la Révolution, elle a été cachée dans une grotte des rochers de Servant, dans les travers situés au dessus des gorges du Don. C'est là qu'une bergère gardant son troupeau l'a trouvée en 1830, enveloppée dans un tablier de ferme, d'où son appellation de "Croix de Servant".
On peut découvrir ce lieu au cours de la randonnée La Dame du Castel d'Auze au départ du hameau de Servant près de Cassaniouze ou du village de Sénezergues.
Elle a été restituée à la paroisse et elle était exposée et vénérée chaque année dans l'église, le jour de la fête patronale de la Ste Croix. Depuis 2003 date de la fin de la restauration du choeur de l'église primitive, elle est mise en valeur en ce lieu, sous bonne garde, dans une niche.
Elle a été exposée lors de plusieurs expositions nationales d'objets d'art et d'orfèvrerie à Paris en 1965 au musée des arts décoratifs et en 1992 au musée du Luxembourg où elle fut particulièrement remarquée par les connaisseurs.
En appuyant sur un bouton située à la gauche de la niche, la lumière s’allume et la croix se met à tourner lentement sur elle-même permettant d’observer le travail de l’orfèvre ainsi que la richesse des représentations bibliques qui occupent quasiment tout l’espace de l’objet.
Dans son ouvrage Les églises romanes de la Haute-Auvergne, paru en 1902, Adolphe De Chalves de Rochemonteix décrit avec précision les éléments figurant sur la croix :
"Sur la face principale le Christ, en ronde bosse, est exécuté d'une façon remarquable. Trois clous le retiennent à la croix. Les pieds chevauchent, supportés par un chevalet carré : la tête couronnée d'épines est surmontée du nimbe crucifère, les bras étendus, rigides, le périzonion noué sur le côté droit. A l'extrémité supérieure du fût, dans un quatre-feuilles est un pélican, les ailes mi-éployées ; aux deux extrémités des bras de la croix, dans un motif trilobé la Vierge et saint Jean; dans le médaillon du bas, au-dessus de la douille décorée de flammes et de motifs sertis remplis d'un émail translucide alternativement bleu et rouge, une Pietà est adossée à trois croix dont deux en forme de tau.
Le Christ ; les médaillons renfermant le pélican et la Pièta ; la Vierge et saint Jean sont dorés. Sur les montants, au milieu de gracieux motifs, des verroteries de couleurs verte, jaune, blanche et rouge enrichissent et décorent l'ensemble. Des renflements placés en avant des médaillons rappellent la facture spéciale aux croix de Conques.
Au revers, et au centre apparaît Dieu le Père assis sous un dais gothique, tenant le monde d'une main et bénissant de l'autre. Aux quatre angles, dans des médaillons tous également quadrifoliés, les attributs des évangélistes portant des banderolles avec leurs noms en exergue : l'Aigle : S. IOHANNES ; le Lion, S. MARCVS ; le Boeuf, S. LVCAS; et l'Ange, S. MATEVS. Ces attributs sont dorés. Les mêmes motifs décorent l'envers et la face qui sont traités avec le même soin.
Au bas des bras de la croix sont appendues deux clochettes destinées à appeler l'attention des fidèles et à commander le recueillement au moment où passe la procession."
Les « enfarinés » de Cassaniouze
Un autre pan de l’histoire locale est également évoqué dans la chapelle de la Sainte-Croix, une niche contenant un reliquaire ressemblant les souvenirs des « Enfarinés » de Cassaniouze, mouvement de sécessionnistes né dans le nord Aveyron et le sud Cantal à la signature du Concordat entre Bonaparte et le pape Pie VII en 1801. Ils se coupèrent du Clergé, eurent leurs propres prêtres. La dernière famille qui vivaient à Cassaniouze fit soumission à l’Evêque de Saint-Four en 1911.
En guise de conclusion, si vos pas vous mènent du côté de Cassaniouze, ne manquez pas d'y faire halte pour admirer cette étonnante chapelle, l'ancien choeur de l'église romane primitive, coiffée de son clocher qui semble la protéger du temps qui passe.
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