Lorsqu’en 1921, René Fage, historien, archéologue, folkloriste et avocat (Tulle 1848 - Neuilly-sur-Seine 1929), a publié le fruit de ses recherches sous le titre Les clochers-murs de la France dans le Bulletin Monumental, il estimait à 1600 le nombre de clochers-murs pour l’ensemble de la France et à 50 pour le Cantal. En ce début de XXIe siècle, l’encyclopédie libre Wikipedia en liste 42 pour le seul Cantal. Ces chiffres sont peut-être approximatifs mais ils ont le mérite de donner une estimation qui permet d’évaluer la fréquence de ce type architectural.
A propos de l'église de Girgols, voici les précisions apportées par M. Maurice Degoul sur la page Facebook de Cantalpassion : "sur la photo c’est l’église de Girgols. Au XIXe siècle son clocher à peigne a été déplacé à l’ouest sur deux piliers contreforts venus renforcer le pignon comme l’illustre la photo. Refait une première fois, en 1843 , avec trois arcatures, il n’offre désormais que deux ouïes. Le clocher originel qui s’élevait à l’est sur l’arc triomphal, séparant le chœur de la nef, en avait quatre. L’an I, soit l’année 1792, moment clé de la constitution civile du Clergé, témoigne encore d’un peigne à quatre arcatures et l’on dit aussi qu’on fondit l’une de ses quatre cloches pour en faire un canon. Une autre fut si bien cachée que jamais on ne la retrouvât. Sur les deux cloches actuelles, la plus ancienne date de 1566 et la deuxième de 1867. Bref! Le clocher de l’église de Girgols reste donc « tout ouïe » de son histoire très mouvementée".
Mais au fait, qu’est-ce qu’un clocher-mur ?
Dans le Cantal – qui correspond à la Haute-Auvergne d’avant la départementalisation – on connait moins l’expression « clocher-mur » que celle de « clocher à peigne », peut-être à cause de M. de Rochemonteix qui, dans son ouvrage paru en 1902, Les églises romanes de Haute-Auvergne, qualifie tous les clochers qui ne sont pas des tours de "clocher à peigne" sans que l’on sache si l’expression est de son fait ou si elle était déjà en usage dans les campagnes du Cantal.
D’autres auteurs ont utilisé l’expression « clocher-arcade » mais on trouve aussi les expressions « clocher-pignon », « clocher à bâtière », « clocher en éventail », « clocher à jour », « panelle », « campenard », ou « mur campanaire ». Certaines, comme « campenard » utilisé en Picardie, ne sont que des appellations régionales. Alors « clocher-mur », « clocher à peigne » ou « clocher-arcade », comment s’y retrouver ?
Le clocher-mur, comme le détaille ci-dessous René Fage, est une sorte de terme générique, les autres appellations sont soit des doublons, le nom variant d'une région à l'autre, soit viennent préciser la forme du clocher-mur, rectangulaire ou trapézoïdale par exemple :
« à la différence des autres clochers qui sont des tours, des donjons, des pavillons, sur plans circulaire, octogonal ou rectangulaire, à un ou plusieurs étages, surmontés de flèches, de bâtières, de dômes, de galeries ou de pinacles, le clocher que j’envisage (NDLR : le clocher-mur) est constitué uniquement par l’exhaussement d’un mur percé d’une ou de plusieurs baies. Le plus souvent, c’est le mur de la façade qui est exhaussé, au-dessus du comble de l’église. La surélévation peut aussi reposer sur un doubleau, sur le chevet, sur un bas-côté, plus rarement sur un des murs latéraux ».
Qu’il repose sur l’arc triomphal (Jou-sous-Monjou) ou sur le mur ouest, celui de la façade (Marmanhac), le clocher-mur est terminé horizontalement, percé de une (Vebret), deux (Roc-Vignonnet, Antignac), trois (Glénat), voire quatre (Crandelles) baies. Parfois les baies sont rangées sur deux lignes ce qui en modifie considérablement la structure comme nous le verrons ci-dessous plus en détails.
Le clocher-mur, le clocher pauvre
Le clocher-mur est le type de clocher le plus répandu du centre et du midi de la France, sur une zone allant des Charentes au Rhône et du sud aux Pyrénées. Les églises et les chapelles rurales l’ont adoptées de bonne heure en raison de la simplicité de ses lignes et de l’absence de toute décoration rendant inutiles le recours à un architecte. Haut et large, robuste et massif, il se distingue au premier coup d'oeil. En revanche, du fait de sa structure et plus qu’aucun autre, il est soumis aux agressions du temps qui passe et aux intempéries (foudre, gel, vent), mais, en contrepartie, le clocher-mur est facile à réparer, nul besoin de connaissances particulières pour le consolider à l’identique sans en altérer l’aspect. Il faut avoir à l'esprit que sa présence ne signe pas systématiquement l'origine romane de l'église qu'il chapeaute, certaines églises postérieures à cette époque en ayant été dotées.
Les clochers-murs du Cantal
Nous avons choisi d’adopter la caractérisation de René Fage (1921), tout simplement parce qu’au départ, il y a un mur en guise de clocher :
→ Clocher à peigne (clocher rectangulaire)
Clocher-mur
→ Clocher-arcade ou clocher-pignon
D’autres existent, par exemple celle de Pierre Moulier qui, plus près de nous (1999), dans le Tome 1 (p.14) de sa trilogie Eglises romane de Haute-Auvergne, évoque le clocher à peigne comme étant le plus typique tandis que le clocher-arcade, qu’il nomme également clocher-mur ou clocher-pignon, en serait la variante triangulaire :
→ Clocher à peigne
→ Clocher-arcade (ou clocher-pignon)
Clocher-mur dit clocher à peigne ou clocher rectangulaire
Certains le considèrent comme le « vrai » clocher-mur, sans doute parce qu'il est le plus fréquent, environ 90 % des clochers-murs du Cantal selon René Fage, l'une des plus fortes proportions toutes régions confondue (en comparaison, en Lozère, on compte 2 clochers à peigne sur 3 clochers-murs). Il est également appelé « clocher rectangulaire » en raison de sa forme en rectangle. C’est aussi la forme la plus simple de clocher-mur et peut-être la plus ancienne sans que l'on soit en mesure de la dater avec précision. Les deux côtés du mur s’élèvent verticalement jusqu’à former un rectangle parfait, sa largeur est souvent la même que celle de l’église et sa hauteur le double de sa largeur, le tout est arasé à l’horizontale. Au-dessous de la crête s’ouvre un rang de deux, trois ou quatre baies destinées à recevoir les cloches.
Les baies sont généralement de mêmes dimensions au moins sur un même niveau mais il peut arriver, comme à Saint-Saury, qu’une baie soit de dimensions plus imposantes que les autres.
Pour résister à l’ébranlement provoqué par la volée des cloches, ce mur, selon son épaisseur, est tantôt renforcé par l’ajout de contreforts, tantôt épaissi de la base à la crête. Ailleurs, la stabilité des baies est assurée par l’ajout de galeries, souvent en bois, au niveau du seuil des baies destinée à faciliter la mise en place et le tintement des cloches.
Cette galerie peut également être en pierre, on y accède alors par un escalier extérieur qui peut aller jusqu’à envelopper le clocher (Moissac). Sur d’autres églises, c’est par une tour que l’on accède au clocher à peigne (Chalinargues, Ussel).
Pour résister aux intempéries, le faîte est soit protégé par une toiture en tuiles à deux ou quatre pans (Carlat, Crandelles, Lascelles, Saint-Cernin, Teissières de Cornet), soit couvert de pierres plates comme à Vebret.
Clocher-mur appelé clocher-arcade ou clocher à pignon
Le clocher-arcade est beaucoup moins fréquent dans le Cantal que le clocher à peigne. Il a la forme d’un triangle tronqué, généralement amorti en un pignon unique. A la différence du clocher à peigne, il n'est pas terminé horizontalement, il peut se terminer en triangle ou, au contraire, les lignes droites des côtés du triangle sont remplacées par des courbes et des contrecourbes formant un demi-cercle au-dessus d'une ou plusieurs baies, sur un ou sur deux rangs.
Le clocher-mur de Vebret est, à ce égard, tout à fait particulier, il tient du clocher-mur dit à peigne en raison de son faîte horizontal, mais dans sa variante clocher-arcade (ou à pignon) par sa forme trapézoïdale et ses baies disposées sur deux rangs. On remarque, en effet, deux grandes baies, équipées de leur cloches et soulignées d’un cordon, et une troisième baie plus petite qui semble chapeauter l’ensemble. Il occupe ainsi une place à part et quasi unique.
En façade le mur-clocher s’élève au-dessus de deux imposants contreforts, sa largeur est identique à celle de la nef jusqu’à la hauteur des murs latéraux. Au-delà, c’est un trapèze dont le côté supérieur fait la moitié de la base.
Un soin tout particulier a été apporté pour résister aux intempéries, la crête est couverte de pierres plates soigneusement jointoyées et chaque pierre de la partie trapézoïdale chevauche celle de dessous.
A Antignac, il y a deux clochers, un clocher à peigne surmontant l'arc triomphal de l'église et un petit clocher à pignon au-dessus de la façade.
Enfin, on rencontre assez fréquemment le petit clocher à pignon dans les chapelles rurales, C'est le cas pour les chapelles de Vendes, d'Escalmels (Saint-Saury) ou encore de la Capelotte (Roannes Saint-Mary).
Nous faisons le pari qu'après la lecture de ce rapide survol des clochers-murs du Cantal, vous redoublerez d'attention la prochaine fois que votre regard se portera sur l'un de nos clochers qui, bien que "pauvres", ont traversé les siècles.
DTF
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