La Thébaïde, ce mot n'évoque peut-être rien pour vous, c'est le titre d'une tragédie en vers de Racine qui s'est lui-même inspiré des épopées grecques et latines, c'est aussi le nom d'un lieu écarté où l'on peut se retirer en référence à une région de déserts où se retirèrent de nombreux ascètes chrétiens (ancienne région de l'Egypte antique).
Et c'est encore le nom donné à un couvent par son bâtisseur à la fin du XIXe siècle quelque part dans la dense forêt qui surplombe la Dordogne, sur le territoire de la commune d'Arches (Cantal).
La genèse de la Thébaïde
A l'origine, il y a un prêtre tout à la fois architecte, bâtisseur et ouvrier multitâches, le père Jean-Baptiste Serres, natif de la commune de Mauriac (1824-1904). Il voua sa vie aux autres, dispensant autour de lui la charité avec bonté et humilité. Devant l'ampleur de la tâche et ne pouvant se démultiplier, il sut s'entourer de braves personnes, dévouées pour, elles aussi, rendre visite aux pauvres, aux malades et aux nécessiteux. Dès 1865, il fonde la congrégation des petites-soeurs des malades qui, après avoir été officialisée, ne cessera de prendre de l'ampleur, y compris dans d'autres départements. Les visites de ces sœurs infirmières étaient très appréciées des familles, souvent isolées. La congrégation existe toujours aux Vaysses à Mauriac et abrite désormais un E.H.P.A.D.
Il fallait bien loger tout ce petit monde, aussi, après avoir été père-recruteur, il se fit père-bâtisseur, les religieuses furent tour à tour logées rue Neuve à Mauriac, puis rue du Balat, dans la plus grande pauvreté mais logées quand même. D'autres ermitages furent érigés, à Saint-Vincent de Salers, Chambres, Murat, Massiac, Saint-Flour, etc.
Légende ou réalité, il se raconte que c'est au cours d'une de ses longues promenades solitaires et méditatives qui l'amenaient à traverser le pont suspendu de Saint-Projet-le-Désert (village englouti avec son couvent du XVe siècle lors de la mise en eau du barrage de l'Aigle en 1945) qu'il découvrit le site idéal pour y installer sa nouvelle demeure, un domaine de 16 hectares au sommet d'une colline, isolé de tout, bordé au nord par la Dordogne, au sud par son affluent le Labiou, qu'il fallut défricher avec les moyens de l'époque, c'est-à-dire pas grand-chose d'autre qu'une bonne dose de savoir-faire. Nous sommes en 1882.
Le courte vie du couvent de la Thébaïde
Dès 1884, l'aile ouest terminée, le Père Serres s'y installe en compagnie du père François Cipière qui deviendra son bras droit. En 1886, c'est le deuxième bâtiment, celui du centre, qui est terminé, puis vient le tour de l'aile est en 1892. Dans son prolongement, la chapelle est également érigée et inaugurée en 1895, surmontée d'un fier clocher qui semble vouloir rivaliser avec la cime des arbres environnants. En tout, il aura fallu attendre 10 ans pour que le bâti soit terminé. L'ensemble forme un large U ouvert au sud sur un cloître-jardin doté d'une fontaine.
Un petit cimetière a été créé à l'aplomb de la chapelle, c'est ici que furent enterrés les pères décédés à la Thébaïde y compris le père Serres, en 1904, dans la petite chapelle qu'il s'était réservée pour l'« Eternité ». D'ailleurs, n'avait-il pas écrit « je me bâtirai une maison au milieu des bois, pour y passer la fin de ma vie dans la solitude, comme les anciens moines » ? Il n'y restera pas pour l'Eternité puisqu'en 1935, les sœurs contraintes de quitter Saint-Projet-le-Désert, promis à l'engloutissement, pour Les Vaysses à Mauriac y transfèrent également sa dépouille.
En revanche, les projets d'installation du père Serres sur le site de la Thébaïde échouèrent les uns après les autres, d'abord une société de prêtres, puis une école presbytérale. Après son décès, les sœurs, qui en étaient propriétaires, ont entretenu le site en faisant un lieu de retraite, puis il devint brièvement un chantier de jeunesse pendant la deuxième guerre mondiale avant de servir de cache pour les armes des résistants du barrage de l'Aigle en 1944. Plus près de nous en 1983, un couple tenta l'expérience de la vie en communauté sans grand succès.
Depuis 1999, le site de la Thébaïde est la propriété de la commune d'Arches.
Et maintenant ?
Le projet de la commune, propriétaire des lieux, s'intitule « Le réveil de la Thébaïde », tout un programme, c'est un peu comme la suite de la Belle au bois dormant, la page, presque blanche, s'articule autour de cinq axes, pas forcément dans l'ordre ci-dessous :
- la mise en valeur du verger central : création d’un lieu d’échange,
- la restauration de la chapelle : création d’un lieu d’exposition,
- le traitement du parvis de la chapelle en « place de village »,
- la redécouverte des abords de la Thébaïde : le parcours autour du site (partiellement réalisé)
- l’amélioration de l’accès à la Thébaïde et du stationnement (travaux réalisés à partir de novembre 2021)
A l'heure où nous écrivons ces lignes, le point 5. a été réalisé, l'entrée principale au niveau de la D682 a été entière refaite, le portail et la grille latérale sont neufs, il suffit de pousser cette dernière pour accéder au site, à pied, via un chemin goudronné qui se lance à l'assaut de la colline au sommet de laquelle se cache le site de la Thébaïde. Sur la plateau, le gyrobroyeur a fait son œuvre et le visiteur, surpris et charmé, découvre d'abord l'ancienne grange du couvent, précédée d'une étonnante construction en bois, la vrillette, derrière laquelle un chapeau pointu attire le regard, ce n'est pas une chapelle mais le tombeau que s'était réservé le père Jean-Baptiste Serres à l'abri des murs du petit cimetière. Un peu plus loin, dans son prolongement, le regard se pose sur la chapelle, hélas fermée pour l'instant, et enfin, sur le U du bâtiment principal. Ici tout est calme, paix et sérénité.
Sur la gauche du site, un large chemin en terre battue invite à la déambulation, il mène à l'arrière du couvent au niveau duquel se trouve la buanderie et ses deux lavoirs. En continuant encore, un layon étroit contourne l'ensemble des bâtiments derrière lesquels se trouve les communs. Ce chemin s'arrête pour l'instant au niveau d'un petit sanctuaire d'où la vue plonge sur le couvent et le clocher de la chapelle qui semblent alors à portée de main.
DTF, sept 2022