Elle est plus visible en hiver lorsque les arbres sont dépouillés de leur feuillage mais l’automobiliste circulant sur la N122 dans le sens Maurs-Aurillac ne manquera pas de la repérer sur son petit promontoire, l’église Saint-Martin de Rouziers, deuxième du nom. C’est d’ailleurs dans un souci d’accessibilité qu’elle a été bâtie là, ou plutôt rebâtie mais ceci est une longue histoire que nous allons vous conter ci-dessous.
La combe, écrin ou tombeau ?
Rouziers est une commune de la Chataigneraie cantalienne rattachée au canton de Maurs, bornée au nord par celles de Parlan et de Cayrols, au sud et à l'ouest, par celle de St-Julien-de-Toursac ; enfin, à l'est, par la commune de Boisset. La commune comptait 450 habitants en 1886, 249 en 1946, chiffre qui a son importance dans le cas présent, puis ce chiffre est tombé à 121 en 2017.
Il est probable qu'on ne saura pourquoi l’église romane, première du nom, fut construite « à flanc de coteau »* dans une combe difficile d'accès au point qu'elle est à peine citée dans la fiche consacrée à Rouziers dans le Dictionnaire Statistique du Cantal (1956) et que Chalves de Rochemonteix ne l’évoque même pas dans son ouvrage Les Eglises Romanes de la Haute-Auvergne (1902). Tout au plus exprime-t-il l’idée que « … Rouziers, Cayrols ont été reconstruits à des époques diverses sans préoccupation aucune du goût architectonique ».
Une disparition prévisible :
Nous devons l’essentiel des connaissances relatives à l’église du Rouziers à M. Abel Beaufrère (1899-1999), conservateur des antiquités et objets d'arts du Cantal en 1947 et président de la Société des lettres, sciences et arts de la Haute-Auvergne (1952-1973) qui la décrivit soigneusement peu de temps avant qu’elle ne s’effondre.
« Construite sur le plan de la cella primitive et orientée sensiblement, de l’est à l’ouest, avec un léger décalage du chevet vers le nord, l’église se dressait à flanc de coteau. Un humble cimetière se chauffait autour de l’abside et devant la face méridionale. La vue d’ensemble était alourdie par les chapelles latérales. Le clocher barlon, sous son double toit de schiste, ne pouvait, avec ses abat-son de bois mal ravaudés, qu’amuser les yeux. L’édifice tirait toute sa beauté de l’abside qui se dessinait avec une grande et simple noblesse sous une légère toiture supportée par une galerie à hourd. »*
Outre les difficultés d’accès et donc d‘entretien, Abel Beaufrère évoque des modifications apportés à l’édifice sans trop de précautions, d’abord l’ajout au XVe siècle de deux chapelles latérales qui « vint alourdir la vue d’ensemble »* mais qui, surtout, modifia la répartition des poids, puis, celui, en 1736, d’un nouveau porche « dans le pignon selon l’axe de l’édifice »*.
A partir de là, lézardes et fissures apparurent et firent leur œuvre, leur travail de sape n’étant entravé par aucune intervention humaine jusqu’à l’effondrement d’un pan du clocher en décembre 1946.
Une reconstruction à faire mentir tous les lieux communs :
La fin inéluctable de l’église Saint-Martin fut tragiquement perçue par tous les habitants, y compris par les mécréants qui n’y mettaient jamais les pieds. Il fallait reconstruire l’église !
Si l’on entend parfois l’expression populaire « remettre l’église au cœur du village » ; à Rouziers ce fut « nous l’arracherons à la combe des châtaigniers et nous la porterons en bordure de route, plus près de nos pas et de nos cœurs »*
Contrairement à la légendaire inimitié entre le maire et le curé du village entérinée par les aventures de Pépone et Don Camillo au cinéma, ici, la réalité fut tout autre. En effet, le curé de Rouziers, le père Urbain Sabut et le maire, Philippe Fau, marchèrent main dans la main pour fédérer les énergies de leurs ouailles. Il fallut dans un premier temps s'atteler, c'est bien le cas de le dire, au transport des pierres de l’église vers le lieu choisi pour sa reconstruction, au lieu-dit « La Virade », en bordure de l’actuelle RN 122.
« Ces deux hommes ont fait sans peine l’union derrière eux et toute la région, que dis-je, une partie chaque jour plus grande du centre de la France, ont contemplé avec étonnement ces 250 paroissiens qui, à grand courage et à grande sueur, n’hésitaient pas transporter pierre à pierre leur vieille église pour lui préparer sur un autre site une résurrection »*.
Photo illustrant la fiche consacrée à Pierre Croizet sur Geneanet
Afin de ne pas commettre d’erreurs funestes à la longévité du nouvel édifice, cette résurrection fut confiée à l’architecte aurillacois Pierre Croizet (1906-1984) qui fut également conservateur du Musée d'Aurillac et président de la Société Artistique du Cantal. C’est dans le respect des normes modernes mises au service du plan primitif que ce dernier a reconstruit l’église Saint-Martin tant à l’intérieur avec l’abside, l’arc triomphal et les chapiteaux qu’à l’extérieur avec la galerie à claire-voie.
Monseigneur Marty consacra la nouvelle église Saint-Martin de Rouziers le 21 août 1955 en présence d’une foule nombreuse et depuis cette date, celle-ci coule des jours paisibles entourées des arbres qui lui servent d’écrin.
La nouvelle église "romane" de Rouziers (un clic sur la photo pour l'agrandir)
* citations extraites du Bulletin Municipal, Rouziers, janvier 2016, p. 11-13
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