ERMITAGE ET MONASTERE
Vers l'an 635, sous le règne de Dagobert Ier, le sort des armes fit tomber entre les mains des Francs un noble Saxon, nommé Tillo. Dans la foule des captifs que la charité de saint Eloi le portait à racheter, il distingua le jeune Saxon, et, après l'avoir affranchi en présence du roi, il le reçut dans sa maison, le traita comme un frère et le fit initier, sous ses yeux, aux mystères sacrés du christianisme. Tillo mit à profit les pieuses leçons qu'il recevait; ses talents se développaient en même temps qu'il s'avançait dans la pratique des vertus chrétiennes. Bientôt son bienfaiteur lui ouvrit les portes du monastère de Solignac qu'il avait fondé en Limousin. Tillo y demeura quelque temps, et en sortit pour remplir une mission qu'Eloi lui avait donnée; il se rendit dans la Gaule Belgique pour convertir à la religion chrétienne les Suèves et les Frisons qui s'étaient établis sur les bords de la mer, dans le voisinage d'Anvers. Après avoir employé une partie de sa jeunesse aux travaux pénibles de l'apostolat, et avoir laissé dans la Belgique des souvenirs durables de sa sainteté. (Il est connu, en Belgique , sous le nom Thilmans. Les habitants d'Isscngein , près de Courtrai, l'honorent tout ce nom comme leur apôtre particulier.) il rentra à Solignac. Mais l'austérité de la vie monastique n'étant pas suffisante pour satisfaire son extrême ferveur , il résolut de se retirer dans la solitude pour y mener la vie érémitique. C'est dans la partie occidentale de l’Auvergne, à une lieue de Mauriac, dans les gorges désertes de la vallée d'Auze , qu'il vint planter la croix et fonder sa cellule. Il l'établit sur la crête d'un rocher qui forme un angle saillant dans la vallée, et dont la base est baignée par l'Auze qui le contourne et l'environne de trois côtés. Au-dessus-de l'ermitage, des roches escarpées s'élèvent nues et déchirées à une grande hauteur. Quelques touffes de bruyère ont peine à croître sur les saillies ou dans les fissures de la roche : point d'arbre pour donner de l'ombre ou servir d’abri, point de gazon pour reposer la vue : l'aridité du désert, des roches nues, des précipices, un torrent qui écume et s'irrite contre les obstacles qui gênent son cours, tel est le site que Tillo avait choisi. Il ne présente pas à l'œil ces molles ondulations, cette riche végétation des humbles collines, ces eaux calmes et paisibles qui serpentent sur des tapis de verdure; mais il n'est pas sans grandeur, et, s'il ne charme pas le regard, il élève l'âme.
On visite encore avec un pieux respect les vestiges de la cellule du noble Saxon. Bâtie en pierre sèche, adossée contre la roche , elle a la forme d'un bâtiment carré, dont chaque côté n'a que deux mètres environ de longueur; elle était un peu creusée dans la roche, et on y descendait par deux ou trois degrés qui existent encore. Sur le point le plus élevé du rocher est une croix en lierre qui n'est plus celle au pied de laquelle le saint ermite venait se prosterner; mais elle en a conservé le souvenir, et elle porte encore le nom de croix de saint Till.
Quelque soin que le pieux ermite eût mis à cacher sa vie , quoiqu'il eût, eu prenant le nom de Paul, cherché à faire oublier l'apôtre de la Belgique, la réputation de sa sainteté eut bientôt franchi le désert qui semblait le séparer du reste du monde. Un saint évêque des Arvernes, Bonnet, avait quelques doutes sur la régularité de son élection; ces doutes tourmentaient sa conscience; il avait besoin de conseils, il les demanda, non aux dignitaires de l'Eglise épiscopale, ou à l'archevêque de la 1re Aquitaine; il consulta le pieux solitaire de la vallée d'Auze: peut être fut-il le visiter dans son étroite cellule. Tillo jugea l'élection peu canonique; le pontife se soumit à la décision de l'ermite, et abdiqua l'épiscopat.
Le concours de ceux qui venaient réclamer les conseils de Tillo, ou qui voulaient vivre sous sa direction, devint si considérable, qu'il sentit la nécessité d'élever un monastère qui prit le nom de Rrajecte, aujourd'hui Brageac; il en jeta les fondements sur les roches escarpées qui dominaient l'ermitage. L'abside de l'église du monastère fut presque suspendue sur le bord du précipice, comme s'il avait voulu la rapprocher, autant que le terrain le permettait, de son ancien oratoire. Après y avoir réuni trente moines de l'ordre de Saint-Benoît, qui y vaquaient avec lui à la prière, il se retira, à la fin de ses jours, à Solignac où il mourut, vers l'année 707, le 7 de janvier.
Si l'origine du monastère de Brageac est bien connue, il n'en est pas de même de son histoire, soit que les documents aient été détruits par les Sarrasins, ce qui paraît fort douteux, soit qu'ils aient péri pendant les ravages qu'ont exerces dans cette partie de l'Auvergne les pillards qui tenaient le parti de l'Angleterre, ou à l'époque des guerres féodales, ce qui est plus probable. On sait seulement qu'à une époque fort reculée, le monastère d'hommes fut transformé en une abbaye de femmes de l'ordre de Saint-Benoit. Dans les derniers temps, l’abbesse était à la nomination du roi, et elle était toujours choisie parmi les plus nobles familles du voisinage. La maison de Scorailles est celle qui, depuis le treizième siècle, a compté le plus grand nombre d'abbesses.
Voici la liste de ces abbesses, d'après la Gallia christiana, et la généalogie de la maison de Scorailles.
Gaillarde du Chambon, 1202.
Agnès 1re de Scorailles traita en 1218, avec Guy 111 et Begon de Scorailles frères, au sujet de l'hommage qu'elle était tenue de leur rendre à raison de son abbaye; elle vivait encore en 1247.
Agnès II de Scorailles lui succéda; elle vivait en 1269.
Annette transigea le jeudi après la fête de saint Jean-Baptiste 1287 avec Henri II, comte de Rodez et vicomte de Carlat; Guy IV, coseigneur de Scorailles , et Guy jeune , au sujet de l'hommage que les abbesses de Brageac étaient tenues du rendre une fois en leur vie au seigneur de Scorailles.
Béatrix de Montclar rendit hommage à Begon IV et aux autres coseigneurs de Scorailles le mardi après la fête de saint Georges 1315, en présence de Maurice de Sartiges du Vignal; Gaillarde de Veyrac ; Almodie de Freluc ; Cécile de Montclar; Almodie de Pleaux ; Raimonde de Cornil; Esclarmonde de Merle ; Galienne de Latour; Hélis de Marlat, et Maurine de Costal, religieuses à Brageac.
Catherine Salvage, 1350 et 1363.
Françoise de Scorailles, 1434.
Iolande de Veithan, 1449.
Iolande de Vigier, 1456. «
Catherine de St-Martial, 1477, 1482.
Léonne de Scorailles, 148i, 150!), 1525.
Gabrielle de Scorailles, 1535, 1559.
Jeanne de Scorailles, abbesse en 1559 sur la démission de Gabrielle, sa tante, se démit le 2 novembre 1582.
Anne Bigaud de La Veyssière, 1582.
Catherine de Scorailles lit profession à Bonnefaigue le 15 février 1589; fut abbesse de Brageac par bulles du 27 juin 1594; elle se démit on 1622, en faveur de Marguerite Aulthicr de Ville-Montée, sa nièce, et mourut âgée de 100 ans. Elle fit réparer les bâtiments, en partie ruinés, et notamment l'église et le clocher.
Marguerite Aulthier de Ville-Montée, 1622 à 1659.
Au couvent de Brageac, chaque religieuse avait des revenus particuliers, et chacune pouvait acquérir en son nom. L'abbesse fit cesser cet abus en 1630, et tous les revenus furent confondus dans ceux de la communauté. .
Françoise Aulthier de Ville-Montée succéda à sa tante, 1659, 1696.
Gilberte Aulthier de Ville-Montée fut abbesse en 1717; elle ne reçut néanmoins ses bulles qu'en 1719. Elle fit réparer l'église et l'abbaye.
Madeleine de Douhet-d'Auzers lui succéda en 1751. Elle administra avec beaucoup d'économie et d'intelligence les biens du monastère; elle répara et entretint les bâtiments, le mobilier, les ornements; elle fit renouveler le terrier des rentes, et accrut notablement les revenus par l'or .Ire qu'elle apporta dans son administration. Elle mourut en 1783.
Adrienne de Lentillac était abbesse de Brageac en 1789. Peu de temps après les ordres monastiques furent supprimés, leurs biens confisqués et vendus. L'abbaye de Brageac subit la loi commune, et fut détruite après plus de dix siècles d'existence. .
L'abbesse de Brageac nommait aux cures de Saint-Thibaud de Brageac et de Saint-Etienne de Chaussenac. Le prieuré de Saint-Pois, à Cahors, était aussi à sa nomination.