La petite communes de Salins - 144 habitants - est plus connue pour sa belle cascade éponyme (chute de l'Auze) visible de la D922 avec, à l'arrière-plan, le viaduc ferroviaire de feu la ligne de Bort-les-Orgues à Miécaze, un peu moins pour son église Saint-Pantaleon érigée au XIIe siècle et inscrite au titre des monuments historiques le 10 février 2010, que pour son château. Il est vrai que, jusqu'à une ordonnance de 1831, il faisait partie de la commune de Drugeac.
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Eglise Saint-Pantaleon à Salin (Cantal)
Pourtant le château de Mazerolles ne passe pas inaperçu, il est visible des usagers de la D38 ou des curieux qui s'en approchent, attiré par son donjon majestueux et sa silhouette trapue.
Les parties les plus anciennes datent du XVIe siècle. Le donjon édifié en 1580 fut partiellement reconstruit au XIXe siècle. Le logis date des XVIe et XVIIe siècles. Inscrit au titre des monuments historiques depuis le 18 novembre 2002, il présente, comme tant d'autres, quelques signes de désolation dont des béances dans la toiture. De nos jours, le château est la propriété d'une société privée et ne se visite pas.
Château de Mazerolles de nos jours
Pour en savoir plus sur cette imposante batisse, nous sommes allés consulter le célèbre Dictionnaire Statistique du Cantal. M. De Sartiges-D'Angles, auteur de la notice relative à Salins, rapporte soigneusement la description admirative que MM. Jean-Baptiste Bouillet (1799-1878), ethnographe, et Auguste Peghoux (1796-1858), archéologue, ont faite du château de Mazerolles :
Château de Mazerolles et son parc arboré
Le château de Mazerolles est situé dans une très heureuse position, à demi-côte, abrité du nord, exposé au midi, environné de jardins disposés en terrasses et dominant le riant vallon arrosé par les eaux de l'Auze.
Il se caractérise par l'émergence d'un gros donjon de style médiéval édifié en 1580, partie la plus ancienne du château, partiellement reconstruite à la fin du XIXe siècle, et d'un logis des XVIe et XVIIe siècles, en L, adossé au donjon au sud-est.
L'entrée voûtée du château conduit à une vaste cour entourée de bâtiments nécessaires à l'exploitation des biens ruraux et au logement des gens de la maison. La cour du château, proprement dite, vient ensuite ayant au centre un if à pyramide, colossal. Des tilleuls séculaires projettent un épais ombrage sur une fontaine dont les deux conduits jettent l'eau dans d'énormes bassins en pierre diversement frangés et festonnés. Une grille sépare cette cour d'un jardin à compartiments dessinés par de longues files d'arbres fruitiers, à terrasses étendues, que bordent des touffes de rosiers sur lesquelles s'appuient des filets grimpants de vigne. Des massifs de lilas couvrent les angles et parties solitaires.
Dans l'intérieur du château, on voit partout régner les formes massives de plusieurs cheminées monumentales du XVIe siècle et des meubles, tels que ces commodes, qu'affectionnaient nos ancêtres. La chambre des revenants est encore telle qu'on la voyait il y a deux cents ans. Les croisées pratiquées dans un mur épais ressemblent à de véritables corridors qui conduisent à une ouverture extérieure. Cinq lits sont largement établis sur des piliers massifs et recouverts de tapisseries à fleurs bizarres, que, dans leurs moments de loisir, brodèrent de nobles châtelaines, entourées de leurs femmes. Un autre côté de l'appartement est garni d'énormes fauteuils à bras dans lesquels on se trouve réellement assis; le reste est revêtu de boiseries et tapisseries enfumées, sur l'une desquelles j'ai remarqué un roi maure trônant avec tous les attributs de sa barbaresque splendeur. En voyant le jour douteux qui glissait sur les panneaux noircis de cette galerie, je compris les domestiques de la maison lorsqu'ils me dirent qu'ils ne coucheraient jamais dans la chambre des revenants. Au-dessous de cette terrible chambre et dans une semblable encadrure, se trouve la salle à manger toute revêtue de portraits de famille, parmi lesquels j'ai remarqué un des anciens possesseurs du château, le baron de Salers, à figure noble et fière : son regard semble parcourir avec orgueil les contours de cette salle.
Mazerolles, PC de la Résistance
C'est dans ce décor mi-enchanteur, mi-terrifiant que les hommes du maquis d'Auvergne établirent l'un des PC de la Résistance comme nous l'apprend Gaston Monnerville (1878-1991) dans un documentaire intitulé « Histoire de la Résistance », et il précise : « j'avais établi mon P.C. au Château de Mazerolles en Haute-Auvergne, c'est là que, le 06 juin 1944, j'ai appris par radio que le Débarquement avait commencé, j'ai failli en tomber de mon fauteuil ! »
Gaston Monnerville*
En effet, lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Gaston Monnerville (1897-1991) est parlementaire, âgé de plus de quarante ans. Aux termes de la loi sur l'organisation de la Nation en temps de guerre, il n'est pas mobilisable. Mais il entend participer au combat. Il servira comme officier de Justice sur le cuirassé « Provence ». Ce bâtiment participera à une croisière de guerre qui se terminera tragiquement à Mers-el-Kebir, le 3 juillet 1940. Gaston Monnerville sera démobilisé le 16 juillet 1940.
Déjà, les premiers réseaux de résistance se constituent. Monnerville entre en contact avec le capitaine Chevance et adhère au mouvement « Combat ». En qualité d'avocat, Gaston Monnerville assure systématiquement la défense de ceux que « l'Etat français » emprisonne pour délit d'opinion ou d'origine raciale. Cette activité lui vaut d'être inquiété par la police et plusieurs fois arrêté.
A droite, Gaston Monnerville alias Saint-Just*
La « zone libre » envahie le 11 novembre 1942, Gaston Monnerville rejoint alors les maquis d'Auvergne. Il entre dans le groupe du commandant Cheval dont le poste de commandement est établi au château de Mazerolles (Salins, Cantal). Capitaine, puis commandant F.F.I., il prend le pseudonyme de Saint-Just en hommage à son oncle, Saint-Just Orville, maire de Case-Pilote en Martinique, et assure la liaison entre les Etats-majors de la Résistance de Lozère, d'Ardèche et du Gard.
Gaston Monnerville et son épouse, Marie Thérèze Pauline Lapeyre (1901-2000), sont établis à Cheylade du 7 décembre 1942 au 5 août 1944. Lorsque le général Koenig, nommé commandant en chef des Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.) entreprend d'unifier les réseaux métropolitains, les opérations s'intensifient à partir du début de 1944. Le débarquement de juin 1944 est le signal, les maquisards passent à l'action partout en France. Les blessures deviennent de plus en plus graves (éclats de mortier et d'obus), les F.F.I secondées par Thérèse Monnerville, alias Claire Lapeyre, Madame Saint-Just, réquisitionnent une propriété du maire de Cheylade (sa résidence principale, le château de Pradines ?) M. Guynot Chalvet de Rochemonteix** (1889-1946) pour en faire un hôpital de campagne (juin-juillet-août 1944). Cet hôpital accueillera jusqu'à 32 patients. Au moins 4 médecins y prodigueront des soins dont Louis Serre (1878-1964) et son fils Hubert (1917-2013) praticiens installés à Cheylade, ainsi que le Docteur Georges Delteil (1900-1978) de Riom-es-Montagne (Cantal).
A ce jour, personne ne semble avoir retrouvé l'emplacement exact de cet hôpital de campagne.
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* les photos de Gaston Monnerville sont issues de sa biographie complète sur le site du Senat.
** Industriel, administrateur de la Société Parisienne d'Impression et de Cartonnage, directeur de la société "Le Lait Mont Blanc", maire de Cheylade (1919 - 1946), capitaine de cavalerie de reserve, lieutenant d'aviation, élève pilote, sous-lieutenant de cavalerie, cavalier au 21e et 3e Chasseurs à Cheval<.
Sources :
Biographie complète de Gaston Monnerville | Sénat
Blog de Jacques : Louis Serre, Médecin-major de la Grande Guerre, "Médecin de montagne" 1878-1964
Site internet geneanet.org
Gaston Monnerville dans la Résistance cantalienne, Géraud Letang, conférence de la S.H.A du 22 février 2025
DTF, février 2025