Depuis des lustres, le Cantal a noué des liens étroits avec l'Espagne. Depuis le XVIe siècle, chaudronniers, marchands, boulangers se sont expatriés vers l'Espagne, Aragon ou Castille, pour chercher du travail et nourrir leur famille. La proximité de la langue, la proximité géographique ont fait que ces liens ont perduré au fil des époques. Par la suite, grâce notamment aux professeurs d'espagnol, passionnés et passionnants, des cours complémentaires qui conduisaient à la section M' (une seule langue vivante, l'espagnol et des cours de physique) ces liens se sont étoffés : échanges, correspondants, vacances, commerce.
Oh Maria !!! Certaines, certains, y sont partis par amour, comme Maria Brayat de Boisset qui, après avoir rencontré un négociant espagnol, le bel Emilio Garcia, un soir de fête à Cayrols est partie avec lui à Madrid en 1898 pour ne revenir en France qu’en 1950 pour un court séjour et retrouver ses racines. Ses descendants Garcia-Brayat, tous à Madrid ou ses environs, et la branche française continuent à échanger. Des délégations se rencontrent régulièrement en Espagne ou en France.
Le livre de Rose Duroux - historienne française et professeur émérite de l'Université Clermont Auvergne née à Madrid - retrace avec minutie le parcours de ces hommes, en particulier au XIXe siècle en Castille. Le livre intitulé en espagnol Français qui émigrèrent en Espagne (Franceses que emigraron a España) permet de découvrir comment ces migrants de la Haute-Auvergne (ancien nom du Cantal) ont montré une prédilection pour le pourtour de la Méditerranée (Catalogne, Valence, Andalousie).
Les plus nombreux sont les Français et parmi eux, les Auvergnats. Ils étaient environ 25.000 en Espagne au XVIIe siècle. Cependant, c’est la région de Madrid, ancienne Castille, qui les a retenus le plus longtemps et ce, jusqu’à la guerre de 1914-1918 qui sonna le glas de cette immigration, lorsque seuls quelques insoumis refusèrent de rentrer en France et s’espagnolisèrent. Même les guerres franco-espagnoles de la Révolution et de l’Empire 1808-1814 qui provoquèrent assassinats et pillages, ne condamnèrent pas cette fidèle migration. D’ailleurs, si l’on jette un coup d’œil dans le bottin téléphonique de Madrid, on y découvrira des noms bien français, auvergnats, tels que Clamagirand, Vermenouze, Selinge, Poudereux, Rhodes ou Lalaurie.
De « gabachos » (*) à commerçant respectés
Bien que l’origine soit controversée, on sait qu’ils étaient appelés au départ « gabachos », mot qui désigne avec dédain les Français car ces Auvergnats, montagnards d’Outre-Pyrénées, très pauvres et qui parlaient mal, acceptaient les tâches les plus viles. Ils étaient méprisés non seulement par le peuple mais aussi par les autorités consulaires françaises.
En revanche, les Auvergnats du XIXe siècle, sujet principal du livre, constituaient une véritable colonie fort respectée, composée de boulangers tahoneros à Madrid et de commerçants dans les villages.
C’est ainsi qu’on apprend au fil des pages que les Français ont su profiter d’une carence endémique de boulangeries à Madrid pour devenir boulangers. En effet, Madrid, qui n’a été promue capitale qu’à la fin du XVIe siècle, était incapable de pourvoir à ses propres besoins en pain. Elle comptait alors sur les villages environnants, dont Vallecas. Et c’est ainsi que le nombre de boulangers-meuniers, appelés tahoneros (en France la boulangerie et le moulin étaient séparés) se multiplie, et en 1886, près de 40% des tahonas de Madrid sont françaises. Quant aux marchands-drapiers, descendants des anciens colporteurs auvergnats, ils sont écartés de la capitale par leurs concurrents espagnols et refoulés vers les bourgades situées à quelques lieues, comme Chinchón, Navalcarnero ou Torrejón de Ardoz. Ils constituent alors dans les campagnes de puissantes compagnies. Le principe est simple. Pendant que les uns restent au comptoir de l’entrepôt, leurs compagnons font des tournées à dos de mulet ; ils répondent ainsi aux besoins de la population rurale en habillement, alimentation et outillage. Ces compagnies connaissent, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, une extraordinaire expansion. Ainsi, par exemple, une centaine de personnes gèrent, à Chinchón, une constellation de 25 entrepôts principaux, et leur empire commercial rayonne sur trente ou quarante lieues. Ces petites maisons de commerce éclatent en 1808, saccagées en réponse à l’invasion napoléonienne, mais après la guerre d’Indépendance et une fois la paix revenue, de petites sociétés resurgissent, pour venir combler un vide commercial tenace dans les campagnes. Ainsi, pas moins de 125 villages des provinces de Madrid, Guadalajara, Cuenca, Toledo vont abriter, au XIXe siècle, de façon plus ou moins continue, une ou plusieurs de ces petites compagnies commerçantes.
Rose Duroux a pu obtenir toutes ces informations en plongeant dans différentes sources. En effet, cette immigration a laissé de nombreuses traces dans la littérature, la presse et dans nombre de centres de documentation, français et espagnol : nationaux, préfectoraux, consulaires, municipaux, paroissiaux, notariaux, hospitaliers, mais aussi dans les archives familiales. L’auteur a ainsi eu la chance de rencontrer plusieurs survivants ou descendants directs de ces migrants d’un autre temps.
L’origine auvergnate de Malasaña
Un certain François Malassagne, sorti du moulin de Romananges, à Meallet, commune du Cantal, devient boulanger à Vallecas (sud-est de Madrid) où il se marie (fait rare puisqu’il y a eu très peu de mariages mixtes, ces Français de Castille rentrant au bout de quelques années en Auvergne) ; son fils Juan est le premier a donner son nom à la "Plaza Juan Malasaña" de Vallecas ; mais c’est surtout sa petite fille Manuela, qui nous intéresse: une rue, un quartier et une station de métro l’honorent à Madrid, et ce, pour sa mort héroïque, ou non, les versions divergent sur ce point, le 2 mai 1808 contre l’envahisseur français. Malasaña, un des principaux symboles de la résistance contre Napoléon et ses troupes était d’origine auvergnate !
Dans son édition Cantal du 26 août 2020, le quotidien La Montagne écrit :
« En effet ces deux personnages figurent dans le gotha de l'héroïsme espagnol : ils font partie des fusillés du 2 (NDLR : en réalité le 3) de mayo 1808 du peintre Goya par les occupants napoléoniens. Dès lors, la mythification des Malasaña commence et elle persiste : rue, place et quartier Malasaña à Madrid, statue et tableau dans les musées, station de métro, lycées portent ce nom .»
A signaler qu’en plus de sa sortie en espagnol, le livre, qui était épuisé en France (sa publication date de 1992), a été réédité en 2018 :
- Les Auvergnats de Castille (2018), Rose Duroux, Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, DL 2018.
- Franceses que emigraron a España, Auverneses en la Castilla del siglo XIX (Editions UNED en espagnol)
(*) Gabacho(es) vient du mot occitan "gavach",gavaud en français, désignant le parler occitan et la population de l'est du massif central (Cantal, Lozère Ardèche, Haute-Loire entre autres ...)
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