Au Xe siècle, les hauts pays d'Auvergne, vaste comté dépendant de l'Aquitaine d'alors, connaissent une paix relative. Dans les vallées et, quelquefois, sur les plateaux, les paysans cultivent une terre difficile tout en élevant bovins et moutons. Quelques grands propriétaires, issus d'une aristocratie gallo-romaine alliée à quelques familles germaniques, possèdent de beaux domaines agricoles, souvent constitués de parcelles éparses ; l'esclavage tend à en disparaître, tandis qu'une partie des exploitations est cultivée par des tenanciers. À côté d'eux, mais aussi parmi eux, les petits paysans libres sont encore nombreux, voire majoritaires.
Cependant, dès les années 930-950, l'édifice social semble se déliter. Les pouvoirs centraux, à tous les niveaux, s'affaiblissent : le roi de France ne contrôle plus guère le duc d'Aquitaine, comte d'Auvergne. Ce dernier, à son tour, voit l'Auvergne lui échapper : bientôt, les familles des anciens vicomtes de Clermont et de Brioude vont se battre pour reprendre à leur compte la province.
Sur la colline d'Indiciac (aujourd'hui Saint-Flour), un modeste sanctuaire abrite les reliques de saint Flour : des chanoines y assurent le culte et accueillent les pèlerins. Voici que, vers 980, Eustorge de Brezons, qui possède le domaine sur lequel est bâti le sanctuaire, en fait don à Cluny, ou plus exactement à sa dépendance de Sauxillanges, pour qu'un véritable monastère y soit construit.
Mais à sa mort, les Nonette, cousins des Clermont, considérant que leur cadet de Brezons n'avait pas le droit d'aliéner ce bien familial, le reprennent : pour eux, il n'avait pas été donné, mais mis à disposition. Dans un climat de tension extrême avec les Brioude, qui sont désormais aussi comtes de Gévaudan, Amblard II de Nonette est prêt à tout pour conserver ce domaine. Le grand abbé de Cluny Odilon de Mercœur en appelle au pape Grégoire V, lequel, en avril 998, somme tous les usurpateurs de rendre les biens accaparés : Indiciac est cité. Amblard II de Nonette rend la terre à Cluny : le monastère de Saint-Flour va pouvoir être fondé.
Du moins, en principe. Car l'homme profite des temps troublés pour reprendre le domaine ! Mieux, il tente de soumettre l'ensemble de la Planèze à son pouvoir, avec l'aide de son jeune cousin Amblard de Brezons. Pendant environ quinze ans, intimidations, pillages, enlèvements se succèdent, en une véritable guerre qui ravage toute la région et dont l'écho parvient jusqu'à Conques : plusieurs des récits des miracles de sainte Foy évoquent des prisonniers ou des victimes d'Amblard. Bientôt : Brioude est saccagée, le comte de Brioude-Gévaudan assassiné. Dans ce chaos, les plus forts accroissent leurs pouvoirs : ils seront les seigneurs de la féodalité naissante.
Le farouche Amblard commet néanmoins une petite étourderie en se débarrassant de Guillaume, surnommé Brunet, un cohéritier. Car même en ces temps agités, assassiner son frère ou son cousin est un acte qui suscite l'horreur ! Sur décision de l'évêque de Clermont, Amblard part pour Rome, y fait sa soumission au Pape après un pèlerinage d'expiation et rend Indiciac à Cluny. Cette fois, en 1020, le monastère va pouvoir être fondé.
Enfin, peut-être. Car Amblard rentre en Auvergne : " Et si, finalement, je gardais le domaine ? ", menace-t-il, tout en réclamant une somme énorme à Amblard de Brezons… Odilon de Mercœur doit encore intervenir !
Auteur : Marc-Yvon Duval.
Professeur de Lettres classiques, Marc-Yvon Duval s'intéresse à l'histoire cantalienne. Dernier article publié : « L'affaire de Chaudes-Aigues. Tumultueuses donations des églises de Chaudes-Aigues au prieuré de Saint-Flour (1020-1135) » (revue Patrimoine en Haute-Auvergne, n° 24, publiée par l'association Cantal Patrimoine).
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