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CHAMP DE SÉPULTURE, VESTIGES D'HABITATIONS DE L'ÉPOQUE GALLO-R0MAINE.

Pour ne pas interrompre notre récit, nous n'avons pas parlé des restes d'anciens monuments qui ont été découverts à Mauriac dans le cours de ce siècle. Ces restes sont sans doute peu importants; on me permettra cependant de les décrire avec quelque détail. L'avenir nous réserve très-certainement d'autres découvertes; elles viendront compléter celles qui se sont faites de nos jours- Mais, pour que l'on puisse en tirer des inductions et reconstruire en quelque sorte l'ancien vicus de Mauriac, il est nécessaire de décrire avec une minutieuse exactitude les restes de bâtiments ou les objets antiques que le hasard a fait découvrir. Ce n'est qu'à cette condition qu'une description archéologique peut être utile.

Dans la banlieue de Mauriac, les fragments de tuiles romaines ne sont pas rares. J'en ai trouve dans le pâturage appelé Pré-Mergue , section D, n°167 du plan cadastral; dans le pré de Laboal, même section , n° 5 , et dans le jardin faisant autrefois partie du Pré-Celerier, n° 271, section G. Ils sont surtout nombreux au puy Senaillac , autrefois Seraillac , qui faisait partie des communaux de la ville, partagés en vertu de la loi du 10 juin 1793; ils s'y trouvent mêlés à des poteries antiques et à des terres cuites de diverse nature. Je possède une monnaie d'Antonin-le-Pieux , trouvée dans le jardin de M. Rousselot, au-dessous du cours Monthyon.

Une note de mon père, alors sous-préfet de Mauriac, constate qu'au commencement de ce siècle, en défonçant le cimetière actuel, les ouvriers trouvèrent deux vases en verre vert, qui avaient la forme de bouteilles carrées avec des anses; quatre autres vases en verre de même forme, mais plus petits, furent découverts dans le même lieu. M. Brunon, conservateur des hypothèques à Mauriac, les acheta; ses héritiers, auprès desquels j'ai pris dans le temps des informations, ignorent ce qu'ils sont devenus.

Le 15 février 1838, les ouvriers occupés à défoncer la partie sud-est du même cimetière, trouvèrent une espèce de puits taillé dans le tuf, ayant 1 mèt. 33 cent, de profondeur, et dont le diamètre était, dans un sens, de 66 cent., et, dans l'autre, de 49 cent.; au fond, était un bloc de trachyte à surface plate, sillonnée par des raies droites et irrégulières, semblables à celles que trace le soc de la charrue; au-dessus, était une couche assez épaisse de terre grasse et onctueuse, mêlée à des charbons. Une dalle de basalte recouvrait ces débris.

Au mois d'avril 1851, les travaux de défoncement furent continués; je les surveillais avec attention. On découvrit, dans la partie méridionale, un vase en poterie grossière rouge ; il ne lui manquait pour être entier que l'anse, qui avait été brisée avant qu'il ne fût enfoui; il a 10 centimètres de haut, et ressemble par sa forme aux vases funéraires trouvés dans d'autres parties de la France; à côté, étaient la moitié d'une urne et les trois-quarts d'une soucoupe qui avait servi à la recouvrir. Ces objets sont en ma possession.

Les vases dont nous venons de parler étaient en tout semblables à ceux qui ont été employés aux sépultures jusqu'au III° siècle de l'ère chrétienne. Les cendres des riches étaient renfermées dans des urnes en verre, en terre sigillée; celles des pauvres étaient conservées dans des vases plus grossiers; souvent elles n'étaient recouvertes que par une simple tuile, un tesson ou une dalle de basalte, comme on vient de le voir. Ainsi, par une coïncidence fortuite, ce petit coin de terre où reposaient les cendres oubliées des premiers habitants de Mauriac devait, quinze siècles plus tard, être rendu à sa destination première.

Des découvertes non moins intéressantes ont été faites dans l'intérieur de la ville. Je ne rappelle que pour mémoire quelques fragments de tuiles romaines trouvés lors de la construction de la maison Courboulès, rue St-Georges, appartenant aujourd'hui à M. Robert, procureur impérial.

Au mois de juillet 1838, le sieur Veyssier, libraire, fit exécuter des fouilles sur la partie occidentale de la nef de l'ancienne église des Bénédictins, pour y bâtir une maison placée à l'angle de la place de l'Hôtel-de-Ville et de la rue du Collège. Le pavé de l'église reposait sur une couche d'argile rouge, .qui y avait été sans doute placée pour prévenir le tassement inégal du pavé et l'asseoir plus solidement, peut-être aussi pour arrêter les émanations des corps ensevelis dans l'église. Un peu au-dessous du pavé , on trouva une tombe en pierre de taille, moins large vers les pieds que vers les épaules, à l'extrémité de laquelle on avait ménagé un espace carré pour recevoir la tète; elle était recouverte par une dalle de basalte. On trouva dans l'intérieur des ossements et des lambeaux d'une étoffe de soie très-forte et dont la couleur était altérée.

Le sol était composé, jusqu'à une profondeur de 2 m. à 2 m. 35 c., de débris de moellons, de pierres de taille, argile , de charbons, de fragments de bronze fortement oxidés, d'une assez grande quantité de briques et de tuiles à rebord. On y trouva un bloc de ciment composé de chaux et de fragments de briques, en tout semblable à celui des aires gallo-romaines. A 2 mètres de profondeur, on découvrit le soubassement d'un mur qui se dirigeait du nord au midi et qui était évidemment antérieur à l'église; il était composé de rares fragments de basalte noyés dans un ciment d'une extrême dureté, fait avec de la chaux et du sable quartzeux blanc, tel qu'on le trouve mêlé à l'argile de nos terrains tertiaires. Celui qui avait été employé à la construction de l'église était tout différent: c'était du sable do rivière mêlé de parcelles micacées et même de parcelles de roches volcaniques.

Auprès de ce mur était une assez grande quantité de charbons de bois, restes sans doute d'un incendie. Ce mur était à l'est de la maison Veyssier.

A l'ouest, à 5 mètres de profondeur, deux tombes creusées dans le tuf et au-dessous du niveau des fondements de l'église, contenaient des squelettes humains et profondément altérés. La position de ces tombes me porta à les considérer comme antérieures à l'église.

Dans les mois de mai et de juin 1851, l'ancienne halle, située sur la place de l’hôtel-de-Ville, a été démolie. On a trouvé dans les fondations, à 1 m. 66 c. de profondeur, des cercueils creusés dans des troncs d'arbre, au-dessus desquels étaient plusieurs couches de cercueils en planche.

En faisant le nivellement de la place, rendu nécessaire par la démolition de la halle, on a trouvé de nombreux fragments de tuiles romaines et des morceaux de bronze oxidé. On découvrit aussi un tombeau qui contenait les restes de trois corps. I1 était construit en dalles de basalte, dont les unes, formant les côtés, étaient posées de champ, celles qui servaient da couverture étaient appuyées les unes contre les autres en forme de toit.

Les 4 et 5 octobre 1852, les fouilles opérées dans la rue du Collège pour la construction d'un égout partant de la maison de Mlle Violle, faisant autrefois partie du monastère et se terminant en face de la porte de l'église du collège, ont mis à découvert, à 4 ou 5 mètres de distance de la petite porte du collège, une grande quantité de tuiles romaines que j'ai évaluées à une demi-charretée. Ces tuiles, presque toutes brisées, étaient enfouies dans un terrain gras, onctueux, pénétré de matières animales. Au milieu de ces débris, les ouvriers ont découvert sous mes yeux un vase presque entier en poterie rouge fine, ayant la forme d'une assiette ou d'un plateau à rebords. La forme en est d'une grande correction, le vernis parfaitement conservé. A l'intérieur, on lit le nom du fabricant : LIBNVS F. (Libnus fecit). Ce nom n'est pas compris parmi ceux qu'ont cités M. Bouillet dans sa Statistique monumentale du Puy-de-Dôme, et M de Caumont dans son Cours d'antiquités monumentales.

J'ai recueilli des fragments de vases d'une forme différente, mais d'une poterie semblable; l'un d'eux, qui appartenait à une coupe, est entouré d'ornements en relief d'un bon dessin. J'ai trouvé aussi des fragments de poterie fine, noire, le fond d'un vase en poterie blanche et un morceau de vase en verre blanc , avec des ornements en relief. La veille du jour où je visitai ces fouilles, les ouvriers avaient enfoui divers morceaux de poterie portant en relief des figures qu'ils comparaient à des fleurs de lys.

Au nord du lieu où les tuiles étaient accumulées en plus grande quantité, on a découvert les fragments d'un mur se dirigeant de l’est a l'ouest et coupant la rue. Il était construit en blocages de basalte, noyés dans un ciment en tout semblable à celui dont nous avons déjà fait connaître la composition, en parlant des fouilles exécutées dans l'ancienne église des Bénédictins.

En remontant la rue et au nord de ce mur, la nature des débris n'était plus la même : à peine y trouvait-on quelques rares fragments de tuiles romaines; le tuf apparaissait à une moins grande profondeur. Les 9, 10 et 11 octobre, les fouilles ayant été continuées, on a découvert huit tombeaux inégalement espacés et enfouis à des profondeurs différentes; ils étaient tous creusés dans des troncs de chêne divisés en deux parties égales qui étaient, l'une et l'autre, creusées comme des taupiers, d'après la comparaison fort juste des ouvriers. Ces tombes étaient toutes orientées les pieds du corps étaient à l'est, la tête à l'ouest. Le cercueil s'élargissait considérablement vers la tête et allait en diminuant du côté des pieds. Sept de ces cercueils ont été fouillés; on n'y a trouvé que des ossements dont la décomposition était fort avancée. Dans l'un d'eux, on a recueilli des restes de vêtements en laine et de brodequins en cuir.

L'évêque Guillaume Durand (Rationale dioini Officii, lib. vu, di Officio mortuorum), cité par M de Caumont, s'exprime ainsi en parlant des sépultures: «  On ne doit pas revêtir les corps de leurs habits ordinaires, comme cela se pratique en Italie. Selon quelques-uns, il faut leur attacher des brodequins aux jambes, afin qu'ils paraissent tout disposés pour le Jugement dernier. »

Les fouilles dont on vient de parler n'ont été exécutées que vers le milieu de la rue et sur une largeur d'environ un mètre. On ne peut pas douter que, si elles avaient été plus complètes, on aurait découvert beaucoup d'autres objets curieux.

Lors de la construction de l'hôtel-de-ville, on trouva, en creusant les caves et les fondations jusqu'à la profondeur de 6 mètres, un terrain meuble, gras, dans lequel étaient plusieurs couches superposées de cercueils en bois dont quelques uns avaient été creusés dans des troncs de chêne. On en a trouvé de semblables entre l'ancienne halle et l'ancienne église des Bénédictins, sur la place actuelle de l'Hôtel-de-Ville. On en avait découvert encore, en 1834, lors de la construction de la maison de M. Deydier, marchand épicier, dans la rue allant de l'église à la porte St-Mary.

Afin de présenter dans leur ensemble les découvertes faites dans l'enceinte de la ville de Mauriac, nous n'avons pas distingué les monuments de l'époque galloromaine de ceux du moyen âge. Il nous reste à en faire la classification chronologique.

Les tuiles à rebord, les poteries sigillées, les fondements de murs que nous avons décrits appartiennent à l'époque gallo-romaine et prouvent que Mauriac avait des habitants avant l'établissement de la monarchie franque. Il est à remarquer que les vestiges d'habitations romaines se trouvent auprès ou dans l'enceinte de l'ancien monastère. On sait qu'un assez grand nombre d'édifices religieux furent construits sur des ruines de monuments élevés par le paganisme. Le monastère de Mauriac et son église avaient-ils été bâtis sur les ruines d'un temple dédié à Mercure, ainsi que le veut la tradition? Je l'ignore. Ce qui me paraît certain, c'est qu'à la place où ils furent élevés, il avait existé des constructions dues à la civilisation antique. L'archéologie vient donc en partie à l'appui de la tradition et lui donne une sanction inattendue.

Les tombes de diverses espèces, découvertes dans l'intérieur de la ville, appartiennent toutes au moyen âge Elles occupaient la place entière de l'Hôtel-de-Ville, l'emplacement de l'hôtel-de-ville lui-même, une partie de la rue du Collège, et s'étendaient jusqu'à la porte St-Mary. Les sarcophages en pierre trouvés dans les mêmes lieux, et les cercueils creusés dans des troncs d'arbre me paraissent remonter aux époques les plus reculées du moyen âge. Il est parlé de ces derniers dans la loi salique, sous le nom de Noffus ( Ducange. ) L'usage d'inhumer dans des cercueils en pierre avait succédé à la coutume de brûler les corps. Dès les premiers temps du christianisme, on se servit de coffres en pierre, les familles des décédés n'étant pas toujours assez riches pour acheter des cercueils aussi coûteux; on les taillait dans des troncs d'arbre. Ce ne fut que plus tard qu'on se contenta de cercueils en planche. Il est assez difficile de déterminer l'époque à laquelle on cessa d'employer les troncs d'arbres pour les sépultures; mais leur position au-dessous de plusieurs couches de cercueils en planche, semble établir que cette époque est fort reculée. Il résulte en outre, de divers documents, qu'au commencement du XVI° siècle au plus tard, l'ancien cimetière de Mauriac n'occupait que le quart environ de la place actuelle de l'Hôtel-de-Ville, et dans cette partie on n'a trouvé aucun cercueil semblable à ceux dont nous parlons.

Il est à remarquer que le cimetière a occupé, à diverses époques, un espace considérable et hors de proportion avec l'enceinte de l'ancienne ville; on pourrait expliquer ce fait en admettant que depuis plusieurs siècles la population de Mauriac a été considérable. Mais cette explication ne nous parait pas suffisamment justifiée; il en est une autre qui nous satisfait davantage.

On connaît en France, non seulement auprès des villes anciennes, telles qu'Arles, Sens, Autun, mais dans des localités moins importantes, de vastes cimetières; ils n'étaient pas seulement réservés aux morts de la paroisse, on y inhumait encore ceux qui y avaient choisi leur sépulture, à cause des saints personnages qui y étaient inhumés, ou des reliques qui étaient conservées dans les églises voisines. Un historien contemporain raconte qu'au XII° siècle, les villes situées sur les bords du Rhône envoyaient leurs morts pour être inhumés au cimetière d'Arles. Sans doute la réputation du cimetière de Mauriac ne s'étendait pas dans un rayon aussi étendu.

Cependant, dans ces siècles de foi, bon nombre d'habitants de la contrée durent manifester la volonté d'être ensevelis près des lieux où les corps de saint Mary et de saint Quinidius étaient conservés, près de l'église où l'on rendait à la Mère de Dieu un culte solennel, et c'est ainsi que le cimetière prit à Mauriac des proportions qui n'étaient pas en rapport avec la population de la paroisse.