PRISE DE LA VILLE DE MAURIAC PAR LES HUGUENOTS.
Nous avons fait connaître à l'article Chalvignac, au mot Miremont les événements qui précédèrent et qui suivirent la prise de la ville de Mauriac; nous n'y reviendrons pas; nous nous bornerons à raconter cet épisode important des guerres de religion, d'après les documents qui nous ont été conservés.
Dès la fin de l'année 1573, on avait conçu des craintes sérieuses, et on s'attendait à une attaque de la part des réformés qui occupaient le château de Miremont. A partir du 8 décembre, on monta la garde dans la ville, et les chefs de maisons de la terre de Mauriac furent appelés pour y venir faire le guet et augmenter la garde. Les murs de la ville, qui n'étaient pas assez élevés, furent exhaussés dans presque tout leur contour, et fortifiés par des fossés dans les endroits où il n'y en avait pas. Les quatre portes principales, nommées de St-Georges, de St-Mary, de St-Thomas et de St-Jean furent murées. Le chevalier de Montal, auquel on donne le titre de seigneur de Mauriac, avait sous ses ordres les capitaines Soursac et Besaudun. Le capitaine Soursac commandait dans la ville; le capitaine Lejac ou Layac (ce nom est écrit de deux manières) était son lieutenant; ils avaient leur compagnie en garnison à Mauriac, d'après l'ordonnance de M. de St-Herem, gouverneur de la province. Le 16 avril 1374, les huguenots, commandés par le vicomte de Lavedan, vinrent assiéger la ville Le consul Pages était sur la tour de la porte St-Mary, auprès de la maison de François Laborie; il y avait déjà repoussé trois assauts lorsque les huguenots surprirent la ville du côté du Barry-Neuf (rue Neuve), et y entrèrent par escalade. La trahison du capitaine Lejac la leur avait livrée.
Le courageux consul, le brave défenseur de la cité, fut pris et mis en prison; sa boutique, qui contenait toute sa fortune, fut pillée; il demeura pendant six semaines dans une basse fosse du château de Miremont, faute de pouvoir payer la rançon à laquelle il avait été taxé. Etant parvenu à se libérer, il se réfugia au château de Scorailles. Là, il fut averti par M. de Lafayette que le capitaine François Layac était détenu dans les prisons de Riom, accusé d'avoir trahi la ville de Mauriac en la rendant aux ennemis; mais que, faute d'informations et de poursuites, on était sur le point de le relâcher. Pagès, qui se tenait caché, avait des intelligences dans la ville de Mauriac pendant que les ennemis la tenaient, et était au courant de tout ce qui s'y passait et des projets des huguenots. Il fut prié par le lieutenant Rongier et plusieurs autres habitants de Mauriac de se rendre à Riom pour informer contre ledit Layac. Il n'hésita pas à accepter cette mission; six témoins furent entendus à Scorailles par l'autorité de la cour de Riom. Les preuves étaient accablantes; Layac fut ouï, interrogé, condamné à mort et exécuté.
Lors de la prise de la ville, elle fut livrée au pillage; les vases sacrés furent emportés à Miremont, les cloches furent fondues et on en fit des canons. Bouissou, curé de la ville, eut la main droite coupée; Louis de Montclar, chambrier du monastère, fut tué ; d'autres meurtres furent commis, et tous les bourgeois et les prêtres mis à rançon.
Lorsque les huguenots apprirent que le gouverneur St-Herem venait avec une grosse armée pour délivrer la ville, ils ne jugèrent pas à propos de l'attendre. Mais avant de se retirer, ils brûlèrent tous les faubourgs et un tiers des maisons de la ville ; ils découvrirent et pillèrent les temples; ils coupèrent la porte St-Mary, ruinèrent les fortifications, pensant par là rendre la ville démantelée, pour y rentrer à leur plaisir.
Les ennemis abandonnèrent la ville le jour de Ste-Marthe, 29 juillet ; on fonda ce jour là une procession pour rendre grâce à Dieu de la délivrance de la ville. On la fait encore, mais sans pompe, sans solennité ; on ne sait même plus pourquoi elle a été instituée.
La ville était complètement ruinée, mais le patriotisme et le dévouement de ses habitants n'étaient pas épuisés; il fallait rétablir les fortifications, entretenir des gens de guerre; on était sans ressources. Regnault Laborie, bourgeois de Mauriac, fournit les fonds nécessaires; on répara les murs et les portes, une garnison de 80 arquebusiers fut mise à Mauriac, sous le commandement du capitaine Rispide. Quatre corps de garde furent établis et occupés par les habitants de la ville et de la paroisse; on ouvrit la porte St-Georges qui était murée, et on put se défendre contre les ennemis qui venaient souvent escarmoucher et donner des assauts dans les faubourgs et jusqu'aux portes de la ville, pour tâcher de la reprendre (1).
(I) Compte rendu, en 1586, aux conseillers de la maison consulaire, par Me Jean Pages et Anne Delzongles, en qualité de tutrice de Martin Badailh, lesdits Pages et feu Badaith , consuls de la ville de Mauriac, en 1574. Ce compte était conservé dans les archives du monastère. M. le baron de Tournemire avait Tait un extrait de ce document précieux; il m'a été communiqué par M. Et. de Tournemine, son fils. Commission du roi Henri III, donnée à Paris, le 13 juin 1580, portant permission d'imposer sur la ville de Mauriac la somme de 400 liv. tournois, avancée par Regnault Laborie, en I574. L'original de cette commission m'a été communiqué par feu M. Pierre Mirande.
Un manuscrit anonyme, qui finit en 1630 et que je crois être de Louis Mourguios, contient le récit des ravages commis par les huguenots pendant qu'ils tenaient la ville; il est plus détaillé que celui que nous avons fait d'après les titres. Pour ne pas lui ôter sa couleur et lui laisser toute sa naïveté, nous le transcrivons littéralement.
« Cette ville catholique a aussi senti la rage et la malice de l'hérésie de ce temps, ainssi que plusieurs autres villes du royaume. Le vendredi d'après Pasques, 16 d'avril 1574, sous le règne de Henry 3°, elle fust traîtreusement prinse par les calvinistes, lesquels pour la haine qu'ils portoient à la religion catholique , firent plusieurs dégâts durant trois mois douze jours qu'ils furent en icelle, savoir depuis ledit jour 16 avril, jusques au jour de Ste-Marthe, 29 de juillet, qu'ils vinrent à la quitter; auquel jour on a accoutumé de faire tous les ans, depuis, une procession solennelle en action de grace.
Pendant le susdit temps; leur impiété et malice vint jusques à tel point, qu'outre beaucoup de meurtres qu'ils commirent d'abord et de sang froid , tant de prêtres que d'autres habitants, ils brûlèrent les maisons des religieux, le chœur du monastère, celuy de l'église de Notre-Dame et les fauxbourgs de la ville; mirent par terre le toit du cloître, comme aussi du clocher de l'église et celui du fond du monastère où ils mirent le feu. Ils brûlèrent encore la plupart des titres et documents qui concernoient les droits du monastère, les privilèges et antiquités de la ville; fracassèrent les belles et remarquables vitres d'iceluy (2);
(2) ………………….Qui estoient variées
De diverses couleurs, peintes et illustrées
De plusieurs beaux portraits
(Chronique rimés de Mourguios.)
Emportèrent les anciennes, royales et artistement élaborées tapisseries qui couvroient et entouroient les murailles de l'intérieur d'iceluy , ès quelles estoient représentas les mystères de la mort et passion de Notre-Seigneur, comme aussi sa résurrection, son ascension, la mission du Saint Esprit, et encore la bataille et défaite d'Alarir et des Goths ; emportèrent, de plus, les trois cloches qui estaient dans le susdit clocher, d'une merveilleuse et excessive grandeur, desquelles l'une s'appelait Salomon, qui ne servoit seulement que pour l'horloge, l'autre Ballazar et la troisième Mari, qui servoient lorsque quelqu'un des principaux et des plus apparens de la ville estoit trépassé , et pour carillonner lors des processions; le son et tintement desquelles estoit si fort et pénétrant que les personnes qui vouloient parler ensemble ne pou voient s'entendre les unes les autres lorsqu'elles sonnoient, desquelles on fist faire des canons et pièces d'artillerie au chasteau de Miremont.
On emporta aussi les balustres de fer et tous les ferremens desquels les chapelles et le chœur du monastère estoient fermées et embelies, et encore les ferremens des portes de la paroisse ; une croix d'argent surdorée et enrichie de beaucoup de reliques et de pierres précieuses, d'une insigne grandeur, qu'on appelait la Croix de saint Pierre, qui estoit une des plus riches croix qui soit en monastère de France; la châsse du même saint, qui estoit de la grandeur quasi d'un homme. On emporta, de plus, tous les vases sacrés, châsses artistement élaborées des corps de saint Mary et de saint Quinide, qui estoient de fin argent, et plusieurs autres coffrets de même estoffe, où estoient les reliques et ossemens de plusieurs saints. et vinrent à disperser icelles par-ci par-là en jouant entreux; et. finalement, tous les meubles et trésors dont ledit monastère estoit enrichi et décoré- Les susdites reliques furent recueillies et cachées par des gens de bien, et remises par après dans le monastère, entre les mains des religieux, lorsque reste vermine et racaille eut quitté la ville.
Enlevèrent de malice et de rage, de dessus le grand portail de l'église de N.-D.-des-Miracles , ainssi appelée à cause des grandes merveilles qui y ont esté autrefois opérées par l'intercession et faveur de ceste glorieuse vierge; les menottes, ceps et chaînes de plusieurs esclaves captifs et prisonniers qui y avoienl esté suspendues et attachées avec de gros clous; et, non contents de tous ces excès et dégasts, ils vindrent encore à tel point d'insolence et d'indignité, qu'ils faisaient estable du monastère à leurs chevaux, leur faisant manger l'avoine sur les autels, voire faisaient leurs ordures et vilainies sur iceux, et dans les bénitiers, et toute autre sorte d'indignités et d'irrévérences dans icrluy. Ce qui symbolise fort avec leurs grands ayeuls les hérétiques albigeois. »
La ville de Mauriac eut de la peine à se remettre du coup fatal qui lui avait été porté; quant au monastère, il ne s'en releva jamais.
En 1592, quelques brigands, au nombre de 70 à 80, tous à cheval et bien armés, pénétrèrent dans la ville le jour de la St-Mary pendant que toutes les portes étaient ouvertes. Ils pillèrent les habitants, qui ne purent faire que deux prisonniers, et ils s'enfuirent chargés de butin. M. Déribier, auquel j'emprunte ce fait, dit que c'étaient dos ligueurs. Le prévôt Lacarrière se transporta à Mauriac avec le capitaine Lavalette et sa troupe; mais il ne put que constater le pillage et en poursuivre les auteurs.