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L'EGLISE DU MONASTERE.

 La chronique de St-Pierre-le-Vif nous apprend qu'au commencement du XII° siècle, en l'année 1109, il y avait à Mauriac, outre l'église du monastère, un oratoire dédié à Saint-Benoit et la chapelle de Sainte-Marie. Lorsque l'église fut interdite, l'évêque ne voulut permettre la célébration du service divin que dans l'oratoire de St-Benoit, sans sonner les cloches; il n'autorisa le plein exercice du culte que dans la chapelle de Sainte-Marie. L'oratoire et la chapelle étaient donc distincts et séparés de la principale église; s'ils en avaient fait partie, ils auraient été frappés du même interdit.

L'oratoire, plus tard chapelle de St-Benoit, existe encore ; elle dépendait du monastère et correspondait à l'angle nord-est du cloître, dont elle était séparée par d'autres constructions. Depuis la révolution on en a fait deux maisons, dont l'une est occupée par un café. Cet édifice assez vaste a été remanié à diverses époques, tout en lui conservant à l'est sa forme absidale on demi-circulaire. Avant 1789, il avait perdu sa première destination. Une salle contenait les archives; l'étage supérieur servait de grenier pour conserver les céréales. On remarque encore dans la partie orientale de cet édifice quelques restes de la construction primitive.

La chapelle de Sainte-Marie est évidemment l'église de N.-D. des-Miracles; je ne veux pas dire qu'elle était en 1109 telle qu'elle est aujourd'hui, je veux seulement constater qu'à cette époque il y avait une église dédiée à la Vierge indépendante de celle du monastère.

Le moine Clarius, témoin oculaire des événements qu'il raconte, nous fait connaître, sans y avoir pensé, les principales dispositions du monastère et de l'église.

Il y avait une première enceinte qui formait une cour ; ce n'était qu'après avoir franchi cette enceinte qu'on arrivait au réfectoire, au cellier, etc. En partant de la cour, il fallait traverser le cloître pour arriver au devant de la chapelle de St-Benoit; le doyen avait un logement séparé; le cloître communiquait avec l'église. Il y avait dans l'église une tour qui lui servait de défense. La porte par laquelle on y pénétrait était intérieure.

Ces dispositions avaient été si bien conservées jusque dans les derniers temps, qu'on aurait pu penser que le monastère el l'église n'avaient pas subi de changements, si les caractères de l'architecture de ces édifices et des documents précis n'établissaient que de nouvelles constructions avaient remplacé les anciennes sans altérer le plan primitif.

Les bâtiments du monastère existent encore en entier; ils formaient avec l'église un parallélogramme régulier, au centre duquel se trouvait le cloître. Ils étaient séparés du doyenné par une cour. Ces bâtiments n'ont aucun caractère; il n'en était pas de même de l'église qui, malheureusement, n'existe plus. Je n'ai vu d'entier que la nef et la partie inférieure de cette magnifique tour connue dans la contrée sous le nom de Clocher carré. Le chœur n'existait plus au commencement du siècle; l'un des pignons du transept n'a été détruit que depuis une dizaine d'années, lors de la construction de la maison Gibert. La nef était encore entière en 1824; elle fut démolie un an ou deux ans plus tard; les matériaux furent employés à la construction de l'hôtel-de-ville.

Quoique les ruines elles-mêmes de l'antique édifice aient disparu, il nous sera possible d'en donner une description, sinon complète, du moins exacte pour certaines parties, et suffisante pour faire connaître l'ensemble du monument.

Le plan de l'église figurait une croix latine; elle était divisée en trois nefs. Les piliers carrés qui supportaient les Toutes avaient sur chacune de leurs faces des colonnes engagées; les voûtes de la nef et des bas cotés étaient à arêtes; les unes et les autres étaient renforcées par des arcs doubleaux. Les voûtes de la nef étaient garnies de puissantes nervures ornées de chevrons, les fenêtres des bas-côtés étaient en plein cintre; autour de l'archivolte régnait un cordon de billettes. Deux portes extérieures donnaient accès dans la nef; l'une, septentrionale, était ornée de billettes; l'autre, placée à l'occident, était à plein cintre et découpée en festons. Elle était précédée par un vaste porche ouvert de trois côtés et soutenu par des piliers épais, avec des colonnes engagées. C'est par ce porche que la rue du Collège communiquait avec la place et qu'on allait de la place au cours Monthyon. Une tour carrée surmontait le porche ; construite à différentes époques, elle s'élevait à une très-grande hauteur et laissait loin au-dessous d'elle les autres tours de la ville. Pierre de Balzac, doyen depuis 1469 jusqu'en 1501, avait fait réparer la tour et élever la flèche qui la surmontait. Ses armes étaient sculptées à la voûte et en plusieurs autres endroits. La flèche fut incendiée parles huguenots lors de la prise de la ville, en 1574. Une chronique manuscrite qui finit en 1630, et que je crois de Louis Mourguyos, prêtre de Mauriac, parle ainsi de cet évènement : « Ils brûlèrent l'aiguille du clocher du fond du monastère, qui fut une chose lugubre et déplorable à le voir brûler, et un dommage irréparable à cause que c'était un clocher très-agréable à le regarder, et son aiguille-tout-a-fait admirable à raison de sa hauteur, et pour l'artifice d'icelle, une pièce signalée et qui marquait un œuvre des plus somptueux et magnifiques; voire des plus célèbres et relevés qui fussent non seulement au pays, mais encore ès provinces circonvoisines.. »

Cette flèche ne fut rétablie qu'en 1664, par les soins de dom François-Laurent, syndic du monastère; elle était couverte partie en tuile schisteuse, partie en plomb; il y avait à chaque angle du clocher une pyramide ou clocheton en pierre de taille.

Je n'ai pas pu obtenir de renseignements précis sur la manière dont le chœur était disposé; tout ce que l'on a pu me dire, c'est qu'il était fort grand, comme dans la plupart des églises monastiques, et qu'il était séparé de la nef par une grille.

Je trouve dans une lettre du 2 décembre 1631, adressée par dom Placide de Vaulx au révérend père dom Grégoire Terisse, supérieur général de la congrégation de St-Maur, qu'il y avait quatre chapelles; elles étaient dédiées : l'une, à saint Quinide; la seconde, à saint Mary; la troisième, aux saints Innocents; la quatrième, à sainte Théodechilde.

Outre la grande tour carrée, il y avait à la jonction du transept septentrional, avec la nef, une tour ronde appelée le petit clocher, où l'horloge était placée. Une troisième tour octogone dominait le centre de la croix.

Du même coté et en dehors de l'église, était une chapelle que j'ai vue entière; elle était entourée de trois côtés par le cimetière; elle était dédiée à saint Michel. Au-dessous, il y avait une crypte qui servait de charnier; elle était remplie d'ossements humains qui ont été transportés, il y a peu d'années, dans une fosse du cimetière actuel. Les voûtes et les ouvertures de la chapelle étaient à plein cintre, les murs étaient bâtis comme ceux de l'église, en pierre de taille; il était facile de reconnaître les caractères de l'architecture du XII° siècle.

D'après Audigier, Hist. ms. d'Auvergne, le chœur de l'église du monastère était du IX° siècle, et la nef du XI°

N'ayant pas vu le chœur, il m'est impossible de contester l'exactitude de la date donnée par Audigier, quoique je la croie fautive; mais il n'en est pas de même pour la nef. La description que nous en avons faite suffit, ce nous semble, pour établir qu'elle était du XII° siècle.

« Il y a quelques années, me trouvant a Tulle, j'entrai dans la cathédrale ; je fus frappé de sa ressemblance avec l'église du monastère de Mauriac. Même plan, même ornementation ; le style seulement était plus fleuri. Comme à Mauriac, l'église est précédée d'un vaste porche, ouvert de trois cotés et surmonté d'une tour carrée; elle était terminée à l'orient par quatre chapelles » (mérimée, Noies d'un voyage en Auvergne et dans te Limousin, p. 130) ; il y en avait quatre à Mauriac. La porte principale est festonnée, et les nervures de la nef sont ornées de chevrons, ou plutôt de zig-zags. La seule différence que j'ai remarquée consiste dans les ornements des festons qui n'existaient pas à Mauriac. M. Mérimée pense que l'église de Tulle, commencée en 1103, ne fut achevée que vers la fin du XII° siècle.

L'ornementation de l'église de Mauriac était plus sévère, et je serais porté à penser que sa construction avait été terminée quelques années avant celle de l'église de Tulle, quoique l'une et l'autre soient du même siècle.

La cathédrale actuelle de Tulle était avant l'institution de l'évêché, en 1317, une église abbatiale. Géraud de Scorailles, abbé de Tulle, fut présent, en 1131, avec Malfred de Scorailles, doyen de Mauriac, à la donation de plusieurs mas, faite par Etienne de Scorailles, leur cousin, pour la fondation de l'abbaye de Vallète. Geoffroy, moine de Vigeois, fait une honorable mention de Matfred, doyen de Mauriac, en l'année 1174, et il le dit frère de Géraud, abbé de Tulle. Matfred n'était plus doyen en 1179; il était à cette époque remplacé par Hugues de Vaize. Il mourut à Rocamadour, où il s'était retiré, le 27 octobre 1185. Géraud, abbé de Tulle, mourut, d'après Baluze (Hist. de Tulle), le 12 décembre 1188, après avoir gouverné l'abbaye pendant 38 ans.

Ainsi, dans la seconde moitié du XII° siècle, le doyenné de Mauriac et l'abbaye de Tulle avaient à leur tête deux membres de la même famille. Les deux basiliques de Mauriac et de Tulle étaient édifiées dans le même période de temps; dans l'une el dans l'autre on avait suivi le même plan, l'ornementation était semblable. Ne doit-on pas conclure du rapprochement de ces faits que ces édifices avaient été élevés par les deux frères Matfred et Géraud de Scorailles?

Nous parlerons plus loin de l'église de N.-D.-des-Miracles, qui fut bâtie dans le même siècle; nous nous bornerons ici à une simple réflexion. C'est qu'à aucune époque ancienne ou moderne on n'a élevé en même temps dans la ville de Mauriac deux monuments aussi remarquables que nos vieilles basiliques. Il y avait donc au XV° siècle, dans nos montagnes, une puissance, un élan qui ne se sont pas renouvelés depuis. Il y avait la foi sincère, ardente, universelle, qui inspirait les grandes œuvres et créait les moyens de les exécuter.