Traités entre les religieux, Guido de Miramont et Artmand de Mauriac.
Si la foi était vive, si elle enfantait des merveilles, les passions humaines n'en subsistaient pas moins, et les seigneurs féodaux s'y livraient avec d'autant plus de violence qu'elles n'étaient pas réprimées. On donnait aux églises et on les dépouillait, sauf à restituer ensuite ce qu'on leur avait pris, ainsi que le constatent les actes de cette époque. Il existait comme aujourd'hui des droits incontestables, d'autres qui étaient contestés par ignorance ou par cupidité. La justice royale, qui put seule mettre un terme aux abus de la force, n'existait pas encore. Il n'y avait d'autre frein que celui de la religion ; il reprenait tôt ou tard sa puissance; mais son action était assez souvent paralysée. Il y avait peu de monastères qui ne fussent inquiétés par quelque puissant Voisin, et ils étaient souvent contraints d'acheter des protecteurs ou même de partager leurs droits pour en sauver une partie. Ce contrat était fort connu au moyen âge sous le nom de partage; nous en avons deux exemples dans la Haute-Auvergne, à Maurs et à Pleaux. L'abbé de Maurs ne pouvant se défendre des usurpations et des violences de ses voisins, fit un pariage avec l'évêque de Clermont et lui céda la moitié de ses droits. L'abbé de Charroux, duquel dépendait le prieuré de Pleaux, fit, pour le même motif, une concession semblable au roi Philippe-le-Bel.
Nous avons vu à l'article Chalvignac, t. 2, p. 101, que les seigneurs de Miremont voulaient, en 1105, exercer sur les biens du monastère des droits qui ne leur étaient pas dus; le nom de Mauriac, que certains d'entre eux avaient pris, annonçait de leur part des prétentions à la seigneurie ou à une part de la seigneurie de cette ville. Deux traités furent conclus dans le courant du XII° siècle entre les seigneurs de Miremont et le monastère de Mauriac; ces traités sont parvenus jusqu'à nous; ils nous ont paru présenter un véritable intérêt historique; nous en donnerons la traduction d'après une copie que nous avons prise sur les originaux.
« Qu'il soit connu de tous comment s'est terminée la contestation soulevée par les frères de Mauriac contre Pierre Adémar et contre ses fils, Guido de Miramont et Bernard , son frère, au sujet des terres qu'ils avaient usurpées. Le père et le frère de Guido étant morts, Pierre, doyen de Mauriac, et les autres frères se sont plaints contre ledit Guido du tort que son père et lui leur avaient fait, et de l'injure qu'ils avaient soufferte pendant cette contestation ; le doyen, aussi bien que les autres frères, ont supporté très-longtemps de nombreuses angoisses. Enfin Guido, très-souvent averti par ledit doyen, touché de la grâce céleste, se repentit d'avoir méfait envers le Seigneur, le bienheureux Pierre et les frères de Mauriac. C'est pourquoi, poussé par le doyen Pierre, il entra dans la salle capitulaire avec plusieurs habitants de Mauriac, et. en présence du susdit doyen et des frères, il leur abandonna ce qu'il détenait injustement, demandant l'indulgence de tous. La notice des terres délaissées est telle, à savoir : le mas de Faët, principal objet de la contestation, lequel, en définitif, a été remis de bonne foi au Seigneur, à St-Pierre et aux moines de Mauriac, tant présents qu'à venir, entre les mains de Pierre de Mirabel, alors doyen de Mauriac ; la moitié de ce même mas lui (à Guido) fut délaissée, à la charge cependant, tant qu'il vivrait, de demeurer sans contestation vrai et féal au Seigneur, à St-Pierre, au susdit doyen et aux autres moines, afin qu'après sa mort, la moitié dudit mas rentre dans le patrimoine de St-Pierre et de ses serviteurs, sans condition et sans opposition. Il confirma les concessions qu'il avait faites par son serment, librement prêté en plein chapitre, tous l'entendant- Semblablement, il donna et concéda tout ce que son père, ses oncles et ses autres parents avaient délaissé au Seigneur et à St-Pierre. Enfin, il confirma la donation de la rente perpétuelle de deux sols, faite par Bernard, son frère, mort dans le voyage de Jérusalem. Nous avons pour témoins de ce pacte Pierre, archiprêtre, Artmand des Vaïsses, Bernard d'Artiges, R. de Soz, Géraud Benedicti et Rotbert. Toutes ces choses ont été approuvées et confirmées en présence de Pierre, doyen, et de tout le couvent de Mauriac; Louis, roi des Francs, régnant, le pape Calixte, occupant le siége apostolique. »
Calixte II est le seul pape de ce nom qui ait été contemporain d'un roi de France du nom de Louis; il occupa le trône pontifical depuis l'an 1119 jusqu'en 1124 (1). Louis VI, dit le Gros régna depuis l'an 1108 jusqu'en 1137. C'est donc dans l'espace de temps qui s'écoula entre les années 1110 et 1124 que Guido de Miramont confirma les donations faites par ses prédécesseurs, et délaissa au monastère de Mauriac les terres que ses prédécesseurs et lui avaient usurpées.
La date du second traité sera plus difficile à déterminer. Nous l'essaierons cependant; mais avant, nous devons donner le texte de ce traité:
« Qu'il soit notoire à tous les vivants, qu'Artmand de Mauriac et ses fils, ne tenant pas les conventions qu'ils avaient faites avec les moines de Mauriac du
temps de Pierre Amblard, doyen, ont fait de grands maux à la terre du monastère et aux moines, à cause de la leide (2) du sel et de plusieurs prestations casuelles qu'il voulait exiger dans la ville et imposer au monastère. Les moines ayant refusé d'acquiescer à ces prétentions injustes et ne voulant reconnaître à Artmand , dans la ville ou sur les choses du monastère, d'autres droits que ceux qui lui avaient été concédés dans le premier traité, souffrirent de grands maux de la part d'Artmand et de ses fils. Cependant, après de longues contestations, ils se mirent entre les mains d'Eble, vicomte, après avoir donné dix cautions de chaque côté. Eble les conduisit à la cour de Raymond, vicomte, et » là, toutes leurs demandes furent approuvées; mais Artmand ne voulut ni ne put justifier ses prétentions. Plus tard, étant touché par la grâce divine, conduit par le remords et le désir de faire pénitence des maux qu'il avait faits au monastère et aux moines, il vint volontairement et spontanément devant eux, et leur abandonna la leide du sel ; il se départit de l'injuste prétention qu'il avait de prélever sur chaque mas du village de Verlac (Verliac) quatre septiers d'avoine, tout le temps que les animaux desdits mas seraient conduits dans ses pâturages. Artmand se démit de toutes les mauvaises coutumes qu'il prétendait exercer sur le monastère et dans la terre du monastère, et les moines donnèrent à Artmand et à ses fils le mal qu'ils avaient fait à eux et à leur terre. Présents: Altier de Marlat, Artmand des Vaïsses , Pierre Guillaume et Géraud Gausbert, et tous les bourgeois (omnibus burgensibus). »
Les deux vicomtes dénommés dans cette charte sont Eble de Ventadour et Raymond de Turenne; leurs terres touchaient à celles du monastère de Mauriac; c'étaient les seigneurs les plus puissants du voisinage , et il n'est pas étonnant qu'ils eussent été choisis pour arbitres. Ce point me parait être sans difficulté; mais il est plus difficile de déterminer si ce sont Eble 1er ou Eble II de Ventadour, Raymond I° ou Raymond II de Turenne qui furent chargés de régler les différends existant entre le monastère de Mauriac et Artmand de Mauriac Eble I était contemporain de Raymond I", et Eble II vivait du temps de Raymond IL
Raymond, premier du nom, vicomte de Turenne, succéda à Bosou I°, son père, en 1091 ; il vivait encore en 1122. (Justel, hist. de la maison de Turenne, preuves, p. 29). On ignore l'époque da la mort d'Eble 1°, vicomte de Ventadour; mais son fils, Eble II, n'étant décédé qu'en 1170 en revenant de Jérusalem, il est très probable qu'Eble I° vivait en 1122 et peut-être plus tard. En supposant que le traité dont s'agit eût été fait du temps d'Eble II, il serait antérieur à l'année 1170; mais je crois qu'il faut reculer cette date; voici pourquoi : On a sans doute remarqué que dans le premier traité, q»i est certainement antérieur à l'année 1124, Artmand des Vaïsses (de Vaisiis), est au nombre des témoins. Nous retrouvons encore son nom dans le second traité. Il ne serait pas absolument impossible qu'il eût pu être témoin en 1124 et en 1170; mais cela est peu probable ; et nous pensons qu'il faut admettre que l'un et l'autre traité ont été faits vers le même temps, du vivant de Raymond I°, vicomte de Turenne, et d'Eble I°, vicomte de Ventadour, c'est à dire dans le premier quart du XII° siècle.