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 LE MONASTÈRE.

Saint Géraud ne s'était pas trompé; les moines, héritiers de ses vastes et nombreux domaines, construisirent dans chacun d'eux une église ou dotèrent celles qui existaient déjà, de sorte que la majeure partie des revenus fut employée, sur les lieux mêmes, à l'entretien de l'église et du chapelain, et qu'une faible redevance seulement ou un cens modique réservé à l'abbaye, en signe de suzeraineté, était le seul profit qu'elle retira de ses nombreuses possessions. Les terres étaient données à bail emphytéotique à des tenanciers, et, quand la nécessité obligea les abbés à les inféoder aux seigneurs voisins, ils stipulèrent des garanties pour la liberté et le bien-être de leurs vassaux.
D'autre part, l'appui du Saint-Siége ne manqua jamais au monastère d'Aurillac; placé sous sa dépendance immédiate, plusieurs papes se plurent à le doter de nombreux privilèges, et prirent hautement sa défense dans l'occasion. Bien qu'il ne nous reste pas de bulles de notre illustre compatriote, l'immortel Gerbert qui, le premier des Français, s'assit sur la chaire de saint Pierre sous le nom de Sylvestre II, nous le placerons en première ligne au nombre des bienfaiteurs de l'abbaye d'Aurillac. Ses lettres prouvent la tendre affection qu'il conservait pour le monastère dans lequel il avait été recueilli, élevé et initié aux mystères de toutes les sciences cultivées au X° siècle. Nous savons, d'ailleurs, qu'il en enrichit la bibliothèque de livres rares et précieux.
Nous avons encore les bulles de Nicolas II, de 1061 ; d'Alexandre II, de 1068; de Grégoire VII, de 1077 ; d'Urbain II, de 1096; de Pascal II, de 1103; de Calixte H, de 1119; d'Adrien IV, de 1158; d'Innocent III, de 1198, etc. Tous ces papes déclarent le monastère d'Aurillac libre et exempt de toute juridiction épiscopale, autre que celle du Saint-Siége, et prennent sous leur protection spéciale non seulement la ville d'Aurillac, où le monastère était situé, mais toutes les églises, terres et vassaux qui dépendaient de l'abbaye, quelle que fut leur situation.
Or, grâce à l'immense libéralité de saint Géraud; de Jean, deuxième abbé d'Aurillac, son parent; d'une comtesse Aldegarde ; de plusieurs des comtes de Toulouse et de Poitiers, les propriétés immobilières de l'abbaye d'Aurillac s'étendaient dans dix-sept diocèses différents, depuis Poitiers jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, et des Pyrénées au diocèse d'Embrun, dans les Alpes.
L'abbé d'Aurillac disposait d'au moins cent bénéfices, produisant plus de 80,000 liv. de rente, comme on peut en juger par l'extrait suivant d'une bulle de Nicolas IV, en date de 1289.
Principales possessions de l'Abbaye d'Aurillac.
1° Dans la ville d'Aurillac:
Le monastère de St-Jean-du-Buis; Les églises de Ste-Marie (Notre-Dame d'Orlhac); St-Clément (construite par Gérard); St-Benoît (le monastère); St-Etienne (l'église du château); St-Lazare (la Maladrerie); Sle-Marie-Madeleine (couvent de filles).
2° Hors la ville, diocèse de St-Ftour:
Les prieurés de St-Etienne-Cantaleix; St-Paul-de-Montvert; St-Wide; St-Jeande-Donne; Ambials; Landeyrac; Cassaniouze; Cayrols; Jussac; Cros-de-Montamat; Cézens; Talisat; Thiézac; Labrousse; St-Christophe; Marcolès;
Les châteaux de Belhez; St-Etienne d'Aurillac; de Naucelles; d'Ayrens; de StSimon; de Holmis (inconnu);
Les églises de Roumegoux; du Fraisse; de Naucelles; d'Ayrens; de Crandelles; d'Omps; de Teissières; de La Ségalassière; de St-Simon.
3° Dam le diocèse de Clermont: Les prieurés de Fourvolet; de Dauzat; de Persac ou Sperchas.
4° Dam le diocèse de Cahors: Les décanats de Souliac et de Cayrac.
Les prieurés de Montclar; St-Victor; Ardiac; Labarthe; Capdenac; Foissac ; La Capelle-Banhac; St-Cirgucs; St-Cernin-du-Bourg ; St-Julien-dc-Paulhac; Les églises de Labastide, près Cayrac; de Liriac et Varrès.
5° Dam le diocèse de Rodez:
Les prieurés de Montbazens; de Banhars; de Lannuejols; de N.-D. de Veyraguet; de St-Pierre et St-Affrique-de-Causse; de St-Géraud-de-Vaillourles; de St-Géraudde-Comonset;
Le décanat de Varens;
L'église de Pagax.
6° Dam le diocèse d'Alby: Les prieurés de Cieurac et de Puicelsy.
7" Dam le diocèse de Mende:
Les prieurés d'Espagnac et de Quézac.
8* Dans le diocèse de Saintes:
Le prieuré de Lampac ou Sampac.
9e Dans le diocèse de Limoges:
Les prieurés de la Chapelle-St-Géraud; d'Auriac; de Glenic; de Quincey;
La chapelle et le château de Servières.

10° Dans le diocèse de Périgueux: Le monastère de Font-Goulfier;
Les prieurés de St-Privat; St-Paxence; St-Pierre de Rives; St-Fronton.
11° Dans le diocèse d'Angoulême: Le monastère de St-Amand-de-Boixe.
12° Dans le diocèse d'Agcn: Les prieurés de Monsempron; de Montalzat; de Ledat ; d'Almayrac.
13° Dans le diocète de Toulouse:
Les églises de Cambiac; de Varennes; de St-Pierre et St-Paul de Toulouse;
Le prieuré de St-Sulpice;
Le château de Soliniac.
14° Dans le diocèse de Vente:
Les prieurés de St-Marcelin d'Embrun et de St-Géraud d'Aspres.
15° Dans le diocèse de Valence:
Le prieuré d'L'pie.
16° Dans le diocèse de Die:
Les prieurés de St-Pierre et St-Géraud de Saillans; St-Pierre et St-Géraud d'Aoste; de Bourières; de St-Nazaire.
17° Dans le diocèse de Viviers:
Le prieuré de La Vausse.
18° Dans le diocèse de Compostelle:
Le prieuré, l'église et l'hôpital de Ste-Marie-du-Mont.
Le pape Nicolas IV déclarant, dans la bulle où nous puisons cet extrait, qu'il ne fait qu'énoncer quelques-uns des bénéfices du monastère d'Aurillac, on peut juger, par ce simple aperçu, qu'elle devait être la richesse et la puissance de nos abbés.
Il n'est pas question, d'ailleurs, dans cette nomenclature, des domaines inféodés soit aux vicomtes de Carlat et de Turenne, soit à d'autres seigneurs du pays. Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, on a vu à l'article Arpajon quelle était l'étendue de l'arrière-fief tenu par les Astorg d'Aurillac, pour les châteaux de Conros et de Labastide, et de leur fief pour le château de Laroquevieille. La bulle de Nicolas IV n'en dit pas un mot, non plus que des châteaux de Viescamp et d'Escorailles, aussi tenus par les Astorg, et une foule d'autres fiefs, dont nous aurons peut-être occasion de parler bientôt. Elle ne dit rien du monastère de Maurs, de l'église de Montsalvy et d'une foule d'autres qui appartenaient aussi au monastère d'Aurillac, de sorte qu'on se tromperait gravement si l'on croyait trouver, dans l'analyse que nous avons donnée ci-dessus, un inventaire complet des possessions de notre abbaye.
Nous avons déjà dit que les revenus de ces immenses possessions avaient été employés par les abbés d'Aurillac à assurer, autant que possible, le bien-être et la sécurité des vassaux qui habitaient leurs terres, et à adoucir leurs mœurs, en répandant sur eux l'instruction religieuse. La plupart des églises fondées ou dotées par nos abbés étaient desservies par des moines ou par des ecclésiastiques séculiers, qui avaient reçu dans l'abbaye même une instruction solide. A cette époque, il n'y avait guères d'écoles que dans les monastères ou dans quelques communautés de prêtres, suivant une règle monastique. Sous ce rapport, le monastère d'Aurillac devint bientôt célèbre.
Son fondateur avait eu l'idée d'abord de le peupler de jeunes nobles du pars, qu'il avait envoyés au célèbre monastère de Vabres pour y faire leur éducation religieuse. Mais, soit manque de vocation, soit que le temps consacré à leur noviciat eut été trop court, quand ils revinrent à Aurillac, il s'aperçut avec douleur que ces jeunes gens ne répondaient pas à l'idée qu'il se faisait d'un véritable moine qui, selon lui, ne devait plus appartenir à la terre et être plutôt un ange qu'un homme. Voilà pourquoi, peut-être, il fit sept fois le voyage de Rome et visita plusieurs fois les églises de St-Martin de Tours et de St-Jacques de Compostelle, cherchant partout des moines selon son cœur et dignes de la sainte mission qu'il leur destinait.
Il y réussit enfin, s'il faut en juger par les résultats consacrés par l'histoire. On lit, en effet, dans l'Histoire littéraire de France, vol. 6, page 23: « La doctrine » de vérité qu'on enseignait à Cluni se communiqua aux autres monastères, où » passa l'institut de cette célèbre abbaye. On préjuge aisément combien se multi plièrent les écoles par cette voie. Elle passa à Aurillac, en Auvergne, comme ailleurs. Ce monastère, qui avait été fondé vers la fin du siècle précédent par saint Géraud, dont on a déjà parlé, fut le berceau du principal renouvellement des lettres qui se fit en ce X° siècle.
Jean de Sarisbery, évêque de Chartres, qui mourut en 1181 ou 1182, dit, en parlant des moines de Luxeuil : « Ils sont les maîtres non seulement des hommes éloquents, mais de l'éloquence elle-même, car, égaux en plusieurs points aux moines d'Aurillac, qui ont acquis une grande habileté et une longue pratique d'un grand nombre de sciences, ils l'emportent d'autant plus aisément sur eux en éloquence, qu'à Luxeuil on devient et on naît éloquent.»
Ces citations suffiraient seules pour prouver à quel éminent degré d'instruction le» moines d'Aurillac étaient parvenus; mais, l'honneur qu'ils ont eu d'être les premiers maîtres et les bienfaiteurs de l'illustre Gerbert, qui étonna son siècle par sa science prodigieuse, et eut l'honneur de compter parmi ses élèves un roi de France et un empereur, nous dispense de toute autre preuve. On nous pardonnera donc de citer ici quelques-unes des lettres dans lesquelles l'illustre pontife épanche son cœur dans celui de ses anciens maîtres et de ses amis, et témoigne sa vive affection et sa reconnaissance pour le monastère qui fut son berceau.
A Raymond, moine d'Aurillac. (Lettre 45°.)
Les Latins et les Barbares, qui participent aux fruits de nos travaux, connaissent la vivacité de notre affection pour vous ; ils appellent de leurs vœux votre présence, parce que, connaissant tous de combien d'inquiétudes je suis accablé, ils n'ignorent pas que vous seul pouvez me rattacher au lieu qui est à présent le centre de mes études. La philosophie est le seul remède que l'on ait pu trouver encore contre cette sorte d'agonie; aussi est-ce dans son étude que nous avons puisé souvent de grandes consolations. Dans ces temps de troubles, par exemple, elle nous a servi à. supporter les coups de la fortune, lorsqu'elle sévissait avec tant de fureur contre les autres et contre nous-mêmes. Lorsqu'en effet l'état des choses était tel en Italie que nous étions réduits à la triste alternative ou de courber la tête sous le joug des tyrans si nous voulions rester sans tâche, ou de rassembler nos clients, fortifier nos châteaux, semer partout le ravage, l'incendie et la mort, si nous aimions mieux faire usage de nos forces; nous avons préféré les loisirs de l'étude, qui ne nous trompent jamais, aux incertitudes et aux hasards de la guerre.
Cependant, comme en poursuivant les déductions philosophiques nous n'étions pas devenu vraiment philosophe, nous n'avons pu apaiser tous les mouvements impétueux d’une âme trop ardente, et ils nous ont bientôt ramenés à ce que nous avions abandonné. Tantôt, par les conseils de notre ami l'abbé Guarin, nous voulons aller trouver les princes d'Espagne ; tantôt nous sommes détournés de ce dessein par les lettres, sacrées pour nous, de notre souveraine l'impératrice Théophanie, toujours auguste, et si digne d'être éternellement aimée et obéie.
Dans une telle incertitude, dans ce flux et reflux de douleur, de crainte, de joie, de désirs, anxiétés auxquelles mon père Géraud est toujours inaccessible, Gensert, son fils bien-aimé, lui demande, avec confiance, un avis qu'il est bien résolu de suivre. Salut, salut à mon père Géraud, salut à frère Âyrard, salut très saint ordre qui m'as nourri, élevé et instruit ; souvenez-vous tous de moi dans vos prières; souvenez» vous aussi de mon père Adalberon, archevêque de Reims, qui vous est entière ment dévoué. »
A l'Abbé Géraud d'Aurillac. (Lettre 46e.)
Je ne sais si Dieu a donné aux hommes quelque chose de plus précieux que des amis; j'entends des amis que l'on reconnaît, après les avoir éprouvés, tels qu'on les désirait avant de les connaître. Heureux jour! heure fortunée auxquels il m'a été donné de rencontrer un homme dont le souvenir seul chasse de mon cœur les ennuis qui l'accablent. Ah! si je pouvais, ne fut-ce que de temps à autre, jouir de sa présence, je m'estimerais trop heureux. Dans cet espoir, je
m'étais préparé en Italie une demeure assez agréable. Mais, le voile impénétrable qui cache aux mortels le secret de leurs destinées, me laisse dans le doute si la mienne m'emporte ou me dirige tantôt vers un but, tantôt vers un autre.
Cependant, ils restent gravés au fond de mon cœur les traits de mon ami, de cet ami » que j'aime à appeler mon maître et mon père. Ô Géraud ! Ordonnes et j'obéis.»
Gerbert, à l'abbé d'Aurillac et à ses frères. (Lettre 33e, partie 2.)
Absorbé par une foule de soins et d'embarras sérieux soit dans l'exercice de mes fonctions, soit dans l'intérêt de ma ville archiépiscopale, je n'ai voulu, jusqu'à ce jour, vous faire connaître ni par écrit, ni verbalement par un messager, » ce qui se passe à mon occasion.
Aujourd'hui, puisque le frère...., ainsi que je vous l'avais écrit bien antérieurement par un autre porteur Tandis que pour la cause de Dieu je fuyais la ville de Reims, Dieu, par sa grâce, m'a fait asseoir sur son siége archiépiscopal. Cette élévation a excité contre moi l'envie des grands et du peuple. Ne pouvant satisfaire leur passion par les armes, ils en demandent les moyens à toutes les ruses de la chicane. Certes une attaque à main armée serait moins intolérable que cette lutte de subtilités et d'arguties. En effet, quoique j'aie satisfait à mes adversaires par mon éloquence et la manière avec laquelle j'ai interprété les saints Canons, ils n'ont point encore déposé la haine qu'ils ont conçue contre moi. A mon aide donc mes révérends pères, secourez votre élève, en offrant à Dieu pour lui des prières ardentes; la victoire du disciple est la gloire du » maître.
Je vous rends grâces à tous en général pour les soins que vous avez pris de mon éducation, mais j'en remercie en particulier mon père Raymond, à qui, s'il est en moi quelque science. j'en suis redevable, après Dieu, plus qu'à personne au monde. Qu'il fleurisse donc,
votre saint collège; qu'ils soient heureux ceux que j'ai connus autrefois, ceux avec qui j'étais lié par les liens de l'affinité, s'il en reste encore parmi vous. Ce n'est pas que mon élévation me les ait fait oublier si je ne connais que leur visage, c'est que les persécutions des Barbares, au milieu desquels je vis, m'ont brisé, macéré, et, si je puis parler ainsi, ont fait de moi un tout autre homme.
Ce que j'ai appris dans mon adolescence, jeune homme, je l'ai oublié; ce que j'ai ambitionné dans ma jeunesse, vieux aujourd'hui, je l'ai méprisé; tels sont les fruits que je retire de mes travaux. O vains plaisirs ! Voilà les jours que procurent les honneurs du monde. Croyez-en donc mon expérience, plus la splendeur qui les environne élève extérieurement les grands, plus elle les ronge et les supplicie intérieurement.»
En traduisant ces trois lettres, nous avons voulu faire connaître notre illustre compatriote, montrer la sincère et vive affection qu'il conservait à ses anciens maîtres et au monastère dans lequel il avait puisé les connaissance! qui, en l'élevant au comble des honneurs, lui firent une existence si agitée et si malheureuse. Nous avons voulu aussi prouver, par ses propres écrits, que Gerbert appartient réellement à Aurillac par sa naissance, par son éducation première, par l'instruction qu'il y a reçue, par ses affections, par tout ce qui fait aimer la patrie. Il était né sur les terres de l'abbaye, à Belliac, paroisse de St-Simon; une tradition immémoriale l'atteste. D'anciens terriers constatent encore que des terres et des bois lui avaient appartenu, puisqu'elles portaient le nom de terres et bois du pontife. Il fut reçu jeune au monastère d'Aurillac, qu'il appelle meus altor, mon père nourricier; il dit lui-même qu'il y fut élevé, instruit, et que, s'il est en lui quelque science, il en est redevable à l'abbé Raymond plus qu'a personne au monde. Il y avait des parents, des alliés, affinitate conjuneti, même après avoir fait venir en Italie ceux qui probablement lui tenaient de plus près, ainsi qu'il le dit dans sa IIe lettre. Donc évidemment sa famille était établie dans les environs; donc il nous appartient tout entier.
Mais, Gerbert n'est pas le seul enfant d'Aurillac qui ait, à cette époque, profité des leçons habiles de Géraud de St-Céré et de Raymond de Lavaur. Un de ses condisciples, Théotard, fut élu, en 998, par le clergé et le peuple du Puy, pour occuper le siége épiscopal de cette ville, à la place de l'usurpateur Etienne de Gévaudaa, qui venait d'être déposé au concile de Rome. Cette élection libre d'un moine étranger à un évêché constamment brigué et presque toujours occupé par des hommes appartenant aux familles les plus distingués du Velay et de la Basse Auvergne, fait assez l'éloge de Théotard.
Saint Robert, fondateur de l'abbaye de la Chaise-Dieu, petit-neveu de saint Géraud, doit aussi, suivant toute apparence, avoir été élevé dans le monastère d'Aurillac. Ce qui est certain, au moins c'est que Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris de 1228 à 1248, l'ami, le confident et le conseil de Saint-Louis, était un des disciples de l'abbaye d'Aurillac. Il appartenait, avons-nous dit à l'article Arpajon, à la famille des Astorg d'Aurillac, ainsi que son frère Géraud, archidiacre de la Marche en 1227. Il était, disent les savants auteurs de la Gallia Clnistiana, « très instruit dans les lettres sacrées et profanes, et surpassait tous les docteurs de son temps par sa science, son éloquence, sa piété et la variété de ses connaissances. »
Voici ce que disent de Guillaume d'Auvergne les auteurs de l'histoire de l'Eglise gallicane:
« 11 n'y a presque point de sorte de sciences où il ne fut profondément versé; théologien, philosophe, mathématicien, il avait, sur toutes les matières qu'il touchait, une sagacité et une pénétration qui l'ont distingué entre les plus grands maîtres. Sa méthode dans les matières de théologie consistait à en faciliter l'intelligence et à les rendre sensibles par des comparaisons et des similitudes tirées des choses qui tombent le plus communément sous les sens. Instruit à fond de la différence des sentiments dans la doctrine des anciens philosophes, il répandait par là beaucoup de jour sur l'opposition où il les mettait, en les confrontant avec les chrétiens; et, aussi formé qu'on le pouvait être de son temps à l'étude des mathématiques, il faisait sentir dans tout le reste la justesse et la pénétration de son génie.
Ce n'étaient pas non plus des hommes ordinaires que ces autres enfants d'Aurillac dont l'histoire a conservé les noms. Astorg d'Orlhac, le troubadour, qui pleura si amèrement la mort de Saint-Louis; un autre troubadour dit le moine de Montaudon; Guillaume Beaufeti, médecin de Philippe-le-Bel, et évêque de Paris en 1304; Pierre Jacobi, professeur de droit à Montpellier, auteur de la Pratique dorée, qu'un de nos savants compatriotes nous a fait depuis peu connaître; Pierre Bertrand, successivement évêque de Nevers et d'Autun, et cardinal en 1330; le cordelier Jean de Roche taillade; Jean Rolland, évêque d'Amiens; Pierre Fortet, fondateur à Paris du collège de ce nom; Jean de Cinq-Arbres, professeur d'hébreu et de syriaque au collège de France, etc.
Il faut bien que le monastère d’Aurillac, seule école où la jeunesse du pays pût être alors instruite et élevée, ait été peuplée de bonne heure d'hommes distingués, et que les sciences y aient été cultivées avec soin, puisque, malgré sa destruction brutale, l'anéantissement de ses archives, la spoliation de sa riche bibliothèque, la dispersion de ses titres, nous retrouvons encore, après huit siècles, tant de preuves palpables de sa mission civilisatrice.
Disons-le donc sans crainte, la généreuse semence jetée par saint Géraud était tombée sur une terre féconde; le monastère qu'il avait fondé avait hérité de ses biens, mais aussi de sa ferme volonté de les employer à faire le bonheur de ses vassaux. Les abbés d'Aurillac fondèrent, dans tous leurs domaines, des églises; ils y ouvrirent des écoles; ils attachèrent au sol une population jusqu'alors nomade, et, grâce à la protection du Saint-Siége et au respect général qu'inspirait l'église dans les premiers temps, les vassaux de l'abbaye, jouissant d'une tranquillité relative, purent acquérir une certaine aisance, se grouper en associations capables de se défendre elles-mêmes, et s'assurer ainsi des droits et des libertés plus grandes que partout ailleurs.
Puis vinrent des jours mauvais: l'hérésie des Albigeois d’abord, les longues guerres entre la France et l'Angleterre ensuite, enfin le schisme du XVI° siècle; la protection de l'Eglise ne suffisait plus alors pour mettre ses vassaux à l'abri do fléau de la guerre, elle servit même à la fin de prétexte pour les attaquer ; mais, ils étaient forts déjà et ils résistèrent. La ville d'Aurillac survécut à l'abbaye qui avait abrité son berceau. Peut-être vit-elle avec plaisir, en 1561, la sécularisation de cette abbaye, contre laquelle elle avait lutté longtemps pour en arracher chaque fois quelque nouvelle concession. Mais le pouvoir, la force, l'activité de ses consuls, de ses conseillers, de ses assemblées populaires, avaient besoin de ce contrepoids, de cette émulation incessante, de ces luttes trop souvent passionnées contre le pouvoir abbatial, et nous verrons bientôt qu'après la sécularisation de l'abbaye les franchises, les privilèges, les immunités de la ville s'effacèrent peu à peu pour n'être plus qu'un souvenir.