LA CHAPELLE D'AURENQUE
Dans la nuit du 4 au 5 août 1581 les protestants, réunis en armes au Mur-de-Barrès, tentèrent, bien qu'en pleine paix, de s'emparer de nouveau de la ville d'Aurillac. A l'aide de deux échelles, un certain nombre d'entre eux étaient déjà sur les murailles, et leur trompette criait - Victoire. La sentinelle de la tour Malras avait été tuée et l'ennemi, se dirigeant le long du rempart vers la porte d'Aurenque, croyait aussi surprendre le factionnaire qui veillait à la tour Seyrac; mais, il avait entendu du bruit, donné l'alarme et défendit courageusement son poste. Voyant qu'ils ne pouvaient pénétrer dans la tour, les protestants descendirent, par. le toit, dans une maison qui en était proche. Mais, les habitants d'Aurillac accouraient en foule et entrèrent avec eux dans la maison. Tandis que l'on combattait avec acharnement dans les chambres hautes, quelqu'un eut l'idée de mettre le feu à une écurie attenant à cette maison. Le feu la gagna en un instant et Confondit, dans un même désastre, amis et ennemis.
Sept de nos compatriotes perdirent la vie dans cette nuit malheureuse. Guy de Veyre et Pierre Moles, bourgeois; Me Pierre Combes, notaire ; Guillaume Maurie, pelletier; Laurens Guiral, praticien; Jean Laparra, cordonnier, et Jacques Lagarde, maréchal.
Les protestants s'enfuirent, abandonnant échelles et trompette.
En action de grâces de cette délivrance de la ville, il fut résolu, le 22 du même mois, dans une assemblée générale du corps-de-ville, 1° que chaque année, le 6 août, il serait fait une procession générale où assisteraient les chanoines de l'église St-Géraud, les prêtres de l'église Notre-Dame d'Orlhac, les religieux de St-Françcis et les carmes; les religieuses de St-Jean-du-Buis, les consuls, magistrats et habitants de la ville; les bailes des confréries avec leurs torches et armoiries; en un mot tous les corps de la ville, car les trois autres couvents de religieuses n'ont été fondés que plus tard;
2° Qu'au-dessous de la tour Seyrac, et à l'endroit où l'on avait combattu, il serait construit une chapelle où chaque dimanche on célébrerait la messe pour remercier Dieu, la sainte Vierge et saint Géraud de la protection qu'ils avaient accordée à la ville et pour le repos des âmes de ceux qui avaient péri en combattant;
3° Que le 6 août il serait chanté, à perpétuité, dans l'église St-Géraud, une messe solennelle de Requiem pour le repos des âmes de ceux qui étaient morts pour la défense de la ville, et que ce jour serait observé comme jour de dimanche par tous les habitants jusqu'après la fin de l'office;
4° Qu'enfin la trompette abandonnée par les protestants serait conservée à la maison commune avec une inscription rappelant l'origine de ce trophée et les noms des victimes.
Ce vœu a été rempli. La chapelle d'Aurenque, que nous possédons encore, a été construite sur le lieu même où se sont passés les événements que nous venons de rapporter. La trompette des protestants est encore à la bibliothèque de la commune, et, lors de la dernière restauration de la chapelle, par les soins éclairés de M. Grognieb, ancien maire, les noms des défenseurs de la ville ont été rétablis sur les murs, en face de l'autel.
On peut voir encore, avec intérêt, dans la chapelle d'Aurenque, trois tableaux qui représentent le combat, l'embrasement et la procession. Nous ne les recommandons pas comme peinture, ce serait une dérision, mais à cause des costume» et de la couleur locale.
Guy de Veyre, qui périt le 5 août, était frère du premier consul, capitaine de son-quartier, et fiancé, dit-on, avec une demoiselle de Cayrol; au milieu des débris calcinés de ses camarades et des ennemis, on ne le reconnut qu'à une bague que lui avait donnée sa fiancée. Il y a peu d'années encore, qu'au-dessus de l'ogive de la chapelle du Sacré-Cœur, au Monastère, on voyait un écu contenant une main d'homme. Une vieille tradition, que je ne garantis pas, assure que M"e de Cayrol, fidèle à son fiancé, ne voulut jamais se marier, qu'elle fit réparer cette chapelle et graver sur la pierre la main qui lui avait servi à reconnaître les restes de Guy tic Veyre. Voilà le sujet d'une légende intéressante.
Je regrette que cette pierre n'ait pas été respectée ; vraie ou non, cette tradition avait quelque chose de respectable, et, nous sommes si pauvres sous ce rapport, qu'un souvenir touchant méritait plus d'égards.
Mgr De Mabgieryf. a rétabli, depuis quelques années, la procession du 5 août, et, à cette occasion, Mgi; Bertaud, évêque de Tulle, dans une improvisation vive, animée, ardente, pleine de mots heureux, d'expressions hardies, de métaphores inattendues, d'un luxe de poésie qui n'appartient qu'à lui seul, a rappelé les motifs patriotiques et chrétiens qui avaient porté nos pères à l'instituer. C'était la première fois que Mgr de Tulle se faisait entendre à Aurillac; il nous donna à tous une haute idée de son rare talent.