LE COLLÈGE DES JESUITES.
Le dernier jour du mois de janvier 1548, pardevant Capolet, notaire, dame Jchanne La Treilhe, veuve de feu Ferrando de Villeneuve, bourgeois d'Aurillac, fit donation de la moitié de tous ses biens meubles et immeubles pour l'établissement, à Aurillac, d'un collège dans lequel les enfants pauvres pussent être élevés, nourris et instruits.
Elle nommait curateurs de cet établissement messire Jehan de Veyre, prieur de Ginolhac, et Pierre de Combes, ses parents, et désignait, après leur mort, les deux premiers consuls de la ville, deux bailes de la communauté des prêtres de l'église Notre-Dame et son plus proche parent, pour former le conseil d'administration du collège à fonder.
Il paraît que cette donation de moitié biens, et la demande en partage qu'elle nécessita, donnèrent naissance à d'assez longs débats entre les administrateurs et les héritiers de MTM La Treilhe. Ils furent terminés par une transaction du 26 juillet 1566 entre Jean de Veyre, seigneur du Claux, bourgeois d'Aurillac, maîtres Pierre Bladanet et Guillaume Conthe, prêtres et bailes de la communauté, et honorables hommes maître Nicolas de Talon, docteur en médecine, et Bernard du Mas, seigneur de la Moretie, premier et second consuls, tous cinq agissant comme administrateurs, d'une part; et sire Jean Martin, seigneur de Senhalac, habitant du Mur-de-Barrès, héritier pour moitié, et la famille Caldaguès, héritière de l'autre moitié, d'autre part. Par cet acte le domaine de Besse, paroisse d'Ytrac, divers héritages des affars du Mayniel et Delolm, ainsi qu'environ dix-huit cents livre' de créances furent attribués au collège. Cette donation et plusieurs autre, qu’il serait trop long d'énumérer ici, permirent enfin aux consuls de s'occuper de l'érection d'un collège à Aurillac.
En 1617 on commença à s'en occuper sérieusement; mais, comme il fallait le consentement d'un grand nombre de personnes, ce ne fut que dans le courant de 1818 que l'on convint de confier la direction du collège aux pères de la compagnie de Jésus. M. de Senczergues, premier consul et procureur du roi; M. Molé, avocat et syndic, et M. François Maynard, président, furent chargés de s'aboucher avec les R. P. Dandin, visiteur; Savy, provincial, et Auzorme; et, le 19 février 1619, ils passèrent avec eux un accord à Toulouse, par lequel la ville s'obligeait à construire le bâtiment et à le doter de 3,000 liv. de revenu, et les pères, de leur côté, s'obligeaient à y tenir un personnel suffisant pour cinq classes.
A peine installés, les jésuites, comme les autres religieux de la ville, payèrent leur bien-venue par le sacrifice de leur vie. En 1628 le père Jean-François mourut de la maladie contagieuse dont il avait été atteint en prodiguant ses soins aux malades et aux mourants; le père Clavel, qui en fut aussi atteint,.en échappa comme par miracle.
En 1688 le corps-de-ville arrêta une imposition extraordinaire de 20,000 liv. sur toute l'élection pour la construction du grand bâtiment du collège. On supprima trois petites rues qui traversaient l'enclos actuel et l'on acquit, pour faire l'église, un jeu de paume attenant aux dépendances de l'hôtel du commandeur de Carlat.
Le collège d'Aurillac était vaste, bien aéré, et certainement un des plus beaux qu'il y eut à cette époque. Nous l'avons heureusement conservé dans son entier, et c'est, sans contredit, le plus beau monument de la ville. Les pères jésuites l'ont tenu pendant cent quarante-deux ans, jusqu'à l'époque de leur bannissement, en 4762. Pendant tout ce temps, il fut fréquenté par un nombre considérable d'écoliers, accourus tant des prévôtés d'Aurillac et Maurs que des provinces voisines. Aussi était-il devenu riche ; le domaine de Cologne avait été joint à celui du Besse. Demoiselle Dauphine de Monjuou, femme du Sr Boissière de Layniac, avait donné au collège les domaines qu'elle possédait à Layniac et à Marcolès. Il avait aussi acquis le domaine de Frauziol. Il possédait plusieurs héritages particuliers à Pers, à la Trémolière, à la Ségalassière ; des maisons et des boutiques à Aurillac. On y avait uni le prieuré de Drugeac et les chapellenies de Carlat, la prébende préceptoriale de l'abbaye St-Géraud et une autre de l'église Notre-Dame d'Aurillac. Aussi, de cinq classes seulement qu'il avait en 1620, on était parvenu à compléter le cours entier des études.
Les jésuites ne se bornaient pas à enseigner dans leurs classes; ils fournissaient aux consuls de bons prédicateurs, et, pour conserver et entretenir l'esprit religieux dans toutes les classes de la société, ils avaient établi à Aurillac quatre congrégations : celle des messieurs, celle des artisans, la congrégation des filles de Ste-Agnès et celle des filles des artisans, et les dirigeaient toutes les quatre.
La congrégation des filles de S1e-Agnès, fondée à Aurillac au XVI° siècle par les R. P. du collège, et peu après instituée aussi par eux à St-Flour, fut approuvée par un bref de Clément XI en date du 30 septembre 1707, et s'étendit bientôt dans tout le diocèse de St-Flour. Elle a survécu, a Aurillac, aux pères qui l'avaient fondée, et se conserve encore, en dépit de toutes les révolutions qui ont agite la France depuis sa création. Peut-être que ces filles, simples et pieuses, ne savent pas que leur société, à Aurillac, a été la mère et le modèle de toutes celles qui se sont formées depuis dans le diocèse et ailleurs; mais, nous avons pensé qu'il était juste de ne pas oublier cette institution primitive dans la nomenclature de toutes les bonnes œuvres que notre ville a vu naître ou se développer. Le 3 mars 1764 le roi fit un règlement pour l'administration du collège d'Aurillac qui porte:
« Article 2. — Ledit collège sera composé d'un principal, d'un sous-principal, » de deux professeurs de philosophie, d'un professeur de rhétorique et de cinq » régents pour les seconde, troisième, quatrième, cinquième et sixième classes.
» Article 4. — Les honoraires du principal seront et demeureront fixés à la » somme de 600 liv., ceux du sous-principal à celle de 500 liv., ceux des deux » professeurs de philosophie et de celui de rhétorique à 600 liv, ceux du régent de troisième à 540 liv., ceux des régents de quatrième et de cinquième à 480 liv., et ceux du régent de sixième à 400 liv., le tout par chacun an.
» Article 5. — Voulons toutefois qu'il soit sursis à remplir les places de sous» principal, des deux professeurs de philosophie et du régent de sixième, jusqu'à ce que les revenus dudit collège puissent le permettre; ce qui pourra être ordonné successivement au fur et à mesure de leur augmentation, et par délibération du bureau d'administration dudit collège, et après qu'elle aura été homologuée en notre cour de parlement, à la requête de notre procureur-général et sans frais.
Les consuls n'avaient pas attendu ce règlement pour pourvoir, autant qu'il était en eux, aux besoins des élèves. Par délibération du 22 juin 1762, ils avaient nommé cinq professeurs ecclésiastiques, savoir : M. Picard pour la rhétorique, aux appointements de 300 liv. ; M. Lacoste pour la seconde, à 270 liv. ; M. Lathelise pour la troisième, à 250 liv.; M. Salarnier pour la quatrième, à 240 liv., et M. Espinadel pour la cinquième, à 240 liv. De plus, moyennant 60 liv., les pères cordeliers se chargeaient de la philosophie, et le portier et le sonneur coûtaient 40 liv. Ainsi, au lieu de 600 liv. qu'ils donnaient aux jésuites, il fallait en dépenser 1,400.
Le 15 octobre suivant, dans une nouvelle délibération, on convint de placer au collège un professeur de philosophie aux appointements de 600 liv., et un correcteur qui devait être payé sur les revenus du collège, on ne dit pas à quel taux.
Tous ces ecclésiastiques étaient dignes et capables; de nombreux écoliers fréquentaient le collège, et les administrateurs, par la confiscation des biens des jésuites, se virent bientôt en état d'autoriser l'ouverture d'un pensionnat. Mais, hélas! Moins de dix ans après l'installation du nouveau personnel du collège, Aurillac n'avait plus ses consuls, ses anciennes franchises municipales n'avaient pas été plus respectées que les libertés de l'Eglise; et, vingt ans plus tard, le nouveau collège était fermé, ses immeubles saisis et vendus, son mobilier dispersé, et la riche bibliothèque des jésuites servait à faire des cartouches.
Nouvelle preuve a l'appui d'une observation que j'ai déjà faite plus haut. Un abus de pouvoir est la source de plusieurs autres, une injustice soufferte en légitime de nouvelles; si l'on ne veut pas en être un jour victime soi-même, il faut vouloir la justice pour tous.