ORIGINE DE LA VILLE D'AURILLAC.
Il est toujours difficile de remonter à l'origine d'une ville quelque peu ancienne, de démêler la vérité à travers les conjectures, les suppositions, les systèmes des auteurs qui, s'étant déjà occupés de cette recherche, l'ont souvent obscurcie, en entassant textes sur textes, invraisemblances sur invraisemblances; nous noue bornerons donc à dire que son nom indigène et primitif est ORL1IAC, ainsi écrit dans les plus anciens manuscrits romans qui nous restent, et qu'on prononçait ORLIAC, comme nous le faisons encore en patois. Ce nom a été traduit d'abord en latin AURELHACUS, c'est l'orthographe du testament de saint Géraud, puis AURELIACUM, c'est celle du texte de saint Odon, et plus tard AURILIACUM
C’est ainsi que les Bénédictins ont écrit le titre de la vie de saint Géraud: Tita tancti Geruldi Auritiaccnsis comitis. Aujourd'hui, en omettant I, nous redoublons L, qui se prononce mouillée, comme si la lettre I s'écrivait encore. Donc, quelle que soit ou qu'ait été jadis l'orthographe du mot Aurillac, en le prononçant on a toujours fait sentir un I dans la seconde syllabe. Donc l'étymologie AURI-LACUS, lac d'or, est évidemment mensongère.
On doit en dire autant de cette seconde supposition qui veut faire considérer l'empereur AUREL1EN comme le fondateur d'Aurillac, parce que, dans cette hypothèse, la règle de dérivation aurait commandé de conserver la lettre N, comme dans AURELIANUM, Orléans, ce qui n'a jamais eu lieu; et, par une autre raison plus positive encore, c'est qu'avant le X° siècle aucun auteur, aucun manuscrit, aucun monument historique, quel qu'il soit, ne fait mention d'Aurillac et que, si cette ville eut été fondée par Aurélien ou eut existé pendant l'époque romaine, un pareil silence serait inexplicable.
Aussi, sans rechercher la signification du mot ORLIIAC dans la langue celtique, nous n'hésiterons pas à dire qu'il appartient à cette langue et que les premiers habitants de la ville ou du bourg qui avaient reçu ce nom étaient des Celtes-Arvernes.
Mais, à quelle époque ces Arvernes commencèrent-ils à habiter Aurillac ? Il est tout à fait impossible de répondre à cette question. Les Celtes n'écrivaient pas leurs annales, ils n'avaient d'autre histoire que les chants de leurs bardes, et n'ont laissé après eux que quelques monuments informes et muets; les historiens, les philosophes et les géographes romains paraissent avoir peu connu nos montagnes, car on ne trouve rien dans leurs écrits ni dans leurs cartes qui puisse nous aider à résoudre cette question; enfin, chez les premiers historiens des Francs eux-mêmes, avant le Xe siècle, on ne rencontre ni le nom d'Aurillac, ni celui d'aucune autre ville du Cantal.
Cependant le pays était fort anciennement peuplé et puissant. Strabon assure que la domination des Arvernes s'étendait jusqu'à Narbonne et aux frontières des Massaliotes; qu'ils commandaient à plusieurs peuples jusqu'aux Pyrénées, au Rhin et à l’Océan. César nous apprend que les Eleutètes, les Cadurques, les Gabales et les Velaunes avaient coutume de leur obéir, étaient soumis à leur domination; il dit que les Helviens habitent les frontières de l'Arvernie, qu'ils en sont séparés par les montagnes des Cévennes.
Tite-Live nomme les Arvernes parmi les peuples qui suivirent Bellovèze dans son expédition aventureuse. Il ajoute que, lorsque Asdrubal passa d'Espagne dans les Gaules, non seulement il fut bien accueilli par les Arvernes d'abord, et ensuite par les autres peuples des Alpes, mais qu'ils le suivirent encore en Italie. Suivant le même auteur, ils s'étaient tellement attachés à Annibal, qu'ils le suivirent à Zama, y formèrent le tiers de son armée, et combattirent avec cette haine native contre le peuple romain, particulière à leur race.
Il suffit de ces citations pour établir, ce qui, du reste, n'est contesté par personne, que les montagnes du Cantal, qui formaient alors le centre de l'Arvernie et de la Celtique, devaient renfermer très anciennement une population nombreuse, énergique, hardie, qui, ne trouvant pas sous ce ciel rigoureux une nourriture suffisante, devait fournir la majeure partie des terribles aventuriers que l'Auvergne vomissait annuellement sur les pays plus favorisés et plus riches.
Cette vie turbulente, active, toujours agitée, et l'impossibilité d'occuper des hommes qui n'avaient de goût que pour la guerre et la chasse, dans un pays où la terre et le ciel se refusaient également à seconder leurs travaux, durent nécessairement conserver plus longtemps chez les Arvernes des montagnes, que chez tous les autres peuples des Gaules, les anciennes mœurs et les habitudes celtiques. Aussi n'avaient-ils pas de villes, chaque famille vivait isolée soit dans les cavernes naturelles des rochers, soit dans des souterrains qu'ils creusaient dans le tuf et dont un grand nombre existe encore de nos jours, les plus aisés dans des cabanes construites en pierres sèches et couvertes de chaume, les riches dans des forteresses où l'art avait peu à ajouter à la nature pour en rendre l'accès difficile et la défense aisée.
D'immenses forêts devaient couvrir alors presque toute la Haute-Auvergne, la culture n'avait pas encore assaini les plaines et donné un écoulement aux eaux qui, du flanc des montagnes déchirées, descendaient en cascades dans nos vallons étroits et sinueux; quelques sentiers, connus des seuls habitants, serpentaient à travers ce labyrinthe de forêts et de marécages; le pays entier était donc un lieu de refuge, une immense place de sûreté pour les Arvernes et leurs alliés. Ils n'avaient besoin, pour y braver impunément un ennemi, quelque redoutable qu'il fut, que de fortifier et de défendre les points les plus accessibles. Ainsi protégés contre tout ennemi, ils n'avaient à redouter que la famine.
Voilà ce que nous apprend César, qui devait bien connaître les Arvernes. Il fait dire à un de leurs chefs que, retirés derrière leurs retranchements pendant la terrible invasion des Cimbres et des Teutons, ils laissèrent passer ce fléau dévastateur, quoique réduits à se nourrir des corps de ceux que l'âge rendait impropres à la guerre, et conservèrent leur liberté au prix d'un si pénible sacrifice. Ce que les Cimbres n'avaient pas osé tenter, César se garda bien de l'entreprendre, il ne quitta pas la plaine et ne pénétra pas dans nos montagnes. L'histoire ne fait, nulle part, mention d'aucune expédition des Romains contre l'Arvernie pendant leur domination dans les Gaules. Thierry, fils de Clovis, étant venu assiéger Clermont, fit une pointe sur Mériolacum et se retira de devant cette place moyennant une somme d'argent que les assiégés lui comptèrent. Je suis convaincu que Mériolacum est Chastel-Marlhac; c'est la première fois que l'histoire cite une localité de nos montagnes, mais elle n'est pas éloigné de la Dordogne et la Sumène y verses ses eaux; il a donc été facile à Thierry de venir jusqu'à Chastel-Marlhac, et il a jugé prudent de ne pas aller plus loin.
Depuis cette entreprise de Thierry jusqu'en 839, c'est-à-dire pendant plus de trois siècles, aucune armée étrangère n'essaya de pénétrer dans les montagnes de l'Arvernie. Louis-le-Débonnaire l'entreprit le premier et dans quelles circonstances?
Il s'agissait de faire reconnaître son fils Charles comme roi d'Aquitaine. Il avait pour lui plusieurs des personnages les plus considérables du pays, et ils se trouvèrent au rendez-vous qu'il leur avait donné à Clermont. Ce fut donc après avoir reçu l'hommage d'Ebroin, évêque de Poitiers; de ltaynaud, comte de la première Aquitaine; de Gérard, comte d'Auvergne; de Rathier, comte de Limoges, et d'un grand nombre d'autres seigneurs du pays que Louis-le-Débonnaire, se voyant si bien accompagné, crut pouvoir franchir les montagnes pour aller assiéger Carlat, et mettre à la raison ceux des chefs montagnards qui ne voulaient pas reconnaître son fils. Cependant, l'expédition pouvant être dangereuse, il envoya l'impératrice Judith et son fils à Poitiers et se mit lui-même à la tête de son armée. Le succès ne répondit pas à son attente : à la vérité Carlat lui ouvrit ses portes, mais, lorsqu'il voulut aller de là à Turenne, son armée fut harcelée, traquée et poursuivie sans relâche par les montagnards; les fatigues et le manque de vivres engendrèrent des fièvres violentes qui en firent périr la majeure partie, et le reste eut bien de la peine à s'échapper; Louis fut obligé de se retirer lui-même à Poitiers.
Si l'on considère que c'était avec le secours des plus puissants seigneurs de l'Auvergne et du Limousin que Louis avait entrepris cette expédition, que de Carlat à Turenne il dut traverser les vallées de la Cère et de la Jordane, et passer sur la commune actuelle d'Aurillac et dans les propres domaines de Gérard, aïeul de saint Géraud, qui s'étendaient du Puy-de-Giou jusques auprès de Turenne, on concevra combien devait être énergique la haine des montagnards contre les étrangers ; combien ils étaient jaloux de leur liberté, puisque la présence de Gérard auprès de l'empereur ne put les empêcher d'assaillir son armée et de la détruire?
Le mauvais succès de cette expédition prouve donc deux choses, d'abord qu'au commencement du IX° siècle la Haute-Auvergne avait conservé les mœurs des Celtes, ensuite qu'elle n'avait pas subi le joug de l'étranger.
Il est a remarquer aussi que les chroniqueurs ne parlent pas le moins du monde d'Aurillac, à l'occasion du passage de Louis-le-Débonnaire sur le territoire qui en dépend aujourd'hui. Cependant, dix-sept ans plus tard, en 856, saint Géraud naissait dans le château qui portait ce nom, et qui, selon toute apparence, existait déjà en 839. N'est-ce pas une preuve évidente qu'Aurillac n'était pas alors une ville, ne pouvait offrir aucune ressource aux troupes de l'empereur, que c'était seulement un des quatre cents petits donjons construits dans nos montagnes pour recevoir, en cas d’attaque, le chef et les familles de quelques vassaux dont les troupeaux paissaient dans ses domaines?
S'il y avait eu dès lors à Aurillac une ville, résidence habituelle d'un comte, si, à quatre kilomètres seulement, il y avait eu à Arpajon une autre ville, ancienne colonie romaine, il est évident que de deux choses l'une, ou l'empereur et son armée y auraient trouvé des rafraîchissements et des secours, ou si elles avaient fait résistance, il les auraient assiégées; dans l'un comme dans l'autre cas, l'analyste en aurait parlé.
Donc le silence gardé par les chroniqueurs francs et l'aveu fait par eux que, pour parcourir une distance de 90 kilomètres, 22 lieues 1/2 de poste, qui séparent Carlat de Turenne, l'empereur perdit l'automne entière et la majeure partie de son armée dans des escarmouches incessantes, prouvent que, loin d'être cultivée et embellie par plusieurs cités romaines, la vallée de la Cère de Vic à St-Céré était, en 839, un pays impraticable pour une armée régulière et d'une défense facile pour les naturels, toujours prêts à profiter des moindres accidents de terrain pour attaquer avec avantage et se retirer sans pouvoir être poursuivis.
Gérard et Rathier, toujours fidèles à Charles-le-Chauve se firent tuer pour lui en 841 à la sanglante bataille de Fontenay, dans laquelle 80,000 combattants perdirent la vie, et dans ce nombre presque tous les chefs des anciens Francs et des tribus germaniques de Lothaire. .
Géraud, fils de Gérard Ier, avait succédé à Rathier, son oncle, dans le comté de Limoges; il avait épousé Adeltrude, femme distinguée, d'une naissance égale à la sienne. Il s'efforçait de réparer dans ses domaines allodiaux les maux de la guerre ou de les en préserver à l'avenir, et, à cet effet, le château d'Aurillac, qui commandait l'entrée de la vallée de Jordane, lui ayant paru, par sa position forte, riante et plantureuse, convenir à l'établissement d'un certain nombre d'habitants, il fit bâtir une église dans la prairie qui s'étendait au-dessous du château et la dédia à saint Clément.