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PREMIÈRE PAIX.

1° Des enquêtes. — Toutes les fois que la cour de l'abbé devra faire une enquête, elle fera prévenir les consuls et leur fera connaître le jour, l'heure et les motifs de cette enquête, afin qu'ils y puissent assister, s'ils le veulent; le jour fixé ne pourra être changé sans les prévenir de nouveau. Les consuls assisteront aux enquêtes, avec voix consultative seulement, comme prud'hommes, pour éviter tout soupçon, mais sans participer à aucune juridiction et sans émoluments, à moins que l'abbé ne leur permette d'en recevoir.

Une fois prévenus, qu'ils se présentent ou non, l'enquête n'en suivra pas moin» son cours, et la sentence sera prononcée tant en leur absence que présence. Mais aussi ne se fussent-ils pas présentés le premier jour, ils seront admis, sans difficulté à quelque moment qu'ils se présentent. Toutefois, ils jureront de ne révéler à personne ce qu'ils auront vu ou entendu.

2° Du pouls du paifi. — Si le viguier de l'abbé ou les consuls pensent que le pain mis en vente par les boulangers n'a ni le poids, ni la qualité, ni le prix indiqué par les mercuriales du grain, ils doivent se réunir, et, d'un commun accord, nommer des prud'hommes pour vériGer le fait et peser le pain. Si la plainte est fondée, le pain fait en fraude sera rompu et distribué aux pauvres; en cas de refus du viguier, l'abbé l'obligera à faire son devoir.

3° De la draperie. — Tant qu'il plaira aux consuls que le drap qui se fabrique a Aurillac ait une largeur, une longueur et un poids déterminés, toute contravention à ce règlement sera punie d'une amende qui appartiendra par moitié à l'abbé et aux consuls. Mais, si les drapiers employaient dans la confection de leurs draps de matières étrangères, l'abbé, comme seigneur, punirait seul cette falsification eï percevrait seul l'amende. Il y aura .un prud'homme établi, d'un commun accord, pour l'examen des étoffes.

4° Des blessures. — L'abbé et sa cour n'ont pas le droit de poursuivre d'office ceux qui ont fait à d'autres des blessures avec la main, le pied ou le poing, même avec effusion de sang, mais sans l'emploi d'aucune arme; il faut qu'ils soient saisis par la plainte du blessé. Lorsqu'au contraire les blessures auront été faites avec une arme ou un corps contondant, comme pierre, bâton, etc., ils pourront poursuivre d'office et percevoir l’amende, sauf pourtant le cas où les blessures auraient été faites par un père, Un mari, ou un maître à leurs enfants, leurs femmes ou leurs domestiques, en leur administrant une légère correction; car alors, y evj-il un peu de rang, la cour n'a pas le droit d'intervenir.

En cas de. meurtre ou de mutilation, on doit suivre la loi et l'usage.

5° Du consulat. — La communauté de la ville doit avoir un consulat, les consul» des conseillers, un trésor commun, un sceau, des armes, le tout au nom de la communauté. Les consuls ont le droit de recevoir le serment des habitants, et doivent jouir à tout jamais des franchises et libertés qui conviennent à une commune, et qu’ils possèdent de toute ancienneté.

6° Pu sceau des consuls. — Les consuls pourront recevoir et rendre authentique, par l'apposition de leur sceau, tous contrats, en matière réelle ou personnelle, même les ventes d'immeubles sis dans l'intérieur des croix ou oratoires de la ville d'Aurillac, qu'ils soient ou non de la seigneurie de l'abbé ou du monastère. Mais, ils ne peuvent sceller de leur sceau les ventes ou autres contrats relatifs aux biens situés hors de l'enceinte des croix de la ville d'Aurillac et qui sont fiefs, arrière fiefs, de la seigneurie ou censive de l'abbé, du monastère ou des prieurés qui en dépendent.

Tout ce qui a été fait de contraire par le passé conservera foi et vigueur, et le secrétaire du consulat jurera de dénoncer, dans le mois, soit à l'abbé, soit à tout autre seigneur, le prix des ventes qui pourraient être faites devant lui à l'avenir, afin qu'ils en puissent percevoir les lods.

7° Des murs, fossés, portes et clés. — 11 y a des murs, fossés et parapets qui entourent la ville, d'autres qui servent d'enceinte au monastère. Les premiers appartiennent aux consuls qui, au nom de la communauté, sont chargés de les réparer, réédifier, nettoyer et garder, comme ils l'ont fait jusqu'à ce jour, sauf à l'abbé et à ses gens la libre entrée et sortie. En conséquence, les consuls convoqueront les habitants pour la garde des murs, et puniront tous les contrevenants soit par une amende qui leur appartiendra, soit par la confiscation des matériaux déposés contre lesdits murs. Quant aux seconds, ils appartiennent à l'abbé, au nom du monastère.

La police accordée aux consuls sur les murs et fossés ne comprend pas les crimes dont la connaissance est et demeure réservée à la cour de l'abbé.

8° Du guet. — Chacune des parties étant intéressée à la conservation de la ville, l'abbé devra fournir quelques sergents pour faire le guet et les patrouilles avec les habitants, lorsqu'il y aura un juste sujet de craindre quelque attaque. Cependant, si l'une des parties seule croyait avoir juste sujet de crainte et que l'autre refusât de se joindre à elle, chaque parite pourrait seule faire garder la ville. Les criminels qui seront saisis par le guet seront, dans tous les cas, déférés à la cour de l'abbé.

9° De la taille. — Les consuls auront le droit de répartir les tailles communes sur les habitants, de les lever, de leur propre autorité, et de contraindre les récalcitrants à les payer, sans avoir à rendre compte à d'autres qu'aux conseillers de la ville, défense à l'abbé de recevoir aucune réclamation à cet égard. Seront cependant exempts de la taille commune le bailede l'abbé dans la ville, ses cuisiniers et domestiques, le cuisinier du camérier, ceux du cellerier, de l'infirmier, de l'hôtelier et de l'aumônier, s'ils exercent par eux-mêmes leur office, et ceux qui, jusques au nombre de trois, se sont dévoués au service des pauvres dans l'hôpital St-Géraud, sis devant le monastère, pourvu qu'ils aient pris l'habit dudit hôpital, qu'ils servent les pauvres depuis un an entier et qu'ils aient réellement donné audit hospice leurs personnes et leurs biens.

18° Des criées. — Dans toutes les publications qui se feront dans la ville pour convoquer le peuple, réunir le conseil, prendre les armes, commander le guet, appeler à la réparation des murs et fossés, on ne désignera, comme par le passé, aucun nom de dignité. Dans tous les autres cas, on dira: De pur l'abbé et les consuls.

i\° De la reconnaissance du consulat. — Une fois seulement, à chaque mutation d'abbé, les consuls d'Aurillac et leurs successeurs reconnaîtront tenir de Mgr Saint-Géraud, de l'abbé et du monastère, les murs et les fossés de la ville, le consulat et tous les droits ci-dessus spécifiés, et dont its jouissent de toute ancienneté; pareille reconnaissance sera faite à l'abbé actuel. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, par la faute ou l'abus des consuls, ou de leurs conseillers, l'abbé venait à invoquer contre eux quelque déchéance, la cause ne serait pas portée devant la cour de l'abbé, mais devant celle du roi, seigneur suzerain.

12° De la saisie du consulat. — En aucun cas et sous quelque pré texte que ce soit, l'abbé no pourra saisir le consulat ni les droits de la commune. S'il y avait plainte contre l'un des consuls ou contre tous, les consuls, au nom de la commune, donneraient caution à l'abbé et à sa cour, et il serait fait droit.

13° Des clés de la ville. — Une fois seulement, à chaque mutation d'abbé, les consuls seront tenus de remettre les clés de la ville à l'abbé, en reconnaissance de sa seigneurie, et l'abbé de les leur rendre au nom de la commune.

14° Des perquisitions. — Si, à l'occasion de quel vol ou d'un autre délit, il est nécessaire de faire quelque perquisition, l'abbé appellera, avant tout, deux ou trois des consuls pour y assister, ou, à leur défaut, quelques prud'hommes, pour éviter tout soupçon.

15° De ta vente des maisons et des cens. — Il sera dit des droits de lods et ventes à l'abbé pour rétablissement de cens nouveaux et à proportion desdits cens. Pour ce qui a été fait jusqu'à ce jour il n'est rien dû.

16° Des maisons du consulat. — Les maisons que Bertrand Aost a léguées aux consuls et à la communauté d'Aurillac leur appartiendront à perpétuité avec toutes leurs appartenances, pour l'usage du consulat. Elles paieront le cens que doivent les maisons, et les consuls n'y pourront construire ni forteresse, ni tour, ni prison.

17° Des acquisitions dans le fief de l'abbé. — Que si a l'avenir, à quelque titre que ce soit, les consuls acquerraient quelques biens immeubles dans la seigneurie du monastère, ils seraient tenus, dans l'année, de les mettre hors leurs mains en les transmettant à personnes capables de les posséder.

18° De la poursuite. — Si quelqu'un fait la guerre à l'abbé ou exerce des violences contre ses châteaux, prieurés, repaires, ou dans leurs appartenances, les consuls d'Aurillac seront tenus de fournir à l'abbé deux cents fantassins armés qui le suivront, à leurs frais, jusqu'à quatre lieues, pendant une nuit et un jour; mais, si l'abbé veut les retenir plus longtemps, ce qu'il aura droit de faire, il pourvoira à leur dépense. Il en sera ainsi, à moins que les autours des violences n'offrent de los réparer et ne donnent caution de s'en rapporter aux consuls ou à d'autres prud'hommes.

19° Du serment. — Chaque abbé, après sa nomination, réunira le peuple dans le cimetière ou au monastère; on placera devant lui les saints Evangiles, et il jurera aux hommes de la ville d'Aurillac, grands et petits, de faire à tous bonne justice, sans acception de personne, de les écouter, de les défendre en bon seigneur, sauf les droits du monastère.

Après cela, tous les habitants âgés de vingt ans ou émancipés jureront à l'abbé qu'ils lui seront fidèles et le regarderont comme leur seigneur, sauf leurs bons usages et libertés. Quant à l'abbé actuel, pour un bien de paix, et pour cette fois seulement, on se contentera de sa parole, foi d'ecclésiastique, donnée à l'autel en habits pontificaux.

20° Article général. — S'il reste quelque point douteux sur lequel l'arbitre n'ait pas prononcé et qui ne puisse être décidé soit par cette sentence, soit pur des usages notoires, l'abbé et sa cour seront tonus d'appliquer le droit écrit.

21° A qui appartient la seigneurie de ta ville? — La seigneurie de la ville appartiendra à l'abbé, au nom du monastère, sauf ce qui vient d'être prononcé et toutes les coutumes, usages et libertés de la ville d'Aurillac.

22° Remise du passé. — Les parties se tiendront respectivement quittes, du passé jusqu'à ce jour, de tout ce qu'elles pouvaient se réclamer réciproquement, pour quelque cause que ce soit.

23° Réserve des droits du roi. — L'arbitre réserve expressément les droits du roi pour tout ce qu'il a prononcé et omis de prononcer, et son approbation et sa juridiction en tout.

24° Confirmation et approbation. — Enfin, l'arbitre ordonne aux parties d'approuver, louer, confirmer', ratifier la sentence qu'il vient de prononcer. En conséquence, l'abbé Guillaume; Pierre de Besse, prieur; Pierre de Jauffres, syndic, louent, approuvent, confirment, ratifient ladite sentence et y attachent leurs sceaux. Les consuls Durand Rolland, Durand Dalpon, Mathieu Bruni, Pierre Dclborn et Vitalis Fabri la ratifient également et y apposent le sceau de la communauté; enfin, Eustache de Beaumarchais, arbitre, à la prière de toutes les parties, y fait appendre le sien.

Telle est, en substance, la fameuse sentence d'Eustache de Beaumarchais, la première Paix, la Paix ancienne de la ville d'Aurillac. Il semble qu'approuvée par toutes les parties et ratifiée par elles, tous procès devaient être terminés; il n'en fut pas ainsi.

D'une part la seigneurie de l'abbé était reconnue, mais amoindrie, effacée par la surveillance incessante des consuls, sans lesquels il ne pouvait presque rien faire; mais assujettie à l'obligation de prêter lui-même le premier serment sur l'Evangile à tous les habitants d'Aurillac, avant de recevoir leur serment de fidélité; donc l'abbé n'était pas satisfait. D'autre part les consuls avaient fait hommage au roi; ils s'étaient avoués de lui, et les justiciers du roi n'étaient pas disposés à lâcher une proie qui s'était offerte d'elle-même. Le parlement de Paris annula donc la sentence arbitrale d'Eustache de Beaumarchais.

Le 6 février 1284 le roi écrivit à Guillaume de Trapis, chanoine d'Orléans, et à Jean de Morencères, chanoine de Reims, qu'il avait précédemment chargé Elie tialtier et Guillaume Ruphi de faire une enquête à Aurillac sur les questions qui divisaient l'abbé et les consuls; qu'un projet de transaction et une sentence arbitrale rendue entre parties ne leur avaient pas permis de remplir cette mission, mais que le parlement ayant annulé cette sentence, il les chargeait d'aller faire l'enquête ordonnée. Les commissaires se rendirent à Aurillac, et le 11 mai 1281 l'abbé leur présenta requête pour faire ouïr ses témoins.

J'ai déjà publié l'analyse de cette enquête de l'abbé dans l'Annuaire de 1849. C'est, évidemment, le titre le plus curieux que nous possédions; mais il a trop d'étendue pour l'insérer ici. Il nous suffira de dire qu'au mois de février 1288 PhilippeIc-Bel déclara, par lettres-patentes que nous avons heureusement conservées, que plusieurs procès s'étant élevés entre l'abbé d'Aurillac et les consuls, un compromis fut signé, par lequel ils choisissaient Eustache de Beaumarchais pour arbitre; que celui-ci ayant prononcé sa sentence arbitrale, elle fut approuvée et observée pendant quelque temps par les parties ; qu'ensuite l'abbé chercha à s'en affranchir, sous prétexte que Philippe III, père de Philippe-le-Bel, l'avait désapprouvée. La cause, portée à la cour, le parlement, après avoir consulté le roi, ordonna qu'elle serait observée en son entier. L'abbé et les moines demandèrent alors a être admis à attaquer cet arrêt par voie de supplique; leur demande ayant été accueillie, ils ont fait valoir tous les moyens qu'ils ont voulu tant contre la sentence elle-même que contre l'arrêt de la cour, et conclu à être remis au même et semblable état qu'auparavant. Les consuls ayant demandé, au contraire, le maintien de la sentence et du premier arrêt, la cour du parlement, parties ouïes, a, de nouveau, ordonné que ladite sentence fut à toujours exécutée. C'est pourquoi, dit le roi, de notre certaine science, nous voulons et ordonnons que toutes ces sentences et arrêts soient exécutés, et, en foi de ce, nous avons fait apposer notre sceau aux présentes lettres.

Ainsi, malgré la vive opposition du soigneur abbé et des moines d'Aurillac, malgré l'intérêt réel qu'avait le roi à devenir seigneur d'une ville dans laquelle il n'avait aucune autorité, puisque, 1° par arrêt de 1273 l'abbé avait fait juger contre lui que les habitants d'Aurillac ne devaient pas au roi le service militaire qu'il requerrait d'eux contre le comte de Foix. (Chopin, du Droit des religieux, liv. 2, tit. 3, article 22) ; 2° puisque, par un autre arrêt de 1274, rappelé dans l'enquête faite par ordre du parlement, il lui avait fait faire défense de rendre la justice à Aurillac ni dans aucune autre terre de Saint-Géraud; 3° puisqu'enfin, par suite de ce dernier arrêt, le roi avait été obligé de prier l'abbé de lui accorder un délai pour chercher, dans nos montagnes, quelque endroit non sujet de l'abbaye où il put loger son bailli royal.

Malgré, dis-je, l'opposition de l'abbé et l'intérêt du roi, le parlement de Pans ordonne, par deux fois, l'exécution pleine et entière de la sentence d'Eustache de Beaumarchais, qui proclame hautement que le consulat d'Aurillac existe de toute ancienneté, et qu'il est tellement indépendant de la seigneurie féodale de l'abbé, que celui-ci ne peut le saisir, ni le retrairc, ni le confisquer, bien qu'il y eut désaveu formel et aveu fait à un autre, et alors même qu'à l'avenir il y aurait commise ou félonie; car, ce sont là évidemment les conséquences de l'article 12 de la sentence : En aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, l'abbé ne pourra saisir le consulat ni les droits de la commune. Cela résulte également de l'article 21 qui déclare que la seigneurie appartient a l'abbé, sauf ce qui vient d'être prononce et toutes Us tout urne», usages et libertes de la ville d'Aurillac ; et, enfin, du serment des habitants qui jureront d'être fidèles à l'abbé et de le regarder comme leur seigneur, sauf leurs bous usages et leurs libertés.

Le roi et le parlement reconnaissaient donc, comme Eustache de Beaumarchais, qui faisait remonter à saint Géraud les immunités de la ville aussi bien que la seigneurie de l'abbé, une origine égale aux unes et a l'autre,• ils reconnaissaient deux droits distincts, mais parallèles, qui ne devaient pas se confondre, mais marcher de front en se prêtant un mutuel appui. Cependant, on avouait, de part et d'autre, qu'il n'y avait pas de titre constitutif du consulat; l'allégation des consuls, qu ils le tenaient de quelque roi, n'avait pu soutenir les regards de la justice; donc évidemment il ne pouvait avoir d'autre origine que celle que nous lui avons assignée.

Maintenant, pour justifier de plus en plus notre opinion, il nous reste à faire voir que les abbés d'Aurillac ont enfin reconnu eux-mêmes le bon droit des consuls. . Ce ne fut pas sans peine qu'ils se décidèrent à reconnaître leurs torts, car, battus devant le parlement et au conseil du roi, ils en appelèrent au pape. Les consuls les suivirent, sans hésiter, devant cette nouvelle juridiction. Le 16 avril 1296, sentence du pape Boniface VIII qui relève l'abbé et le monastère d'Aurillac des déchéances qu'ils auraient pu encourir en n'usant pas des privilèges à eux accordés par les papes ses prédécesseurs; mais, à l'audience même opposition des consuls, et le pape ajoute que cette faveur ne pourra préjudicier en rien aux droits des consuls. Laissons là cette procédure qui n'offre que peu d'intérêt, et passons au second accord entre l'abbé et les consuls. .