Jean Emile Edouard Serre est né le 21 janvier 1896 à Saint Saturnin où ses parents étaient instituteurs. Pierre, son père, né au village de Caizac, à Saint Etienne de Carlat, a 28 ans. Il deviendra maire de Naucelles le 19 mai 1929. Sa mère, Julie Mathide Puech, a 31 ans. Elle est née à Junhac, au village de Pressoire. Elle mourra à Aurillac le 31 juillet 1948. Les grands parents étaient tous « propriétaires cultivateurs ».
Enfance et adolescence cantalienne.
Rien ne prédispose ce petit fils de paysans cantaliens à devenir un héros du début du XXe siècle. Il est de constitution plutôt faible. Il dira « je suis auvergnat, c’est à dire pas très grand, pas très gros, mais solide ». C’est un très bon élève. Il a onze ans en 1907 quand il quitte ses parents pour entrer au lycée Emile Duclaux, nouvellement construit. Il y sera pensionnaire pendant six ans. L’internat de l’époque n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Les sorties n’existaient pas. En ce temps, une dizaine d’automobiles seulement circulaient dans le Cantal. Les internes ne revenaient dans leur famille qu’à la fin de chaque trimestre. La discipline était totale. Les promenades du jeudi et du dimanche se faisaient en rang, vers la campagne proche. Edouard Serre dira pourtant « je reste un partisan paradoxal de l’internat. Ce monde en raccourci, quand il est bien dirigé, est une remarquable école de vie où l’on apprend à cultiver cette fl eur si rare qu’est l’amitié ». Il était interdit de fumer, comme aujourd’hui. Comme aujourd’hui sans doute, les lycéens se retrouvaient « pour de longues fumeries de cigarettes dans un lieu secret ». Aucun livre, aucun périodique ne pouvait être introduit sans « le visa du censeur des études ». Les élèves ne recevaient de visites que de leurs père, mère, tuteur et correspondant. Le règlement annonçait: « les lettres qui ne sont pas écrites par les parents sont ouvertes par le Censeur ». Les élèves de 2006 mettent leurs pas dans ceux d’Edouard Serre et de ses camarades « au cours des interminables promenades semi-circulaires sous les préaux de la cour des grands ». Il remerciera le président de l’amicale des anciens élèves de garder « cet esprit de solidarité qui unit pour toujours les enfants de cette maison ».
Aviateur pendant la guerre de 1914-1918.
Le jeune Edouard quitte le lycée peu avant que la grande guerre n’éclate. « Nous discutions interminablement pour ou contre l’idée de Patrie. Nous nous sommes retrouvés, tous aussi ardents, pour jouer notre rôle dans la guerre du Droit ». Il n’hésite pas à s’engager au 53e régiment d’artillerie. Il combat l’année suivante. Attiré par l’aviation, il devient pilote et observateur pendant trois ans. Les avions de ce temps-là étaient faits de bois et de toile. Ils volaient à portée des fusils des fantassins. Le jeune cantalien, le fils unique, a retrouvé là, une vie de groupe et des amis. Lors de chacun des décollages, pilote et observateur savent qu’ils ont peu de chance de revenir. Quand leurs amis s’envolent, ils pensent qu’ils ne les reverront peut-être plus. Chaque jour les mêmes craintes. Chaque jour les mêmes joies. Pendant d’interminables semaines, des mois et des années. La liste est longue, gravée dans le marbre du monument du lycée, de tous ses camarades morts là-bas. Edouard est revenu. Il dira « il a fallu reprendre âprement la lutte pour la vie ». Sa mère déposera toutes ses décorations, après sa mort, au lycée Emile Duclaux. Elle créera un prix de mathématiques au nom de son fils. Le prix n’est plus décerné depuis longtemps et les médailles ont disparu. Il ne reste que la photographie, posée tout en haut d’une armoire de la grande salle des réunions.
Les études et l’entrée dans la vie civile.
La guerre finie, Edouard, qui n’a que 22 ans, reprend ses études. Il est reçu à Polytechnique en 1919. Il entre à l’Ecole Supérieure d’électricité, se spécialisant dans la radiotélégraphie des avions. Professeur à Versailles, il publie le premier manuel de radioélectricité. Il poursuit ses recherches en laboratoire et devient ingénieur en électricité du corps de l’aéronautique en 1926. Ses tables goniométriques sont utilisées partout pour les lignes aériennes. Les adolescents de 2006 qui interrogent leurs grands parents, ou même leurs arrière grands parents, découvrent que c’est au cours de ces années- là que l’électricité est arrivée dans les villages d’Auvergne. Il y a quatre vingts ans, quand le jeune chercheur cantalien inventait ces procédés modernes, la bougie et la lampe à pétrole régnaient chez lui. Jean Emile Edouard a épousé une jeune veuve, Jeanne Voir, née au Creusot le 28 juin 1899. Ils habitent 7 rue des Eaux à Paris.
Les débuts de l’aéropostale.
Pierre Georges Latécoère, un jeune industriel ingénieur de 22 ans, se retrouve en 1906 à la tête des usines de son père. Près de mille ouvriers travaillent dans ses fabriques de cantines militaires et de citernes. Il décide de s’orienter vers la construction ferroviaire, puis celle d’avions en 1918. Le premier Latécoère sort le 27 avril 1918. La cadence est de six appareils par jour. Après l’armistice du 11 novembre, l’industriel qui a pris goût à l’innovation, imagine de reconvertir ses usines vers l’aviation civile. C’est un pari fou. Les machines sont peu fi ables, souvent capricieuses et sujettes à des pannes fréquentes. Il lui faudra de la persévérance et du courage pour vaincre les difficultés administratives, techniques et humaines. Le 25 décembre 1918, il choisit d’inaugurer luimême son projet. René Cornemont le pilote jusqu’à Barcelone. C’est la première étape d’un long chemin qui conduira les avions de l’Aéropostale jusqu’au bas de l’Amérique du Sud, à Valparaiso. La boutade, gravée sur la façade du 79 avenue Marceau à Paris, deviendra célèbre. « j’ai refait tous les calculs, ils confi rment l’opinion des spécialistes : mon idée est irréalisable. Il ne me reste plus qu’une chose à faire : la réaliser ». Pour développer et appliquer ses recherches, Edouard Serre décide de revenir à l’aviation. Le 15 mars 1928, il entre à la Compagnie Générale Aéropostale.
L’Aéropostale : une idée folle qui fera son chemin.
Au sortir de la Grande Guerre, l’aviation jouit d’un formidable crédit. Il n’est question que d’inventions et de nouveaux marchés. Les As de la guerre vont être recrutés pour transporter le courrier d’abord, puis, plus tard, les passagers. Les exploits s’accumulent. Il est déjà question de tenter la traversée de l’Atlantique. Le 2 octobre 1920, Jean Rodier et François Marty-Mahé se perdent en mer. Ce sont les premiers d’une longue liste de victimes de la Ligne. Les accidents se multiplient qui amènent les journaux à s’élever contre cette « entreprise démente » et ces « sacrifices déraisonnables ». Peu à peu les oppositions se font moins fortes. Le maréchal Lyautey lui-même soutient le projet. La livraison du courrier peut gagner beaucoup de temps par la voie des airs. La ligne Toulouse-Casablanca devient quotidienne dans les deux sens en 1922. Les conditions atmosphériques sont souvent responsables des accidents. Les tempêtes peuvent être mortelles. Mais l’essentiel du trafic est assuré. Le directeur, Didier Daurat, mène l’Aéropostale d’une main de maître. Il faut aller plus loin. Dakar doit être desservi. Les tribus maures qui vivent dans le désert sont méfiantes. Antoine de Saint Exupéry d’abord, puis Jean Mermoz, et tant d’autres vont forger la légende de la compagnie. Ils furent nombreux à disparaître dans les déserts, les océans et les montagnes. Au début de l’aviation commerciale, pour ces hommes-là, « être vivant est une conquête. Vivre est une surprise ». « Le courrier est chose sacrée » que ne doivent retarder ni les fatigues des équipages, ni les tempêtes, ni les accidents.
Edouard Serre, esclave des hommes bleus du désert.
Le 15 mars 1928, Edouard Serre entre à l’Aéropostale. Il est pilote, mais c’est surtout le scientifique qu’on attend. Il dira « après dix ans d’aviation et un an d’industrie, je venais depuis un mois à peine, attiré par la nostalgie de l’air et des libres espaces, d’entrer à l’Aéropostale. Une mission m’appelant à Dakar, et même dans l’Atlantique, et même en Argentine, je pris l’avion le 28 juin 1928 à Toulouse ». C’est Marcel Reine qui pilote. L’imprécision des cartes, leur fait heurter une dune à 200 km/h. Après avoir rebondi, l’avion se pose grâce au savoir-faire de Reine. « Reine pensait aux Maures, et moi, je me souvenais du lion de Tartarin » se souvient Serre. Quelques mois auparavant, deux de leurs compagnons abattus ont été tués par les hommes du désert, le troisième, grièvement blessé, a été transporté pendant dix jours à dos de chameau. Il est mort au moment de son échange contre une rançon. Les deux aviateurs sont faits prisonniers et conduits au campement de leurs ravisseurs. C’est le grand écrivain Joseph Kessel, qui racontera leur épopée. « La chance miraculeuse qui leur sauva la vie, ils l’avaient payée par des mois d’esclavage chez les R’Guibat, tribu maure jamais soumise du Sahara espagnol. Traînés de campement en campement par les nomades aux voiles bleus, les yeux rougis de sable, la gorge ardente de soif, saignant des pieds, des mains, meurtris tour à tour par le soleil de torture et par les nuits glaciales, affamés, couverts de vermine, de plaies et de crevasses, menacés sans cesse du fusil, du poignard ou de la lance, ils avaient vécu, en plein XXe siècle, la vie sans âge du désert. Enfin, rachetés comme aux temps des pirates barbaresques, ils avaient regagné Paris ». Kessel rencontrera les deux hommes peu après leur retour. « Je pensais voir deux héros de film d’aventure. Je découvris un savant doux et fragile, dévoré par les spéculations intellectuelles qui était Edouard Serre. Quant à Marcel Reine, je me trouvais en présence d’un enfant ». Il écrira encore « Edouard Serre avait dans son corps frêle une inépuisable endurance, une capacité de travail presque sans limite et le don de commander avec gentillesse. Il buvait bien, mais sans quitter son air de polytechnicien qui est de sortie, ni son sourire plein de bonté ». Edouard Serre est reçu au lycée Emile Duclaux le 4 décembre 1928 en présence « des parents du héros et de sa charmante femme », par la presse, un grand nombre d’officiels et ses amis. Il dira dans son discours « si nous nous sommes cabrés sous les brimades, cela ne nous a pas empêchés d’utiliser nos faibles connaissances médicales pour soulager les malades, surtout les enfants. Nous avons survécu parce que nous avons été humains ». Il conclura « il m’est arrivé bien d’autres aventures comme pilote ou comme passager, chacune d’elles m’a rivé plus solidement à cette maîtresse tenace qu’est l’aviation ». Il repartira donc. Il mettra au point toute l’organisation radiotéléphonique de la ligne jusqu’à l’extrême limite, à Valparaiso, là-bas, au bout de l’Amérique du Sud. Il assurera même l’intérim de la direction de l’Aéropostale, en 1931, avant de devenir directeur du matériel et du personnel d’Air France qui a racheté l’Aéropostale.
Alors que ses compagnons célèbres se tromperont de combat puisque le grand Mermoz sera vice-président et porte drapeau des Croix de feu, avant de fonder avec La Roque le Parti social français et que Saint Exupéry rejettera les gaullistes, Edouard Serre, membre de la SFIO et de la Ligue des Droits de l’Homme, se rapprochera de la résistance dès 1940. La maladie l’emporte le 5 mars 1942, dans la maison du 20 de la rue de Bel Air à Aurillac, où il avait choisi de revenir près de sa mère. L’adieu est prononcé par son ami d’enfance, Paul Piales, son camarade de polytechnique, récemment rentré de captivité. Il a été enterré à Naucelles où ses parents avaient été instituteurs et son père élu maire le 19 mai 1929. La tombe où ils sont inhumés faisant l’objet d’une procédure de reprise « en état d’abandon », il ne restera bientôt plus qu’une plaque « Espace Edouard Serre », à l’arrière du lycée, pour rappeler le souvenir de ce pionnier de l’aviation.
L’aventure de l’aviation continue à Aurillac.
Après avoir construit un avion Jodel, puis un autogire monoplace et un autogire biplace, les élèves de l’atelier culture scientifique et technique aéronautique du lycée Jean Monnet, se sont lancés dans la construction d’un hydravion. Il volera en 2008. Comme si le souvenir de Jean Emile Edouard Serre …
Edouard Serre est fait Chevalier de la Légion d’Honneur. Il reçoit la croixde guerre 1914-1918, la croix du combattant, la médaille de Verdun, la médaille interalliée de la victoire, la médaille de l’armée d’orient et beaucoup d’autres, françaises et étrangères
Texte de Claude Champeil extrait de son livre "Des Vies Cantaliennes"