Charles Terrisse, ingénieur des ponts et chaussées, directeur des travaux municipaux, PierreTerrisse architecte et Charles Terrisse architecte, ont transformé le visage d’Aurillac et de beaucoup d’autres communes cantaliennes, au long du XXe siècle.
Charles Terrisse
Texte de Jean Claude Champeil extraites de son livre "Des Vies Cantaliennes"
De 1901 à 1937, Charles Terrisse a dessiné des voies ferrées, des routes et des rues.
Charles Terrisse est né à la poste de Labrousse le 1er octobre 1881. Son père, facteur, était l’aîné des trois enfants d’un petit agriculteur de Vézac, mort à l’âge de trente ans. Ayant été reçu premier au concours d’entrée à l’Ecole Normale, le jeune homme aurait pu devenir instituteur, comme ses deux soeurs. Son père le pousse à poursuivre ses études. Après une année en math Spé, une très sérieuse maladie l’empêche de s’orienter vers les grandes écoles.
Il entre alors aux Ponts et Chaussées. A 21 ans il est nommé à Riom ès Montagnes pour étudier le tracé de la ligne de chemins de fer Bort-Neussargues. Tout en travaillant, il prépare, et réussit, le concours d’ingénieur des Travaux Publics. Trois années de service militaire au 7e génie d’Avignon lui apportent le grade de sous lieutenant. En 1908 , alors qu’il dirige la subdivision de Saint Cernin, Charles épouse Louise Tible. Ils auront trois enfants : Pierre en 1910, Marguerite en 1915 et Marie Louise en 1926. Guidé par M. Motolé, un piégeur de loups de la vallée de la Jordanne qui l’aide à porter son ma tériel topographique, Charles Terrisse va dessiner le tracé de la route du Puy Mary. Son ancien professeur au lycée Emile Duclaux, François Volpilhac, devenu maire d’Aurillac, insiste pour qu’il prenne la responsabilité du service de l’urbanisme de la ville. Le 16 février 1914, il obtient son détachement des Ponts et Chaussées. Dès le mois d’août la guerre arrache l’offi cier de réserve à sa famille et à sa ville pour l’envoyer au front. Le 16 novembre 1915 il reçoit le commandement d’une compagnie de l’Armée d’Orient. Dans les plaines de Macédoine il est nommé capitaine et contracte les fièvres paludéennes, sans doute à l’origine du cancer qui l’emportera. Après avoir reçu la croix de guerre il est démobilisé au printemps 1919. Il retrouve sa femme et ses deux enfants, quittés quatre années plus tôt, ainsi que son poste à la mairie. La liste est longue des travaux eff ectués sous sa responsabilité : aménagement du Parc des sports, piscine, château d’eau et adductions, construction du lycée de jeunes fi lles et de l’école Paul Doumer, boulevards Lintilhac et Jean Jaurès, cimetière, grand égout collecteur ainsi que l’éclairage public et la création de logements ouvriers… L’après guerre voit la ville s’agrandir rapidement, alors que la circulation et les besoins en eau et en électricité se développent. L’ingénieur municipal est souvent appelé comme expert auprès du tribunal ors des procès et litiges. Dans son cabinet privé, installé dans sa maison, il conçoit aussi des plans pour des maisons individuelles construites à Aurillac et dans les communes environnantes. Excellent dessinateur, il aime représenter ses proches. Il réalise aussi des modelages en plâtre de leurs visages. Resté attaché aux valeurs de son enfance.
Charles Terrisse est un membre actif du parti socialiste dont un responsable dit à sa mort : « la classe ouvrière perd en vous un guide et un soutien. Au chômeur qui vous confessait sa détresse, à l’ouvrier qui vous faisait part de ses craintes, au petit entrepreneur qui vous exposait ses diffi cultés, vous apportiez votre secours, vos encouragements et vos conseils ». Charles Terrisse meurt dans sa maison du Pont Rouge le 13 décembre 1937. Il a 56 ans. Son petit fils Charles a trois mois. Pour sa fille Marguerite cela signifie la fin des études. Pour Marie Louise, qui vient d’avoir 11 ans, c’est un drame. Ce père si disponible et si proche ne sera plus jamais là. Marguerite, plus âgée de 11 ans va aider leur mère dans son rôle d’éducatrice. Les deux soeurs ne se quitteront plus. Pierre, l’aîné, jouera le rôle du père disparu, avec autorité.
Charles Terrisse a été fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1932, au titre de ses services militaires et civils.
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PIERRE TERRISSE
Pierre Terrisse a innové en bâtissant les premiers immeubles d’Aurillac comme la résidence des Bars et la Dorinière.
Pierre Terrisse est né le 26 mai 1910 à Saint Cernin. Il fait ses études secondaires au lycée Emile Duclaux et d’architecture à Paris. Après sa formation à l’institut d’urbanisme il est appelé à Montpellier dans un régiment du génie. Dès la fin de son service militaire il ouvre un cabinet d’architecte au 15 de la rue des Carmes. Très vite les clients sont nombreux. Une dizaine d’employés complètent l’équipe. Pour la plupart, ils feront là toute leur carrière.
En 1935, Pierre épouse Marie Labouygue. Ils auront deux enfants : Charles né en 1937 et Anne née en 1942. Il participe activement à l’accueil des réfugiés espagnols en leur trouvant du travail dans les entreprises aurillacoises du bâtiment et même en les aidant à créer les leurs. Mobilisé au début de la guerre dans les Alpes, le jeune architecte revient dès la signature de l’armistice. Il fait très tôt partie de la résistance aux côtés d’Henri Tricot, le père de Bernard, qui sera secrétaire général de l’Elysée, lorsque le général de Gaulle était président.
A la Libération, Henri Tricot étant élu maire d’Aurillac, choisit Pierre Terrisse comme premier adjoint. « Engagé, comme son père, aux côtés des plus défavorisés, il sera un militant socialiste convaincu. Il donnera même des conférences pour les jeunesses socialistes dont je faisais partie » rappelle sa soeur. Il est élu conseiller général du canton sud d’Aurillac. Président de la Fédération des Associations Laïques du Cantal, il dressera les plans de la Maison de l’Education Nationale. La population s’accroît et les besoins en logementssont considérables. Le cabinet déménage vers la rue Alexandre Pinard où la famille habite près des bureaux. Marie Louise Terrisse, entrée à l’âge de seize ans pour travailler avec son frère, devenue dessinatrice, se souvient du grand nombre de dossiers traités comme les HLM du Barra et la cité Limagne, les immeubles des Alouettes et la salle de spectacle de la Maison de l’Education Nationale qui porteront son nom. Pierre Terrisse est appelé pour la reconstruction du bourg d’Anterrieux rasé par l’armée allemande comme les villages de Fridefont. La cité Clairvivre sort de terre entre la Jordanne et le viaduc. La résidence des Bars est le premier grand immeuble construit dans le Cantal. Posées sur une marnière, les tours attiraient les curieux. « Elle va s’enfoncer » disait l’un. « Le vent fera tomber tout ça » ajoutait un autre. Partout dans le Cantal on faisait appel au savoir faire de l’architecte aurillacois pour bâtir des mairies et d’autres bâtiments publics comme le collège et le lycée techniques d’Aurillac, les collèges de Mauriac, Salers, Saint Cernin, Saint Martin Valmeroux, Maurs, Chaudes Aigues, Massiac, Montsalvy…. Non content d’oeuvrer pour le logement des aurillacois, Pierre Terrisse s’engage dans des chantiers extérieurs au département, comme la construction des abattoirs d’Agen. Il travaille aussi au tracé de chemins partout dans le Cantal et aux adductions d’eau des communes pour le génie rural. « Il a toujours aimé la nature » se souvient sa soeur « pendant 18 ans il a loué le moulin du château de Caillac, à Vézac. Il aimait y recevoir ses amis et passer les vacances avec sa famille. Il l’avait entièrement restauré. Un mauvais jour, ils ont du partir, les héritiers de la propriétaire décidant d’occuper les lieux ». Cet amour de la terre lui fait acheter un terrain près de l’aérodrome, puis un pré. « Il y élèvera même des vaches, des Brunes des Alpes » se rappelle sa soeur. Le travail se poursuit, les constructions se multiplient. A la fin des années 50 naît le projet de la Dorinière. C’est encore le plus grand immeuble de la ville. Il répond à un très fort besoin de logements. Certains de ceux qui y vivent depuis le début se souviennent « nous avons pu devenir propriétaires, ce qui était impensable ailleurs en raison de nos revenus ». La maladie empêchera Pierre Terrisse d’ achever cette dernière construction. Un cancer de la plèvre l’emporte en six mois.
Pierre Terrisse meurt le 17 août 1961, à l’âge de 51 ans dans sa maison de Vitrac. Il se faisait une fête de recevoir dans ce lieu qu’il avait choisi, sa famille souvent réunie et ses amis. Il n’y aura passé que les trois dernières semaines de sa vie. Une foule nombreuse l’accompagnera lors de son enterrement civil.
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CHARLES TERRISSE
Charles Terrisse reprend le cabinet familial en 1963. Les bâtiments publics et privés, souvent novateurs, vont être édifiés dans tout le département et même au-delà. Découverte d’une vocation qui sera une véritable passion.
Charles Terrisse naît à Aurillac le 9 septembre 1937, trois mois avant la mort de son grand père Charles. Ses parents habitent rue des Carmes, dans un petit appartement joint à l’agence d’architecte. Il a quinze ans lorsque la famille quitte une maison louée Boulevard Lintilhac. L’immeuble ayant appartenu à l’imprimeur Alexandre Pinard, qui fut un soutien fervent de la Commune, transformé par Pierre, abrite bureaux et appartements.
Charles à 2 ans et à 17 ans
Après avoir fait toutes ses études, du cours préparatoire au baccalauréat, au lycée Emile Duclaux, le jeune homme entre en 1957 à l’école spéciale d’architecture de Paris. C’était l’une des deux seules écoles françaises formant les architectes. « J’avais toujours vu travailler mon père » se souvient il « il ne m’a pas orienté, mais je savais, en choisissant cette profession, accomplir ce qu’il souhaitait ». Il ajoute : « c’est à l’école d’architecture qu’est née ma vocation. J’ai su que c’était ce métier que je voulais vraiment faire ». Sportif et pratiquant le football depuis l’enfance, il participe à la demi finale du championnat de France universitaire avec son équipe de l’Ecole Supérieure d’Architecture de Paris.
Marie Louise Terrisse a trente cinq ans lorsque Pierre, son frère, meurt. Elle travaille encore au cabinet pour transmettre tout ce qu’elle sait à son neveu Charles. En 1963 elle crée un atelier de reliure dans la maison du Pont Rouge où elle vit avec sa soeur, près de leur mère malade qui mourra en 1965. Les demoiselles Terrisse feront construire une maison à Couffins, en face de celle où elles venaient passer les vacances avec leurs parents. « Marguerite dans l’étude, puis la construction du premier, et seul, trois étoiles cantalien. Les difficultés financières du promoteur le conduisent à essayer une sortie en intentant un procès à l’architecte. « J’ai passé quelques très mauvaises nuits » se rappelle Charles Terrisse. Les expertises concluront à « la conception inattaquable et aux dettes considérables du plaignant ». L’hôtel brûlant peu après, empêchera les clients d’apprécier la qualité du travail fourni.
Les réussites s’enchaînent.
Roger Belcour, chirurgien aurillacois, a l’intention de créer une clinique moderne en collaboration avec les docteurs Mézard et Massoubre. Après avoir vu la Sapinière, il fait appel à Charles Terrisse. Au manche de son avion, il va entraîner le jeune architecte de Lyon à Marseille en passant par Paris pour visiter les établissements les plus modernes de l’hexagone. La première tranche de la clinique CMC, va naître avec ses 60 chambres. La confiance des médecins sera maintenue pour toutes les tranches qui suivront. Des visiteurs montalbanais vont être tellement séduits par cette réalisation que le jeune architecte devra réaliser un deuxième CMC à Montauban. En 1971, Roger Belcour fait appel à lui pour les élections municipales. Ils sont huit élus de l’opposition face à la liste du docteur Mézard, dont Charles Terrisse qui obtient autant de voix que le maire. Mesurant la difficulté d’exercer une profession libérale en même temps qu’une carrière politique, il ne se présentera pas à l’élection suivante. Les constructions se poursuivent, avec comme point fort le bloc opératoire de l’hôpital et ses trois niveaux souterrains. « Nous avions employé la technique utilisée en ce moment pour la réalisation du parking du Square » indique Charles Terrisse « la construction des parois enterrées précédait le terrassement de masse ». C’était il y a plus de vingt ans. Partout dans la ville, une dizaine de copropriétés sortent de terre. La plus importante du département est avait le projet de faire faire un petit immeuble sur l’emplacement de notre maison aurillacoise trop lourde à entretenir. Nous aurions gardé l’appartement du haut pour nous » se souvient la benjamine. La mort soudaine de son aînée la conduit à vendre le berceau de la famille du boulevard du Pont Rouge. Depuis, elle vit seule dans la maison de Couffins. A la mort de son père, Charles a 24 ans, il est encore étudiant. Faute d’un architecte, l’agence devrait fermer. C’est Jacques Porcher, un ami de Pierre Terrisse, qui accepte de prendre la gérance en plus de son agence personnelle. Il assure l’intérim pendant deux ans. En 1965, diplôme en poche, le jeune architecte prend la direction de l’agence. Très vite il est mis à l’épreuve, lui, le petit jeune, frais émoulu de l’école. L’expérience de l’équipe ayant travaillé avec son père lui est précieuse. Les projets vont s’enchaîner rapidement. C’est, à Chaudes Aigues, la construction de l’établissement thermal, puis le centre de rééducation fonctionnelle, l’extension du collège , le cinéma et la caserne des pompiers. Deux projets vont marquer le début de la carrière de l’architecte. Le promoteur de l’hôtel de la Sapinière, à Saint Jacques, vient le voir un jour de 1965. « Vous êtes jeune. Vous devez avoir des idées nouvelles ». Il se lance réalisée à la Montade pour les HLM. L’ensemble immobilier compte 424 logements. Là encore, une nouvelle technique apparaît avec les mêmes coffrages tunnels qu’à la Tour Montparnasse. Un bon nombre d’établissements scolaires suivront les études réalisées dans l’agence aurillacoise, comme les collèges d’Allanche, Massiac, la Ponétie, Pierrefort, Saint Mamet et Ydes, l’école ouverte de Belbex, l’école primaire d’Arpajon, et aussi la chambre de commerce et d’industrie, l’extension de la préfecture, le centre des congrès, les tribunes du stade à Aurillac, le centre de ski de fond de Coltines, le centre nautique de Murat et des maisons de retraite à Aurillac, Arpajon, Chaudes Aigues, Maurs, Montsalvy, Murat et Saint Urcize. Charles Terrisse est élu conseiller prud’hommal par ses pairs, et réélu pendant 15 ans.
La famille. La vie citoyenne.
Lors d’un voyage avec le conseil de l’ordre à Osaka, au Japon, pour l’exposition universelle de 1969, Charles et Chantal Pagès, devenue son épouse en 1964, découvrent les peuples d’Asie, de Téhéran à Bangkok et Hong Kong. Ne pouvant avoir d’enfants, « vous n’en aurez jamais » avaient affirmé les spécialistes, ils décident d’en adopter. C’est la fin de la guerre du Viet Nam. Les petits malheureux abandonnés se comptent là-bas par milliers. C’est Pierre qui arrive le premier de Da Nang. A 10 mois il est squelettique. Jacques en 1972, puis Claire vont compléter la famille. En 1979, contre toute attente, Chantal donne naissance à un garçon Marc. Les quatre frères et soeur volent aujourd’hui de leurs propres ailes. L’aîné est pompier professionnel à Clermont Ferrand, père de deux garçons. Jacques, passionné de voile, travaille dans les chantiers navals. Claire a fait des études dans une école hôtelière. Marc, diplômé d’urbanisme, travaille et vit en région parisienne.
En décembre 2000, aucun de ses enfants n’ayant choisi de continuer l’oeuvre des bâtisseurs cantaliens, Charles Terrisse décide de prendre une retraite anticipée. La continuité de l’agence d’architecture étant assurée par son ex associé Jean Estival. Il veut servir sa cité. Depuis 2001, il est adjoint à l’urbanisme de la ville d’Aurillac. Il donne l’essentiel de son temps à la Mairie, à quelques dizaines de mètres du petit appartement qu’il habite. Il lui reste à mener, pendant la fi n de son mandat, les divers projets municipaux. Parmi eux, le nouveau plan d’urbanisme et la création d’une zone de protection du patrimoine architectural et environnemental lui tient particulièrement à cœur. Il s’agit de définir le cahier des charges qui protégera le centre historique, et d’autres quartiers de la ville comme l’hôpital et l’hippodrome.
Après ... après il pourra retrouver le plaisir de la randonnée, du vélo, et, enfin, retrouver un chien. Tout au long de sa vie, Charles Terrisse a entretenu une véritable passion pour les grands chiens d’arrêt auvergnats. Il a même suivides études cynophiles qui l’ont fait juge de la société canine. Il assure : « j’aurai à nouveau un Braque d’Auvergne ». Il consacrera son énergie à aider les plus démunis avec le Secours Populaire et dans le cadre du jumelage avec Bougouni.
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