Des célibataires ? Quelle drôle d’idée… Qu’ont-ils donc de si particulier ? Est-ce qu’on voit sur leur visage qu’ils sont célibataires ?
Je laisserai chacun parcourir cette exposition et se faire une opinion. Quant à moi, ma réponse sera non.
Agnès Pataux est photographe. Avec son appareil, elle a voyagé en Afrique, en Irlande, et s’est finalement arrêtée – pour un temps – dans le Cantal, au cœur de ces vallées isolées du Puy Mary, de l’Aubrac et du Cézallier.
Faire des portraits n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Un clic suffit pour prendre une photographie, mais l’art du portrait ne peut se réduire à ce bref mouvement du doigt. Il suppose tout un travail de préparation, et surtout une complicité entre le photographe et son modèle.
C’est donc avec patience qu’Agnès Pataux a parcouru les routes sinueuses du Cantal, rendant visite à des étrangers qui l’ont accueillie et sont peu à peu devenus des amis. Ces portraits sont le résultat d’un échange, d’une écoute mutuelle, d’une confiance réciproque.
Cette exposition n’est pas un documentaire. Certes, ces hommes et ces femmes sont photographiés chez eux, dans leur maison, devant leur grange ou au travail. Un certain mode de vie transparaît, dans une nature vaste et déserte où on s’aventure parfois l’été, à l’occasion d’une randonnée dominicale. Mais il serait réducteur de s’arrêter à cela. Cette exposition est un hommage. Ce qui est donné à voir, c’est l’humain. Sa dignité, nous dit Agnès Pataux.
Ce sont vingt-et-un portraits en noir et blanc, d’un format peu banal de 50 x 50 cm. Un grand format, carré, qui impose ces visages aux spectateurs. Est-ce le cadrage, est-ce la lumière, ou l’alchimie de composantes innumérables qui leur donne tant de force ? Ils apparaîtront tantôt gais, tantôt sérieux, mais toujours confiants. La photographie n’est pas un simple miroir de leur quotidien, elle les sublime.
Lucie Dorsy : Directrice des Archives départementales du Cantal
Célibataires : texte de l'autrice
"Nous en savons tous quelque chose et en connaissons tous aussi les lieux communs – « vieux garçon », « vieille fille »…
Je suis partie à la rencontre de tout un monde auquel on prête peu attention. Un univers en marge, en dehors de l’air du temps.
J’ai photographié des célibataires sur leurs terres.
Dans les collines du Conté de Clare en Irlande, les vallées autour du Puy Mary dans le Cantal, sur les contreforts de l’Aubrac, jusqu’aux estives du Cézallier. Dans des villages, des hameaux et des fermes isolées.
Des hommes surtout, très peu de femmes.
Vivre célibataire. Une affaire sérieuse qui concerne le célibataire comme ceux qui l’entourent. Il habite fréquemment avec ses frères et sœurs célibataires ou, tant que les parents vivent, au sein d’une famille. Puis, seul, avec opiniâtreté.
À la maison, une pièce qui ne change pas au fil des ans, résume le foyer avec sa grande cheminée, son poêle, sa longue table à tiroirs et ses bancs, son vaisselier, son plancher lessivé, ses lits clos et sa télévision.
Ils sont restés. Là où ils sont nés. Ils n’ont pas quitté la maison familiale, les terres sur lesquelles ils exercent le métier qui est le leur. Tout comme leurs parents avant eux.
En toute saison, il faut s’occuper des bêtes, des prairies, des foins, du bois à rentrer pour l’hiver. Le travail est rude, contraignant, jour après jour. Le père, bien qu’à la retraite, continue à travailler au côté du fils aussi longtemps qu’il en a la force. La mère, elle aussi, accomplit vaillamment sa tâche.
Je fus très bien accueillie. Autour d’un verre de sirop ou d’une tasse de café réchauffé, accompagnés de biscuits. Au moment de nous quitter, nous allions au jardin. Je repartais avec des haricots ou des choux, une salade, choisis avec soin… ou bien un pot de confiture, des œufs ou un saucisson fait maison.
Ce qu’ils ont dit des portraits que je leur rapportais ?
« C’est bien lui ! »
« C’est réel ! »
source : Archives départementales du Cantal