Rosa Bonheur, peintre et sculptrice, spécialisée dans la représentation animalière, connut la renommée de son vivant en France et au-delà jusqu'à recevoir la légion d'honneur (chevalier) des mains de l'Impératrice Eugénie en 1865. D'un anticonformisme affiché et assumé, elle refuse de se marier, porte les cheveux courts, fume le cigare et monte à cheval, « comme un homme », et, à l'occasion, elle porte le pantalon (NDLR : en 1852, pour pouvoir se rendre sur les marchés aux bestiaux, elle obtient auprès de la préfecture de police l’autorisation de porter des pantalons). Elle partage ouvertement la vie d'une femme, Nathalie Micas dont elle fit connaissance en 1837 et jugeant les bêtes moins dangereuses que les hommes pour une femme du XIXe siècle, elle ira jusqu'à écrire : « En matière de mâles, je n’aime que les taureaux que je peins .»
Dès son enfance, Marie-Rosalie Bonheur, née le 16 mars 1822 à Bordeaux, est plus attirée par les champs et les étables que par la ville mais très rapidement ses parents doivent déménager à Paris. Le monde rural lui manque, elle n'a guère d'occasion de dépenser une énergie qui semble inépuisable.
Rien d'étonnant à ce que, dès l'âge de 13 ans, la jeune adolescente délaisse les travaux de couture pour se consacrer au dessin et à la peinture en qualité d'apprentie dans l'atelier de son père qui, face à son caractère indépendant et rebelle, a rapidement renoncé à faire d'elle une petite fille modèle du XIXe siècle. Elle a alors la possibilité d'aller au musée du Louvres et de copier les œuvres qu'elle souhaite (à l'exception de nus interdits aux femmes à une époque où l'homme crée et la femme procrée !). Les femmes étaient généralement cantonnées aux portraits, Rosa, du haut de ses 17 ans, s'intéresse, dès 1839, à un domaine jusque-là ignoré des femmes, la peinture animalière.
Sa mère décède alors qu'elle n'a que 11 ans. Son père se remarie 9 ans plus tard, en 1842, avec Marguerite Picard, veuve Peyrol, (1813 -1887) native de la commune de Le Vigean (Cantal). Bien qu'elle ait pris ses distances avec sa famille dans la foulée, c'est pourtant grâce à ce mariage qu'elle aura l'occasion de séjourner dans le Cantal qui fera sa renommée.
Le Cantal et l'Auvergne
En effet, après s'être fait connaître lors d'une première exposition au Salon* en 1841, elle signera désormais - à partir de 1844 - Rosa Bonheur, voire Rosa B. sur ses sculptures. En 1845, la médaille de 3e classe (bronze) lui est attribuée, toujours au même Salon. A cette époque, il n'y avait pas comme aujourd'hui, de distribution solennelle de médailles ; les lauréats devaient aller les chercher dans les bureaux de la direction. Rosa Bonheur du haut de ses 23 ans, se présenta devant le directeur des Beaux-Arts, qui lui remit avec beaucoup de compliments la médaille, au nom du roi. Elle lui répondit: "Remerciez, je vous prie, le roi de ma part, et ayez l'obligeance de lui dire que je tâcherai de faire mieux une autre fois." Et elle fit mieux puisque qu'en 1848, parmi les nombreuses œuvres qu'elle présenta, la médaille de 1re classe (or) lui fut attribuée pour Bœufs et Taureaux, race du Cantal** (1848 – coll. part., 1,34 x 2,60 m). Ce tableau, acheté par un particulier, fut aussitôt expédié outre-manche.
Suite au Salon de 1846, Rosa Bonheur est épuisée, elle part deux mois dans le Cantal, dans la famille sa belle-mère originaire de la région de Mauriac. Découvrant de nouvelles races, de nouvelles scènes, bref de nouveaux horizons, elle se met à travailler avec acharnement : « Lorsqu’il me fallut rentrer à Paris, mes albums et mes cartons étaient bourrés de croquis et d’études faits d’après les sites pittoresques de cette contrée, ses habitants et les animaux que j’y avais rencontrés. Les quatre tableaux que j’ai envoyés au Salon de 1847 ont été en partie composés d’après ces études" (source : Souvenirs de ma vie de Rosa Bonheur et Anna Klumpke).
Le site internet de la commune de Chaussenac (Cantal) évoque l'attraction exercée par la région sur l'artiste : "Nos paysages de forêts, de vallons et de prairies et pacages de moyenne montagne ont inspiré, à la fin du XIXe siècle, une peintre animalière célèbre : Rosa Bonheur". En effet, à peine les portes du Salon de 1847 refermées, Rosa et Nathalie retournent à Chaussenac où elles louent une chambre. Nathalie écrit à sa mère : « Je veux bien y être pour quelque chose mais comme il y a longtemps qu’elle n’a pas trouvé le moyen de faire d’aussi belles études, elle se sent entraînée malgré elle. Nous travaillons beaucoup … ».
C'est donc de Chaussenac dont une rue porte son nom qu'elles partaient, à pied ou à cheval, arpenter les forêts, vallons, prairies et pacages de moyenne montagne. Avec toutes ces sources d'inspiration, le Cantal devient en quelque sort e l'atelier de prédilection de Rosa. Elle y découvre les paysages et, surtout, la race Salers, des vaches comme elle n'en a jamais vues, aux formes généreuses et à la belle couleur acajou, dont elle étudie tout particulièrement l'expression du regard. Cependant c'est en atelier que Rosa peint et sa vision, fruit de ses croquis préparatoires sur le terrain, est en quelque sorte fantasmée, mêlant réalisme, idéalisme et précision du trait. C’est du Cantal qu’elle rapporte les inspirations qui la conduiront à la gloire.
C'est là qu'elle croque ce qui deviendra La fenaison en Auvergne en 1855. La base Joconde cite des réactions de la critique lors de l’exposition universelle de 1855 dont voici un extrait :
« Exposition Universelle par Valleyres. Les bœufs de Mlle Bonheur. Je ne m’arrête pas au char, mais aux bœufs, celui qui se présente presque de face, avec son admirable poitrail d'un ton brun, miroitant, qui va se perdre dans le roux. Ces mufles sont bien cela, épais et frais, dégouttant de longs fils d'écume. On serait tenté de croire que ce dernier détail est de trop, quelques touches dans le pelage sont singulièrement délicates, eh bien, malgré le fini, cette peinture est large, elle est puissante. Encore un peintre qui retourne tous les jours à l'école des champs, en face de la nature, qui en a compris l'indicible beauté et qui la rend. »
Postérité en dents de scie et bicentenaire
Si le nom de Rosa Bonheur est resté dans la mémoire collective, en particulier aux Etats-Unis grâce aux historiennes d’art féministes, il est tombé dans l'oubli en France jusqu'à un léger retour en grâce à la fin du XXe siècle et une sortie des oubliettes fin 2018 à l'occasion de la réouverture au public de l'atelier de l'artiste, puis de la vente de la Halte du cavalier (61 x 50 cm), emportée pour 10 489 € le dimanche 12 mai 2019 à Saint-Germain-en-Lay.
- Rosa Bonheur, une femme libre, Des Racines et des Ailes en novembre 2018,
- Rosa Bonheur, l'histoire étonnante d'une artiste peintre du XIXe siècle, adulée pour son talent et sa fougue, Il était une femme sur France Inter en janvier 2019,
- sa maison est choisie pour le loto du patrimoine 2019,
- La peintre Rosa Bonheur, Au cœur de l'histoire sur Europe 1 en juillet 2019,
- Dans le Cantal, Rosa Bonheur en route vers la gloire, Invitation au voyage sur Arte en avril 2020.
A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur (1822-1899) à Bordeaux, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux et le musée d’Orsay organisent, en lien avec des institutions internationales prestigieuses, une importante rétrospective de son œuvre, qui sera présentée en 2022 à Bordeaux puis à Paris. Le château-musée Rosa Bonheur à Thomery, où l’artiste vécut près d’un demi-siècle, sera l’un des prêteurs importants et partenaires de l’exposition.
Dans le Cantal, une conférence, proposée par la Societé des amis des musées de la haute auvergne (SAMHA) - Des goûts et des couleurs - a eu lieu le 28 avril 2022 à la salle des Jacobins à Saint-Flour puis une (trop courte) exposition lui a été consacrée à la salle des fêtes de Salers du 23 au 31 juillet 2022.
En attendant Rosa Bonheur avait déjà été mise à l'honneur à l'occasion des journées du Patrimoine 2021 (18 et 19 septembre) journées élargies au Matrimoine à Bordeaux.
* Le Salon est l'appellation générique du Salon de peinture et de sculpture, manifestation artistique qui a eu lieu à Paris de la fin du XVIIe siècle à 1880. Il exposait les œuvres des artistes agréés originellement par l'Académie royale de peinture et de sculpture créée par Mazarin, puis par l'Académie des beaux-arts.
En 2005, une association Les Amis de Rosa Bonheur a vu le jour afin de "maintenir et développer cet intérêt, grâce à des conférences, des visites de musées ou d’expositions, des voyages vers les lieux qui gardent le souvenir de l’artiste, et la participation à diverses manifestations."
En 2022, les Editions Phébus publie une édition révisée de Rosa Bonheur, sa vie, son oeuvre (1908) par Anna Klumpke sous le titre de Souvenirs de ma vie, cette réédition paraît en poche (Libretto) en janvier 2024,
DTF, août 2021, mise à jour février 2024