Une petite mise au point s'impose, "les parapluies de Cherbourg" chantés par Catherine Deneuve (il s’agit en fait de la sublime voix de Danielle Licari) sont une invention des temps modernes (1986), née du coup de projecteur donné à la ville par le film de Jacques Demy mis en musique par Michel Legrand. La vraie capitale du parapluie est bel et bien Aurillac, qu’on se le dise une bonne fois pour toute !
Aux origines était l’ombrelle
Le parapluie n’est pas né du jour au lendemain dans l’esprit d’un génie candidat au concours Lépine, non ! Il est simplement le descendant de l’aristocrate ombrelle qui, depuis des temps immémoriaux, protégeait des ardeurs du soleil, et par voie de conséquence de la chaleur, les têtes bien faites. L’ombrelle n’est-elle pas devenue, au fil du temps, l’emblème des têtes couronnées et des puissants qui ne l’utilisaient que par temps sec ?
L’or de la Jordanne, troc ou toc ?
Il se dit que les pèlerins, de retour de Saint-Jacques de Compostelle, rapportaient d'Espagne du cuivre qui était troqué avec les artisans locaux contre l’or qu’aurait charrié la Jordanne tandis que les marchands de bestiaux rapportaient d’Espagne les toiles de coton - Ne courez pas prospecter le lit de la Jordanne dont l'exploitation aurifère a pris fin en 1750 ... si tenté qu'elle ait jamais existé même si, pour certains, le nom d'Aurillac n'est rien de plus qu'AURI LACUS (lac d’or) - Au final, peu importe la manière, la réalité est qu'il existait depuis longtemps sur place une industrie locale de dinanderie qui, à partir du XIXe siècle, fabriquera les pièces métalliques des parapluies que sont les noix, les coulants et autres aiguillettes.
Quant aux autres éléments nécessaires à la confection d’un parapluie, jonc ou bois, pour le manche, ce n’est pas la matière première qui manquait dans le Cantal.
Des ateliers de fabrication comme s’il en pleuvait
Aurillac, capitale française historique du parapluie, a toujours été considérée comme le cœur de l’industrie artisanale du parapluie même si les premiers ateliers étaient dans les environs de Paris. Au milieu du XIXe siècle, un jeune colporteur-rétameur, comme il en existait tant d'autres à l'époque, Alexandre Périez, originaire de Marmanhac, vendait les parapluies fabriqués par son cousin dans les Deux-Sèvres. A son retour dans le Cantal en 1844, il a l’idée de créer le premier atelier de fabrication de parapluies, place de l’hôtel de ville, à Aurillac. Il faut croire que la petite entreprise familiale a su séduire la clientèle puisque Périez s’associe rapidement rapidement à Durand Lafon. En 1862, l’atelier des deux associés déménage derrière le palais de justice car, outre les 90 ouvrieres travaillant à domicile, 130 ouvrier(e)s travaillent sur place. Il faut savoir que la production était hivernale, les différentes parties d’un parapluie fabriquées par des travailleurs à domicile étaient ensuite assemblées en atelier. Aux beaux jours, les fabricants, également colporteurs, reprenaient la route pour aller écouler leur marchandise aux quatre coins du pays. Certains ne sont jamais revenus, c’est ainsi qu’ont été créées les fabriques de parapluies d’Autun, de Chalon-sur-Saône, d’Angers, d’Amiens et même de Liège ou d’Utrecht.
En 1863, le parapluie d'Aurillac est présenté à l'exposition de Clermont-Ferrand. Il est alors destiné au milieu agricole. Équipé d'une petite pelle au bout de son manche, il peut servir à élargir les rigoles d'irrigation dans les prairies et attire l'attention.
Quelques années plus tard en 1875, le jury de l'exposition industrielle et artisanale du Cantal décernera la médaille de vermeil aux manufacturiers Periez, Lafon et Bois.
En 1877, l’association Périez-Durand-Lafon est rompue. Alexandre Périez fonde une nouvelle société, Alexandre Périez et Cie, tandis que, de leur côté, Durand Lafon et son épouse, Thérèse Bois, fondent leur propre société. En 1898, le couple construit deux bâtiments à la Manufacture au 49 avenue de la République, qui deviennent rapidement le fleuron de l’industrie aurillacoise. Malgré un système de chauffage innovant pour l’époque (système de chauffage à air pulsé découvert lors du chantier de reconstruction intérieure en 2007 et 2008), les conditions de travail sont dures pour les ouvriers, il fait particulièrement froid en hiver en raison du nombre important de vitrages.
En 1933, l’entreprise Bois est rachetée par Marcel Sauvagnat. Après quelques péripéties et changement de nom, l’entreprise Sauvagnat s'est spécialisée dans la plasturgie de luxe d'abord sous le nom d'Auriplast (1984) puis de Qualipac, abandonnant la fabrication des parapluies et de chiliennes pour celle des capots de parfum et autres boîtiers de maquillage.
Il faut retenir la date du 1er février 1884. Cette année-là, Jean-Baptiste Poignet, employé de commerce et Jacques Vaurs, négociant en parapluie, s'associent et ouvrent une fabrique au 16 rue des fossés à Aurillac. C'est l'origine de l'entreprise Piganiol, qui en est aujourd’hui à sa cinquième génération.
Du succès au déclin
En ce début de XXe siècle, Aurillac compte 5 fabricants de parapluies (Uzols, Lancelot, Poignet, Lafont et Bois). Les parapluies d’Aurillac sont présentés à Paris dans le cadre de l’Exposition Universelle de 1900 par une délégation d’ouvrières du Cantal. Derrière cette belle vitrine, se cache une autre réalité, celles des mauvaises conditions de travail pour des salaires de misères des ouvrières, particulièrement celles qui travaillent à domicile. 1905 voit la première grève des ouvriers du parapluie, sans grand succès, celle de 1914, alors que les hommes sont partis au front, sera suivie d’un accord permettant une amélioration sensible des conditions de vie des ouvrières.
En 1903, ces 5 entreprises emploient environ 625 personnes, 175 en atelier, principalement des hommes et 450, majoritairement des femmes, à domicile.
En 1928, ce sont près de 1 100 000 parapluies qui sont fabriqués à Aurillac par près de 750 ouvriers et ouvrières à domicile.
Le début de la deuxième guerre mondiale est fatal à plusieurs entreprises qui ferment leurs portes. En 1946, la production a chuté à 500 000 pièces et la profession n'emploie plus que 80 ouvriers et 150 ouvrières à domicile.
Seules 3 fabriques de parapluies survivent dans la seconde moitié du XXème siècle, Sauvagnat, Piganiol et Dalbin.
Entreprises du patrimoine vivant
Le déclin du parapluie français s’est opéré après la deuxième guerre mondiale puis il s’est accéléré avec la concurrence asiatique. Moins d’une dizaine d’entreprises fabriquent aujourd’hui des parapluies en France.
En 1998, le parapluie L'Aurillac est devenu un label. Son logo, une pépite d'or, en référence à la légende de l’or charrié par la Jordanne, véhicule l'image de ce qu'il représente, de ce qu'il est, un parapluie de grande qualité, issu d'un savoir-faire plus que centenaire. Ce label est rare, seuls deux fabricants peuvent l’utiliser et l’apposer, Piganiol, et Sauvagnat. Posséder un L'Aurillac, c'est posséder un accessoire intemporel, durable, fabriqué en France et réparable.
Les deux entreprises aurillacoises, Sauvagnat et Piganiol, sont labellisées « Entreprises du patrimoine vivant » mais Sauvagnat s'étant reconvertie dans la plasturgie de luxe sous l'appellation Qualipac, Piganiol - après avoir racheté Dalbin SA en 2000 - est la seule - à une exception près, celle du carré Delos - à perpétuer la tradition aurillacoise du parapluie. En effet, en août 2000, Gérard Delos, ancien responsable de production-création chez DALBIN SA, conçoit et commercialise "un parapluie carré à Aurillac entièrement démontable et à ce titre facilement réparable", le Delos, il en assure seul la fabrication, de la conception des pièces grâce aux machines qu'il a conçues, à l'assemblage du parapluie avec des pièces interchangeables (vidéo ci-dessous).
L'ouverture, en 2015, de l'IGP (Indication géographique protégée) aux produits manufacturés permettra peut-être de mieux préserver les collections des nombreuses contrefaçons et copies chinoises mais le processus est particulièrement lent, 4 l'ont obtenu depuis 2015 alors que 200 y sont élligibles.
Depuis 2017, la ville d'Aurillac installe un arc-en-ciel de parapluies dans la cité géraldienne pendant la période estivale ; ainsi, pendant trois mois, de la mi-juin à la mi-octobre, plus de mille parapluies aux couleurs éclatantes tamisent les rayons du soleil au-dessus de la tête des passants dans les principales rues commerçantes de la ville.
Pour aller plus loin dans la passionnante histoire du parapluie, vous pouvez consulter le livre de Jean Piganiol, paru en 2014 ou, depuis l'été 2021, et pour la première fois depuis 1884, visiter la manufacture Piganiol et découvrir, seul, en couple ou en famille, les secrets de fabrication et le savoir-faire mis en oeuvre par les différents métiers au sein d’une manufacture de parapluies.
* * *