C’est en 1947, à l’âge de 43 ans et après une solide expérience acquise au sein de l’entreprise paternelle que Martial Lapeyre décide de créer Les Menuiseries du Centre à Ydes, au pays de ses racines, découvert à l’âge de 10 ans.
Petit retour en arrière.
Rien ne serait arrivé sans Pierre Lapeyre, ce dernier a quitté le Cantal en 1850 pour tenter l’aventure parisienne pendant les années Hausmann, en se lançant dans le marché de la démolition, il sera d'ailleurs surnommé « le grand démolisseur ». En 1867 ce ferblantier a obtenu le contrat de démolition du pavillon de l’exposition universelle en vue de sa vente à la ferraille.
Quelques années plus tard, en 1889, il sera rejoint par son jeune neveu, Jean-Baptiste Lapeyre, né à Fontanges (Cantal) en 1876, auquel il apprendra le métier. A son tour, ce dernier se mettra à son compte, dès 1894, en se spécialisant dans la revente de marbre et de matériaux nobles, puis en 1904 dans celle de cheminées d’époque, particulièrement recherchées en ce début de XXe siècle.
Mobilisé en 1914, Jean-Baptiste Lapeyre confie sa propre entreprise de vente de matériaux à son épouse et envoie ses trois enfants, à la campagne, en l’occurrence dans le Cantal d’où il est originaire (Fontanges). Martial, l'aîné, s'occupera de l'éducation des plus jeunes, Jean-Louis et Lucienne. La guerre terminée, le père de Martial développe son entreprise et fabrique, entre autres, des portes en fer tandis que le jeune Martial Lapeyre poursuit ses études au lycée, avant d’intégrer l’école spéciale de travaux publics dont il sortira ingénieur en 1925, très honorablement classé 7e de sa promotion. Il intègre aussitôt l’entreprise familiale qui se diversifie (portails, clôtures puis menuiseries en bois neuves, qu'il dessine lui-même). En 1931, l’entreprise familiale devient la SARL Lapeyre et ses Fils. Ingénieur et ingénieux, Martial crée un catalogue détaillant les modèles qu’il produit, il standardise les dimensions des portes, fenêtres et volets et ouvre des entrepôts afin de vendre directement aux particuliers, faisant baisser les coûts en supprimant les intermédiaires.
Rendre la rénovation accessible au plus grand nombre.
C’est en 1947, dans l'immédiat après-guerre, alors que les besoins sont importants, que l’entreprenant ingénieur fait le choix d’un retour au pays paternel. A l'occasion d'un retour à Fontanges pour des vacances, il s'arrête à Ydes saluer des amis cantaliens avec lesquels il évoque ses projets d'installation dans le Cantal. Ces derniers lui présentent un menuisier, Émile Pigot, « qui peut éventuellement faire une petite série ». Et tout s'enchaîne, c'est ici, à Ydes qu'il installera Les Menuiseries du Centre. Peu à peu, il rachète des scieries – bois et forêts ne manquent pas dans le Cantal - dépose des brevets de menuiserie industrielle et crée des points de vente un peu partout, en France et à l’étranger . Et c'est ainsi que Martial Lapeyre, "homme passionné et passionnant .. soigné, d'une grande générosité, autoritaire mais respecté de tous" (voir ci-dessous La Montagne du 6 décembre 2015), fit fortune dans la menuiserie industrielle tout en menant une vie de collectionneur érudit, cultivé et discret.
Du temps de Martial, les Menuiseries du Centre feront toujours lechoix du « fait en France » et refuseront l'utilisation de bois exotiques. Les changements n'interviendront qu'à partir de 1975, date à laquelle 75 % des parts des Menuiseries du Centre seront cédées.
Retraite et passion napoléonienne
1975, c'est aussi l'heure du départ à la retraite de Martial Lapeyre, il séjourne alors plus régulièrement dans le Cantal et se livre à son autre passion, Napoléon Bonaparte autour duquel il a réuni une très importante collection d'objets, de documents, de livres qu'il a légués au public à travers une fondation qui verra le jour trois ans après sa mort, en 1987. La bibliothèque de cette fondation qui porte son nom est un espace de travail et de découverte pour tous les amateurs et érudits du Premier et du Second Empire. Elle est riche de plus de 12 000 titres, ouvrages anciens et modernes.
L'héritage de Martial Lapeyre en quelques chiffres
L’entreprise cantalienne, créée par Martial Lapeyre à Ydes et connue sous l'appellation Les Menuiseries du Centre, fabrique chaque année 100.000 meubles montés, 200.000 meubles en kits et 40.000 plans de travail pour la cuisine, mais aussi 25.000 meubles montés pour la salle de bain presque exclusivement pour l’enseigne Lapeyre, propriété du groupe Saint-Gobain depuis 1996. Avec ses 270 salariés pour 65 millions de chiffre d’affaires, le fabricant cantalien est passé en plus de 70 ans d’une logique de petite menuiserie aux exigences d’un groupe industriel (source : La Montagne du 29 juin 2016).
Le 14 octobre 2019, le groupe Saint-Gobain annonce son intention de vendre l'enseigne Lapeyre, en difficulté depuis plusieurs années. Le 1er juin 2021, le fond de retournement* Muratès confirme l'acquisition de Lapeyre, "transaction la plus importante de son histoire" avec un chiffre d'affaires de plus de 600 millions d'Euros. Dans La Montagne du 8 juin 2021, on peut lire que le nouveau patron a écrit aux salariés au début du mois de mai, espérant un retour à la rentabilité en 2023, promettant qu’il n’y aurait « aucune fermeture de magasin ou d’usine d’ici fin 2022" ...
* Les fonds de retournement permettent à des sociétés en difficulté de se redresser en apportant capitaux et moyens humains.
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