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Les usagers de la D120 connaissent bien sa silhouette, elle ne passe pas inaperçue avec sa couleur rouge brique ; et pour cause puisqu’il s’agit … d’une briqueterie, la briqueterie de Prentegarde (lieu-dit de la commune de Saint-Paul des Landes), probablement fondée en 1811. brigueterie 12

Les tas de tuiles, de tailles, de formes et de couleurs si différentes qu’on aurait presque pu presque parler de « cinquante nuances de rouge » visibles de l'extérieur témoignaient jusqu'à il y a peu de son activité.

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Pour avoir eu l’occasion de pénétrer à l’intérieur, je peux témoigner de l’atmosphère toute particulière qui y règnait, d’abord cette fraicheur qui vous saisissait et vous faisait légèrement frissonner et, surtout, cette légère sensation de désorientation liée au fait qu’ici tout était sombre, presque noir, le temps que l’œil s’habitue au violent contraste entre la lumière de l’extérieur et la nuit noire qui règnait à l’intérieur.

Du chaufournier au briquetier

Dans le Cantal, terre de calcaire et d’argile, les productions de chaux et de céramiques se firent conjointement dans les mêmes équipements à savoir les fours à chaux, souvent de modestes constructions creusés dans un talus sommairement maçonnés dont il ne subsiste plus de trace si ce n’est dans le nom de certains lieux. Le chaufournier était donc, indifféremment et concomitamment, fabricant de chaux et briquetier et/ou fabricant de tuiles.

Chaufourniers et briquetiers de père en fils

Le Dictionnaire Statistique du Cantal, peu disert par ailleurs sur le sujet, nous apprend qu’au milieu du XIXe siècle, « il y a à St-Paul beaucoup de fours à chaux qui donnent de grands revenus ». On ne sera donc pas étonné de l’existence, (voir le site internet Geneanet.org,) d’un certain Jean Aulhac (1767-1847), « propriétaire et fabricant de chaux » à Saint-Paul des Landes. Son fils Jean-Baptiste Grégoire Aulhac (1818-1888) lui a succèdé tout en exerçant la profession d’aubergiste car à Saint-Paul des Landes le Chemin Royal (l'actuelle départementale 120) voyait défiler  de nombreux voyageurs, marchands, hommes de troupe et vagabonds.

Quant aux fils de Jean-Baptiste Grégoire Aulhac, ils exerceront respectivement les métiers suivants :

  • Louis Martin Aulhac (1853- ?), fabricant de tuiles
  • Jean Baptiste Félix Aulhac (1854-1916), briquetier, chaufournier
  • Julien Jules Aulhac (1855- ?), briquetier

brigueterie 13Qui n'a pas chez lui une brique de Prentegarde ? On notera que le "h" d'Aulhac a disparu, remplacé par un "l" et un "i"

Il parait donc légitime d'en déduire qu’ils travaillèrent tous en famille dans la briqueterie familiale fondée par leur grand-père en 1811 (?). Nous manquons de documents fiables pour étayer cette date mais le cadastre napoléonien qui date de 1814 montre bien l'existence d'un bâtiment à Prentegarde en bordure de route.

Jean Baptiste Félix Aulhac, le fils cadet de Jean Baptiste Grégoire Aulhac, eut 8 enfants dont deux fils, Jean Baptiste Firmin (1892- ?) et Alexandre Isidore (1898-1971). Il semble que seul, ce dernier, prit la suite de son père et développa l’activité de façon conséquente, passant du statut de « briquetier » à  celui d'« industriel ». 

prentegarde 1814Extrait du cadastre napoléonien de 1814

Après la deuxième guerre mondiale, Alexandre Isodore Aulhac, qui sera également maire de Saint-Paul des Landes de 1947 à 1964, développera la gamme de produit avec Jean Vigouroux (1927-2013), devenu son gendre par son mariage le 11 avril 1955 avec sa fille, Suzanne Mélanie Thérèse (1932- ). Après son décès en 1971, Jean Vigouroux prend la direction de l’entreprise et accroît encore significativement la production en proposant des tuiles « dans l’air du temps » et ce jusqu’en 1988, date de la reprise des lieux par la SARL Tuileries de Prentegarde gérée par Jean-Pierre Taillé.

La terre et le four

Jusqu’à la fin du XXe siècle, l’argile utilisée par la briqueterie venait des terres du trou des Bars et du Puy Careyzac (Ayrens, Cantal), dont la qualité était garante d’un produit fini fait pour durer. L’exploitation de cette carrière a pris fin en 1997, date à partir de laquelle il  fallut faire venir l’argile de l’extérieur (voir photo ci-dessous).

brigueterie 7La terre en attente d'être tamisée avant utlisation

Le four - un Hoffmann à feu continu destiné à la cuisson de briques, tuiles, et, de façon générale, tout objet en terre cuite, inventé et breveté en 1858 par Friedrich Hoffmann - permit un progrès considérable en fournissant des briques et des tuiles de qualité constante et un bien meilleur rendement qui contribuèrent à la bonne renommée de la briqueterie.

De la seconde guerre mondiale au XXIe siècle, du grand-père au petit-fils

Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si la briqueterie - la « SARL Tuileries de Prentegarde » de 1988 à 2020 - devient « Terre passion » sous l’impulsion de Franck Mestries. Son grand-père ayant été ouvrier à la briqueterie au sortir de la deuxième guerre mondiale, on imagine aisément l’émotion de ce dernier lorsqu’il découvrit les lieux quasiment « dans leur jus » et son envie de « sauver ce patrimoine et ce savoir-faire » bicentenaires menacés de disparition.

Le projet de reprise était ambitieux mais il fallait au préalable procéder à la mise aux normes des lieux, les sécuriser et  les agrandir afin de pouvoir rapatrier les installations extérieures vers l'intérieur. Pour ce faire, le repreneur reconnaissait qu'il faudrait sans doute sacrifier l'ancien four afin de gagner de l'espace.

A ce moment-là, la terre venait d’une carrière à ciel ouvert, à cheval sur deux communes de l’Allier, Vieure et Louroux-Bourbonnais, qui présentait l’avantage d’offrir trois argiles différentes (rouge, jaune et bleu-vert) ainsi que le sable nécessaire comme dégraissant pour la fabrication des tuiles. Grâce à cette matière première, outre les traditionnelles tuiles, briques et carrelages, « Terre passion » pouvait fournir les professionnels qui apprécient ce matériau pour leur four à pain ou à pizza dans le Cantal mais aussi dans les départements limitrophes que sont l’Aveyron, le Puy-de-Dôme et la Corrèze. 

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Pour plus d'informations, le lecteur intéressé pourra se référer à l'article publié par le quotidien La Montagne le 27 septembre 2020. L'aventure de Franck Mestries prend fin en 2023 avec la liquidation judiciaire de la société "Terre passion". La vieille dame de briques rouges n'a pas encore dit son dernier mot.

DTF sept 2020

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