Dans le Cantal, comme un peu partout en France, la construction des monuments aux morts s'est intensifiée à partir de 1919, grâce à la loi du 25 octobre relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la grande guerre qui, dans son titre 5, précise :
« Des subventions seront accordées par l’État aux communes, en proportion de l’effort et des sacrifices qu’elles feront en vue de glorifier les héros morts pour la patrie ».
En 2019, à l'occasion du centenaire de l'Armistice mettant fin à la « Grande Guerre », une véritable travail de fourmi a été effectué visant à recenser, répertorier et enfin protéger les monuments aux morts, protection dont ont bénéficié 7 monuments aux morts du Cantal.
Choix a été fait par les instances culturelles de catégoriser les monuments, choix que nous reprenons à notre compte ci-dessous :
- les « architecturés »,
- les allégories (aucun monument n'est concerné dans le Cantal),
- le soldat et
- les monuments « humanistes »
Ce n'est sans doute pas un hasard si ces 7 monuments aux morts ont été inscrits aux Monuments Historiques ; en effet, il y a derrière chacun d'eux un ou deux grands noms du monde artistique de l'époque.
Les monuments aux morts "architecturés"
1 -Aurillac
En 1924, sous l'égide du maire Louis Dauzier, la municipalité d'Aurillac lance un concours afin de désigner le meilleur projet de monument aux morts. Ce sera celui d'André Maurice - architecte en chef du Gouvernement, des Bâtiments civils et Palais nationaux - et Henri-Raphaël Moncassin (1883-1958) - sculpteur, deuxième prix de Rome en 1905 - dont la construction s'achèvera en 1927. Leur réalisation, grandiose, est installée à l'extrémité du Square Vermenouze, face au palais de justice, et rend hommage aux 600 victimes de la ville. Il s'agit d'un imposant mur dans lequel se détache une immense couronne (symbole funéraire et/ou couronne de victoire) autour de laquelle se détache des personnages hautement symbolique (famille, justice, paix, …).
2 - Saint-Paul des Landes
Coincé à l'angle de la D120 et la D53 à la sortie de Saint-Paul des Landes, il serait visible de tous les automobilistes qui traversent la commune s'il n'était pas aussi noirci par le temps. Tardivement construit et inauguré le 11 novembre 1934, il consiste en une colonne érigée sur un socle sur lequel se détache une femme (la France victorieuse?) agenouillée et de profil, sur fond de lauriers sculptés dans la masse et offrant une palme aux soldats. Le style épuré signe l'appartenance de l'ensemble au style art déco propre à l'entre-deux guerres. Les deux concepteurs, Georges Labro (1887-1981), l'architecte et Armand Martial (1884-1960), le sculpteur, n'étaient pas des inconnus puisqu'il s'étaient déjà distingués en réalisant précédemment l'immense statue dédiée à Paul Doumer qui trône à la jonction des avenues de la République et du 4 septembre à Aurillac. Le nom des victimes était, semble-t-il, inscrit au dos de la colonne mais après vérificaiton, rien n'y est visible.
3 -Salers
Inauguré le 17 septembre 1922, le monument aux morts de Salers n'est pas sans évoquer un arc de triomphe miniature, surmonté d'un … coq, signature de son concepteur, l'architecte du département, Casimir Croizet (1867-1928). Ce dernier fut architecte et inspecteur des Monuments Historiques, on lui doit la Maison Suzanne construite en 1903 au 3 rue Henri Mondor à Aurillac, maison inscrite aux Monuments Historiques. Le portique, richement décoré côté face, s'ouvre sur un petit jardin lui même ouvert sur les Monts du Cantal. Les noms de victimes sont gravés sur des plaques de bronze fixées sur les piédroits de l'arc et surmontées de la croix de la Légion d'honneur et de la croix de guerre.
4 -Vebret
Construit entre 1923 et 1925, le monument aux morts de Vebret a suscité une importante polémique au sein du conseil municipal de l'époque en raison de son emplacement au milieu de la rue principale du village et surtout à proximité immédiate de l'église. Toujours est-il qu'il est ainsi possible d'admirer sous toutes les coutures le travail d'Henri Rapine (1853-1935), architecte en chef des Monuments Historiques et de Luc-Albert Moreau (1882-1948), peintre graveur illustrateur, auteur de Suite de Guerre, l'un de ses plus beaux travaux gravés inspiré de son expérience de soldat profondément meurtri pendant la première guerre mondiale.
Les noms des victimes sont gravées sur 3 des quatre faces du cube ajouré de quatre colonnettes. Sur chacune des 4 faces figure un bas-relief en bronze évoquant le tragique destin des victimes.
Le soldat, thème du monument aux morts
5 -Le Falgoux
Au Falgoux, le conseil municpal choisit le projet de l'architecte mauriacois, François Lacombes et du célèbre sculpteur parisien Georges Saupique (1889-1961), prix international d'architecture (1925) ayant à son actif les quatre archanges du clocher de l'église du sacré cœur de Gentilly (1933-1936). Initialement prévu à proximité du bureau de postes, le monument siégera finalement contre le mur nord du transept de l'église du Falgoux. Sur un fond en granit se détache un poilu en bronze à la fière allure, les jambes croisées, appuyé sur son fusil, la main gauche sur sa ceinture et, de part et d'autres, gravé sur des plaques de marbre blanc figure le nom des victimes de la commune.
6 -Saint-Martin Valmeroux
Installé sur la place du marché, le monument aux morts de St-Martin Valméroux est une piéta, or parmi les critères à respecter pour bénéficier de la subvention la laïcité était impérative. C'était sans compter avec l'inventivité de l'artiste Pierre-Fix Masseau (1869-1937), représentant du courant symboliste et de l'Art nouveau, qui imposera une magnifique piéta … laïque mettant en scène non pas la vierge mais une jeune femme ailée et couronnée de laurier, symbole de la victoire, soutenant un homme nu mais casqué pour indiquer son statut de soldat. Il est probable que le choix de cet artiste, directeur de l'Ecole nationale d'art décoratif de Limoges de 1905 à 1935, est dû à son amitié avec Paul Chanut, gantier de la commune, qui sera à l'origine de la célèbre marque Isotoner. En septembre 2022, la municipalité a entrepris des travaux sur le monument aux morts dont la construction s'est terminée en 1922, de quoi prolonger la longévité de ce magnifique centenaire.
Les monuments humanistes
7 - Pierrefort
Le choix du monument aux morts fut acté en conseil municipal le 12 octobre 1927. Son inauguration à l'extrémité de la place de l'église eut lieu 3 ans plus tard « en grande pompe » lit-on dans la fiche du monument. C'est l'architecte aveyronais, Eugène Vergnes (1872-1928) qui a construit l'édifice, ce dernier est surélevée de trois marches, en son centre, gravés en rouge, sur deux pilastres s'égrènent les noms des victimes. Financée par des Pierrefortais ayant migré à Paris, la statuaire dont l'émouvante pleureuse qui surmonte l'édifice, est le fait du sculpteur aveyronnais Joseph Grandet (1877-1941).
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En guise de conclusion
Les monuments aux morts font tellement partie de notre environnement que nous ne les voyons plus ou en oublions le sens et l'origine. C'est peut-être afin que secouer nos amnésies collectives que les autorités culturelles ont choisi d'en protéger certains tandis que des communes font les choix de construire ou reconstruire leurs monuments aux morts, en faisant appel à des artistes contemporains ; c'est le cas à Saint-Martin Cantalès où le monument aux morts originel s'était effondré en 2009 sous le poids de la neige et à Saint-Julien de Toursac où il n'y avait qu'une plaque dans l'église pas toujours ouverte au public.
Qui sait, peut-être que dans 100 ans ces "nouveaux" monuments seront à leur tour inscrits aux Monuments Historiques ?
DTF, mars 2021