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Transcription d'un document manuscrit retrouvé dans un grenier de la région d'Arpajon sur Cère. La ponctuation, les majuscules, ratures et fautes d'orthographes sont fidèles à l'original.

Merci à Raymond

 

poiluanuscritManuscrit du poilu

Le Poilu c'est l'homme qui souffre, qui meurt, qui court à la mort, qui sent sa fin prochaine et qui ne se plaint, ni de ses souffrances, ni de la courte durée de son existence.

Le Poilu, c'est l'homme qui pendant plusieurs jours demeure enterré dans un fossé profond, étroit, a demi rempli de boue, d'eau, souvent de sang; dans un fossé ou les parapets bordent l'horizon à cinquante centimètres en amont, où la pluie tombe plus drue, le froid plus vif, dans un fossé, où la nuit vient tôt, où le jour vient tard, sans que l'on puisse abréger les ténèbres par la moindre clarté.
Le Poilu c'est l'homme qui n'est jamais propre, qui ne peut jamais être propre. C'est l'homme qui se couche, sans trop savoir sur quoi, tantôt sur la paille humide et prête à se transformer en fumier, ou sèche, mais sillonnée de poux; tantôt sur la terre ferme et glacée; tantôt dans la boue, tantôt dans l'eau.
Le Poilu c'est l'homme qui voit, entend, devine sa mort acourir vers lui, et la mort affreuse, la mort sans beauté, la mort douleureuse, la mort au fond d'un trou. C'est l'homme, qui pendant une demi-journée, une journée complète de 24 heures, demeure immobile, acroupi, dans un boyau, en butte à l'artillerie ennemie, qui peut le carboniser, l'asphyxier, le rendre fou, le décapiter. C'est l'homme qui voit cette oeuvre effroyable, s'accomplir autour de lui, et qui attend tous les jours, à toute seconde, depuis deux ans, que son tour arrive d'être déchiqueté. C'est l'homme autour de qui, les camarades crient pleurent, ou tombent, et qui sent tout d'un coup, son sang faiblir, pendant qu'il étanche le sang de son ami.
C'est l'homme qui écoute travailler sous lui, dans les entrailles de la terre et qui dès lors, s'attend tous les jours, toutes les nuits à être précipité en débris dans un entonnoir, après avoir sauté à vingt cinq mètres dans les airs.
Le Poilu c'est celui, qui deux ou trois jours durant, reste dans la tranchée, sans manger, autre chose que du biscuit, et du pain, sans boire autre chose que de l'eau, puisée sous ses pieds, ou la "gnole", qui vous tord, les boyaux, et vous endort le cerveau. Le Poilu, c'est celui, qui sans cesse, tient dans la main, une pioche, une pelle, ou un fusil, et qui sans cesse manie l'un ou l'autre et qui souvent tombe de fatigue, sans lacher, la crosse de l'un ou le manche de l'autre. Le poilu, c'est c'est l'homme qui a perdu, la notion de la civilisation, de l'hygiène, de la pitié, de la raison, du confortable, de l'amour; la joie la plus grande, lui vient du spectacle de la mort, ou de la douleur, de son adversaire. Rien d'humain, ne lui reste, que le sentiment d'amitié pour ses camarades de combat, pour quelques uns seulement, pour ceux qui vivent, chaque jour près de lui. Les autres, quoique Français comme lui, le Poilu ne s'en occupe guère il ne s'y interesse guère pas, il les voit tomber, sans s'émouvoir, il les voit mourir d'un oeil sec, presque dur.
Pourquoi s'attendrir, puisque le même sort est réservé à tous ?
Le Poilu, c'est l'homme qui n'a pas de décorations, mais qui en réalité, chaque jour en mérite au moins une. Et c'est sans doute, parce qu'il en faudrait trop, pour le récompenser à chacun de ses exploits, qu'on ne lui en donne aucune.
Le poilu, ce n'est pas, un secrétaire d'état-major, d'intendance, ni un automobiliste mais celui, que tous les automobilistes, et les secrétaires d'état-major et d'intendance regarde avec dédain, avec morgue, avec insolence, presque avec mépris.
Le poilu, ce n'est pas celui, dont la vareuse pincée, surmontée d'un faux-col éblouissant, atteste, les loisirs dans les bureaux éloignés des marmites; ce n'est pas celui qui couche dans un lit, qui cire ses bottes trois fois par jour, c'est celui à qui les embusqués reproche d'être boueux, d'avoir des pantalons tachés, une capote sans boutons, des cuirs déchirés.
C'est celui, qui dans les cantonnements arrivant toujours le dernier, lorsque les autres sont installés bien en place, et obligé de se caller dans des locaux, ouverts à tous les vents, à toutes les pluies, obligé de laisser aux autres, à ceux, que les balles, ne risque d'atteindre, les bonnes cuisines, les bonnes granges abondament pourvues.
Le poilu, c'est celui que tout le monde admire, mais dont on s'écarte lorsqu'on le voit monter dans un train, rentrer dans un café, dans un restaurant, dans un magasin, de peur que ses brodequins, machent les bottines que ses effets maculent, les vestons à la dernière coupe, que ses paroles sentent, trop crues.
C'est celui, que les officiers d'administration font saluer, c'est celui à qui l'on impose dans les hopitaux, une discipline sévère, dont les embusqués sont exempts.
Le poilu, c'est celui, dont personne, ne connait la vie véritable, pas même les journalistes qui l'exaltent, pas même, les députés qui voyagent dans les quartiers généraux.
Le poilu, c'est celui qui va en permission quand les autres y sont allés, c'est celui qui ne parle pas, lorsqu'il revoit sa famille et son pays, trop occupé, de les revoir, et de les aimer.
C'est celui, qui ne profite pas de la guerre. C'est celui, qui ne parle pas, qui écoute tout, qui juge, mais qui dira beaucoup de choses àprès la guerre.
Le poilu, c'est le fantassin, le fantassin qui va dans la tranchée.
Combien sont-ils, les poilus sur le front ? Moins qu'on ne le croit.
Que souffrent-ils ? Que risquent-ils? Beaucoup plus qu'on ne le croit.
Que fait-on pour eux ?
Je sais, on en parle; on les vante; on les admire; de loin.

Les illustrés tentent de les passer a la postérité, par leurs articles, ou les clichés, de leurs appareils. Les hommes malades tentent de flirter, avec eux par lettres.

Mais lorsqu'ils vont au repos les laisse t'on se reposer ?

Ont-ils leur journée pour les populariser, comme l'ont eu le 75, l'aviation, le drapeau belge, etc.
A t'on, vu expliquer dans la presse, que le poilu c'est encore le seul espoir du pays, le seul qui garde ou qui prend les tranchées, et malgré l'artillerie, malgré la mitrailleuse, malgré la pluie, malgré le froid, malgré la faim, malgré les soucis, malgré l'asphyxie. 

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