La Prusse ayant conquis le Slesvig en 1864 (traité de Vienne), ce territoire faisait partie de l’Allemagne durant la première guerre mondiale. Trente mille Danois sont enrôlés malgré eux dans l’armée Allemande. Six mille ont été tués sur le champ de bataille, d’autres ont été faits prisonniers par les Français. Ils ont bénéficié d’un traitement semblable à celui des Alsaciens-Lorrains.
Paul Verrier, titulaire à la Sorbonne d’une chaire de langues et littératures scandinaves, va s’adresser aux ministères de la guerre et de la guerre : il se met à la disposition du gouvernement en faveur des prisonniers de guerre du Slesvig. Il est allé plusieurs fois au Danemark. Dès 1897, il voit la politique très rigoureuse des Allemands pour germaniser cette région (où l’on continue à parler Danois et à se considérer comme Danois). Il avait rencontré de nombreuses personnes passionnées par le destin du Slesvig. « 4S » était une association d’étudiants voulant résister à la germanisation et désirant retrouver la nationalité danoise.
Paul Verrier avait écrit, avant la guerre, de nombreux articles sous le pseudonyme de Robert Rou au sujet de la germanisation de ces Slesvigois et de leur condition de vie. Il propose que ces prisonniers soient traités comme ceux d’Alsace-Lorraine, mais que ceci se fasse discrètement et échappe à la presse (pour éviter les représailles allemandes contre les familles de ces Danois). Il réussit à obtenir le soutien de plusieurs députés, sénateurs et anciens ministres. Il eut une audience chez le directeur de guerre. Il présente alors un programme :
- Prisonniers Slesvigois de langue danoise réunis dans un même dépôt.
- On leur appliquera un traitement de faveur comme les prisonniers d’Alsace-Lorraine
- On installera dans le dépôt une bibliothèque, et on y recevra des journaux danois.
- On autorisera un pasteur danois à célébrer dans le dépôt le service religieux, et à y donner des cours danois d’histoire et de géographie.
- On y organisera des cours de français.
- On autorisera les prisonniers à travailler chez les cultivateurs ou chez les artisans des environs.
- La presse ne devra pas souffler mot de ces mesures.
Le Ministère de la guerre choisit donc Aurillac, région agricole qui avait besoin de main d’œuvre. En avril 1915, Paul Verrier vint à Aurillac pour préparer l’arrivée des premiers prisonniers qui seraient logés à l’école ALBERT, école catholique de garçons. Son séjour eut aussi pour but de visiter les fermes de la région, et se faire une idée sur le futur travail des prisonniers.
Cependant, le directeur de l’école était très fâché que celle-ci abrite des prisonniers. Il écrivit : « ces hommes ont tiré sur nos soldats. Est-ce que les frères de nos soldats devront quitter leur école claire et agréable pour loger des ennemis et aller eux-mêmes à l’école dans un coin sombre et humide ?... »
605 DANOIS séjournèrent à l’école Albert, puis à la résidence de l’Evêque. Car en 1916, il fallut créer un dépôt plus vaste à la Meuse (ancienne résidence aurillacoise de l’Evêque de Saint-Flour jusqu’en 1906, rue Saint Anne). On aménagea une bibliothèque avec 2 500 livres danois et 200 livres français.
Donc malgré les réticences de certains, liées à l’ambiguïté de leur nationalité, leur séjour fut paisible. Il travaillèrent dans les fermes des alentours et participèrent aux grands travaux : parc des sports, route du Puy Mary, adductions d’eau...
Les prisonniers eux-mêmes considéraient qu’ils étaient bien traités à Aurillac, et aucun n’essaya de s’enfuir. Ainsi l’un d’eux raconte (Peter Petersen de Dankobbel) :
« Je suis resté deux ans et demi à Aurillac. Habituellement, nous travaillions chez les fermiers, nous mangions à la même table, nous vivions dans les mêmes conditions, et nous étions même payés de notre travail. Un agriculteur m’a même donné un billet de 20 francs en supplément parce qu’il considérait que j’avais trop peu reçu pour mon travail. Nous n’avions pas d’obstacle pour la correspondance avec nos familles, ni pour autre chose. »
Un autre raconte sa vie et son séjour à Aurillac. Il écrit un livre sur sa vie comme prisonnier de guerre en France. C’est H. Fuglsang-Damgaard, dans son livre « de la tranchée à l’Evêché ». Il se souvient d’un vieux pasteur protestant, Mr Madonland de la communauté protestante de Brioude.
La majorité des prisonniers était protestante, alors qu’il y en avait qu’une vingtaine à Aurillac (où tout le monde était catholique). Mais il n’y eut jamais de tensions entre Cantaliens et Danois pour des motifs religieux.
Ces prisonniers recevaient les visites de Danois connus : l’écrivain Johannes Jorgirsen, le Pasteur Hansen,…
L’armistice fut une grande joie. Noël 1918 fut l’occasion d’une fête à la danoise (alcool, arbre de Noël, danses)
Le 13 Novembre 1918, les prisonniers firent la démarche suivante auprès du gouvernement français :
« Nous soussignés, prisonniers de guerre slesvigois à Aurillac, prions respectueusement [le gouvernement français] de nous permettre, au nom de nous les prisonniers, d’exprimer notre reconnaissance la plus profonde et notre admiration envers les Alliés, et notamment pour la France le peuple français. Nos cœurs sont remplis de la gratitude la plus profonde du traitement généreux que la France a donné pendant les années de notre captivité. Nous sommes remplis d’admiration envers la France et la foi sans faiblesse du peuple français dans la victoire de la justice. Nous admirons le courage intransigeant à toute épreuve avec lequel la France a continué la lutte pendant quatre ans de privations, jusqu’au but. Veuillez nous permettre d’exprimer en ce jour à l’honneur de la France car l’ennemi héréditaire de la France – mais aussi du Danemark – a été écrasé, que nos cœurs battent au rythme des cœurs de Français dans la joie de la victoire. Et nous demandons au peuple français et à son gouvernement, maintenant qu’il a été réuni avec ses compatriotes, séparés par la violence, de ne pas nous oublier, nous et notre peuple. Les Alsaciens, les Lorrains et nous, avons été soutenus par une espérance commune : la réunion avec notre patrie, pour nous avec le Danemark. Et nous prions instamment le gouvernement français de rendre possible cette espérance. Nous déclarons d’une manière solennelle qu’aucune autre solution de la question slevigoise ne satisfera cette population et n’assurera un avenir heureux à notre pays et à notre peuple. »
Le retour des prisonniers dans leur pays débuta en 1919. Au Slesvig, les anciens prisonniers ont formé une association d’Aurillac. Ils remercient la France, « cette nation la France, le peuple français, nous lui devons tout. N’oublions pas que sans la foi inébranlable en la victoire de la justice, malgré toutes les défaites, jusqu’à ce que le but soit atteint et l’obtention de la victoire, les poteaux frontière seraient toujours plantés à travers le territoire danois, séparant les danois des danois. »
En application du traité de Versailles, la majeure partie du Slesvig fut redonnée au Danemark en 1920 après plébiscite.
Le Slesvig du sud, après plébiscite, resta à l’Allemagne. Il fait partie de nos jours du Land allemande du Schleswig-Holstein.
Encore aujourd’hui, au Danemark, le souvenir de l’époque allemande, de la première guerre mondiale et de la réunification du Danemark vivent toujours.
Les descendants des prisonniers viennent parfois à Aurillac. Ils cherchent le lieu où séjournaient leurs ancêtres, et n’ont pas oublié la générosité française de l’époque. Des liens d’amitié se sont noués avec des cantaliens. Des anciens prisonniers sont venus entre les deux guerres revoir leurs anciens patrons et fixer sur des photos ces retrouvailles, à partir de 1930, puis en groupes en juillet 1936. Nous avons le récit de leur voyage en 1933, la redécouverte de la ferme d’Escoudert, la visite chez Armand Delmas dans une ferme voisine (la ferme château « le Bouyssou »)
La municipalité d’Aurillac a envoyé à l’association des vues du stade et autres travaux réalisés par les Danois. Une rue d’Aurillac, débouchant sur la rue de l’Egalité, s’appelle maintenant Rue du Danemark en souvenir.
Robert LABROUSSE
Sources :
Revue de la Haute-Auvergne.Article de Germain POUGET : « prisonniers danois »Hans Kappel (article introductif) revue de la Haute Auvergne, tome 57 (avril –juin 1995)Claude Grimmer : histoire des rues d’Aurillac (De Borée - 2002)Recherches : ARCHIVES DU CANTAL (novembre 2011)Article la Montagne 1 septembre 1973 (édition : Cantal)