Tous les Aurillacois, et les Cantalous, qui utilisent le parking du Gravier empruntent la rue qui porte le nom des Frères-Charmes mais c'est bien malgré eux que leur nom bruisse à Aurillac depuis quelques années, bien malgré eux qu'il est associé aux péripéties qui ont émaillé la réhabilitation de ce pan de quartier connu sous le nom d'Ilot des Frères-Charmes.
Claude Grimmer dans son ouvrage Histoire des rues d'Aurillac (2002) nous apprend que "le 3 juin 1921, la (NDLR : partie de la) rue Victor Hugo entre la rue des Frères et le cours Monthyon prendra le nom de rue des Frères-Charmes soit deux ans après la mort du dernier des Charmes".
Le moment est peut-être venu de réhabiliter leur mémoire ? Et d'ailleurs qui sont ces frères Charmes et combien étaient-ils ?
Il s'agit de 3 frères nés à Aurillac, au petit château de Baradel qui faisait la limite entre les châtellenies de Conros, de Belbex et le territoire des habitants d'Aurillac, foyer d'Ildephonse Charmes et d'Anne Marie Aglaë Delzons. Ils ont respectivement 5, 4 et 3 ans lorsque leur père, notaire établi au bas du Gravier et fondateur de la Société Cantalienne, décède en 1853 à l'âge de 34 ans. Epoque oblige, leurs deux soeurs, Marie Charmes (1847-1919) et Louise Charmes (1852-1875) ne sont pas entrées dans l'histoire familiale. Il s'agit donc de :
- Marie-François, dit Francis Charmes (1848-1916), journaliste, diplomate, haut fonctionnaire, homme politique français, mort à Paris à l'âge de 65 ans.
- François Marie, dit Xavier Charmes (1849-1919), propriétaire du château de Baradel, fondateur du Comité des travaux historiques et scientifiques (1886), directeur du Secrétariat au Ministère de l'Instruction publique (1882-1897), membre du Conseil d'administration du groupe Suez,mort à Paris à l'âge de 69 ans.
- Gabriel Charmes (1850-1986), journaliste et explorateur, mort à Paris de la tuberculose à l'âge de 35 ans.
Leurs parcours respectives sont intimement liées. Les études de l'aîné, Francis, le menèrent du collège d'Aurillac, au Lycée de Clermont-Ferrand puis à celui de Poitiers pour se terminer à Paris où il part apprendre le droit, entraînant ses deux frères dans son sillage, les trois garçons s'installant chez leur sœur aînée. Francis est déjà titulaire de sa licence de droit lorsqu'il est mobilisé en 1870 en qualité d'officier des mobiles du Cantal, il a 22 ans.
La guerre terminée et sans fortune, le jeune Francis occupe un poste dans l'administration de l'Assistance Publique puis il fait ses premières armes dans le journalisme pour le XIXe Siècle, avant d'entrer au Journal des Débats en 1872, où il écrit sur la politique extérieure. Thiers, alors âgé de 75 ans, remarque le style de cette nouvelle plume, il est séduit par le jeune homme qu'il entourera de ses conseils et dont il fera le confident de ses derniers jours. Toujours en 1872, Gabriel, soutenu par Francis, entre également au Journal des Débats et au Soir et se spécialise en politique étrangère.
Toujours en 1872, Xavier, de son côté, entre au Ministère de l'Instruction publique, réorganise l'administration des Archives nationales. il a eu une action importante sur le développement des sciences, des lettres et des arts, sous la IIIe République.Sur intervention de Flaubert, il eut pour employé Guy de Maupassant qui lui dédia la nouvelle Saint-Antoine, en 1883. En sa qualité de secrétaire général du Comité des travaux historiques et scientifiques, il a été amené à publier de nombreux rapports.
Le 16 mai 1877, lors de la crise institutionnelle de la Troisième République française qui oppose le président de la République, le maréchal Patrice de Mac Mahon, monarchiste, à la Chambre des députés élue en 1876, à la majorité républicaine, Francis Charmes, et avec lui son jeune frère Gabriel, polémiste redoutable, séduisant et passionné, menèrent contre le gouvernement une ardente lutte.
De son côté, en 1880, Francis est promu sous-directeur politique du ministre des Affaires Etrangères, Barthélémy Saint-Hilaire, qui, à l'exemple de M. Thiers, a reconnu la valeur de Francis Charmes à travers ses articles au Journal des Débats. En 1881, il est élu député du Cantal. Battu en 1885, il devient, directeur politique des Affaires Etrangères.
Gabriel est envoyé en missions dans les pays méditerranéens et au Proche-Orient. Malade, il demeure au Caire les hivers 1878 et 1879 et visite alors une grande partie de l'Égypte. Le 21 mars 1880, il part explorer la Syrie et la Palestine et embarque à Alexandrie à destination de Jaffa. Il passe à Ramleh avant de pénétrer dans les montagnes de Judée, il arrive à Jérusalem où il est déçu de ne pas retrouver les belles descriptions de Chateaubriand ou de Lamartine. Il traverse ensuite la Samarie et entre à Nazareth d'où il gagne Caïffa puis le Mont Carmel et Saint-Jean-d'Acre. Il visite les ruines de Tyr et de Sidon et atteint Beyrouth. Il accompagne alors le consul de France à Bkerké lors de sa visite annuelle au patriarche des Maronites. D'autres reportages le mènent en Tripolitaine et en Tunisie le lendemain du protectorat français (1881) ainsi qu'au Maroc lors d'une mission officielle mais, à son retour à Paris, il meurt de la tuberculose en 1886, à l'âge de 35 ans. Bien que peu connu aujourd’hui, Gabriel Charmes fut un écrivain prolifique sur divers sujets et l’un des plus brillants des journalistes français de son temps.Il a eu le temps de publier plusieurs ouvrages dont trois à titre posthume :
- Cinq mois au Caire et dans la basse Égypte, 1880,
- L'avenir de la Turquie, 1883
- Voyage en Palestine, 1884 (préalablement publié dans la Revue des deux Mondes, 1881)
- Les stations d'hiver de la Méditerranée, 1885
- La Tunisie et la Tripolitaine, 1885
- Politique extérieure et coloniale, 1885
- Les Torpilleurs autonomes et l'avenir de la marine, 1885
- Nos fautes, lettres de province, 1879-1885, 1886
- La Réforme de la marine, 1886
- Une ambassade au Maroc, posthume, 1887
- Voyage en Syrie, posthume, 1891
- L'Égypte, archéologie, histoire, littérature, posthume, 1891
Influencé par le vice-amiral Aube, théoricien de La jeune école, Gabriel publie deux livres (Les torpilleurs autonomes et l'avenir de la Marine (1885) et La réforme de la Marine (1886)) et de nombreux articles de presse condamnant les gros bâtiments de guerre décriés comme chers et vulnérables au profit des torpilleurs encensés comme peu coûteux et invisibles, appelés poussières navales. C'est sans doute la raison pour laquelle un torpilleur canon a porté un temps le nom de Gabriel Charmes avant de devenir quelques mois après sa mise en service le Torpilleur 151, chiffre correspondant à son numéro de coque.
Francis, réélu en 1889, représenta le Cantal à la Chambre jusqu'en 1898, et au Sénat de 1900 à 1912. En 1894, il occupe le poste de chroniqueur politique de la Revue des Deux-Mondes, puis celui de directeur à partir de 1907.
Quant à Xavier, il quitte le Ministère en 1897 et entre au Conseil d'Administration de Suez, mission pour laquelle il se rendit en Egype chaque hiver.
En 1908, Francis entre à l'Académie Française succédant à Berthelot. La même année, il s'alarme devant les menaces d'une guerre qu'il entrevoie à l'horizon. Son souci de la défense nationale lui avait coûté, en 1912, son siège de sénateur. Quand la guerre éclata en 1914, il fut plus attristé que surpris. La publication de la Revue des Deux Mondes s'est poursuivie, il contribue à travers ses tribunes à entretenir la confiance et la volonté de vaincre dans le coeur de la nation. Il meurt brusquement à Paris le 4 janvier 1916.
DTF, septembre 2021