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Jean Engelvin, décédé le 17 février 2006, vit encore à travers les souvenirs qu'il a laissé à la postérité,  ceux du village de Chaliers, canton de Neuvéglise, qu'il aimait tant.

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Jean Engelvin (1914-2006)

Des amis, que je revois en été, suggéraient depuis quelques années que les vétérans de notre village, témoins d'une époque allant des années 1920 jusqu'à nos jours, rassemblent leurs souvenirs et en informent de bien plus récentes générations. De grand coeur je réponds à leurs souhaits par un rappel bien modeste, mêlant parfois et inévitablement vie privée parmi traditions et évènements ayant animé notre bourg dans ma prime jeunesse.

Né à Paris en 1914, de parents chalierois, [quand] la guerre survint. Mon père fut mobilisé et ma mère ne pouvant gérer son commerce et veiller comme elle l'aurait souhaité sur son jeune bambin, il fut décidé de me diriger vers Chaliers et de me confier aux bons soins de ma grand-mère paternelle, Catherine dite «la Catou», tout récemment veuve. Je devins donc «Jean de la Catou» surnom flatteur qui me resta toujours fidèle ! J'eus la chance d'y passer mes jeunes années en compagnie d'une dizaine de garçons de même âge, localisés dans le bourg et avec lesquels naquit bien sûr une indéfectible amitié.

Chaliers a tenu place dans notre histoire lorsqu'en 1380 le Connétable Du Guesclin, mandaté par le roi, vint délivrer notre village et sa très puissante forteresse des occupants anglais et des bandes dévastatrices qui les pillaient. Après 7 jours d'un combat victorieux, Du Guesclin se replia vers Châteauneuf de Randon où il mourut 3 semaines plus tard.

Aucune stèle ni retable, ni simple panneau ne commémore cet événement et cela paraît très regrettable ! L'an dernier, à l'entrée du village, un touriste breton, originaire de Lamballe, précisa‑t‑il, me pria de lui indiquer la direction du mausolée !!! Je ne pus qu'invoquer ma bien piteuse ignorance et lui conseillais de «pousser» jusqu'à Chateauneuf, vers les Lozériens plus fiers et moins avares de leur patrimoine historique !

Je le décidais cependant, qu'avant de nous quitter, il gagne le haut de notre «cité» pour y apercevoir les rares vestiges de la forteresse et d'y admirer le magnifique panorama dominant le confluent de la Truyère et du ruisseau Charreyre. Impossible, me répondit‑il, en me désignant un petit panneau «sans issue» et de fabrication artisanale. Le priant de ne pas en tenir compte, la voie étant sans risque, il suivit mon conseil et j'ose espérer qu'il en revint émerveillé !

La demeure de grand‑mère Catou était des plus modestes. Construite en pierres de «récupération» plus ou moins hétéroclites, la salle commune de 6 m x 5 m environ, reposait sur un assemblage de grosses dalles, plus seyant et fort respectueux en tout cas du style local.

A l'étage, une chambre de mêmes dimensions surmontée du grenier. Le tout était adossé «à même» le rocher par une taille verticale d'une hauteur d'environ 5 m.

Ce lieu de séjour se prolongeait de 20 m environ par le bâtiment fermier. Il était orienté vers le sud et la vallée de la Truyère. On y accédait par une solide porte en chêne et la lumière n'y pénétrait bien insuffisamment que par une petite fenêtre de 0,60 x 0,70 m environ. Le confort laissait bien à désirer : ni eau, ni gaz, ni électricité. Les téléphone, radio, télévision, etc. étaient encore bien loin d'être envisagés ! An fond de la pièce, une alcôve côtoyait une grande armoire aux portes joliment sculptées qui abritait des vivres et ustensiles courants de cuisine. Près d'elle une cuve en granit de 0,80 x 0 60 m contenait la viande de porc et parfois «en secours» quelques découpes peu tendres et gustatives appelées «Gorre» et provenant de l'abattage d'une ex‑laitière devenue improductive, le tout baignant dans du gros sel et recouvert d'une plaque ajourée en bois.

Côté est, la grande cheminée était taillée profondément dans le roc et assurait une bien modeste chaleur à condition de ne pas s'en éloigner à plus de deux mètres. Une petite niche avait trouvé place sur l'un de ses côtés et abritait une boite en bois remplie de sel «fin». A l'opposé étaient logées des lampes à huile et à pétrole bien indispensables pour l'éclairage «ambulant».

Entre porte et fenêtre, une autre cuve elliptique était encastrée dans le mur, mais proéminente dans la salle. Elle recueillait les eaux grasses, épluchures, etc destinées à nourrir les porcs. De ce bac, se dégageait une odeur peu flatteuse pour nos jeunes narines, mais atténuée cependant par les émanations plus «comestibles» des jambons, saucissons, petit salé, saindoux, suspendus eux poutres du plafond et voisinant la grande panière aux fromages !

Le bourg comptait d'autres maisons jouissant du même confort. Quelques‑unes plus récentes mais trop rares bénéficièrent ensuite de notables mais bien lents progrès. Il y avait vers 1920 plus d'activités que de nos jours, mais la plupart insuffisamment rentables

  • modestes exploitations agricoles chez : M. Vacher, Bonnet, Mizoule, Pélissier, Engelvin, Jouve, Coutarel, Soullié, Amarger,Baptiste et Barret.
  • un entrepreneur de battage et sciages : Mr Migne
  • trois menuisiers : Mr Buffieres, Jouve, Alexis Amarger
  • un cordonnier M. Pagès
  • un maréchal ferrant: M. Pélissier
  • trois auberges : chez Labro ( Pelissier ), chez Pagnou ( Coutarel ) et chez la Rose de Gras, très proche de la retraite.
  •  deux épiceries, merceries et divers : chez Bonnet ( la Junie) et chez Honoré ( la Norette )
  • enfin, quelques maçons et tâcherons. .

Notre jeunesse n'était pas des plus gâtée. Quelques petits chariots en bois, bien rares patinettes, échasses de fabrication souvent « familiale » et très fort éprouvés sur nos chemins très rocailleux. Leur remplacement était loin d'être assuré, d'autant plus que le Père Noël n'était pas encore apparu à Chaliers où pourtant nos grandes et belles cheminées étaient si accueillantes !

Bravant tous risques, une distraction insensée et très dangereuse nous attirait souvent vers la côte Nord du village, très escarpée, où, assis sur de minables caissons en bois en guise de luge, nous dévalions vers le ruisseau par d'incroyables glissades, jusqu'à ce qu'un rocher ou genévrier ne vienne stopper brutalement notre vertigineuse tentative. Par bonheur, il ne produisit jamais d'accident irréparable. Nous remontions ensuite bien péniblement et souvent ensanglantés vers nos familles «sans gémir», surtout, pour inventaire ! Je me souviens de ma grand‑mère me voyant apparaître tout délabré, et qui levant ses bras et croisant ses mains vers le ciel, s'écriait «Mon Dieu ! Je vous l'offre !» . Je suppose que mes camarades ne devaient pas bénéficier non plus d'un accueil enthousiaste !

En dehors de nos petits travers, nous les jeunots, rendions cependant quelques appréciables services à la ferme, en conduisant par exemple les troupeaux au pâturage où nous le surveillions des heures entières afin qu'ils ne s'évadent pas vers les prés voisins, les clôtures électriques étant bien sûr absentes.

Nous devions aussi, en période de sécheresse, détourner nos chères laitières vers la Truyère ou le ruisseau car Chaliers possédait peu de sources alors que les villages voisins en étaient abondamment pourvus. Dans la plupart des étables, des réservoirs avaient été creusés afin de recueillir les eaux ruisselantes sur nos toitures. Quels problèmes lorsque ces bacs se tarissaient ! Loin d'imaginer que beaucoup plus tard, nos troupeaux seraient ravitaillés sur place dans leurs pacages par des tonnes ou réservoirs mobiles et qu'ils bénéficieraient même d'un certain progrès «social» en s'alimentant à toute heure et quel que soit le temps sur le pré, même alors qu'elles ne pouvaient jadis quitter leur étable avant que ne soit épongée la moindre goutte de rosée.

Les hivers étaient bien plus rudes que de nos jours, les chutes de neige plus abondantes condamnaient nos fermiers dans grange ou écurie où ils remettaient en ordre leur matériel agricole.

Bien souvent, à la nuit tombée et après la «soupe», on allait à la veillée chez des amis. Visites très instructives, car chacun y apportait ses récentes informations et parfois même quelques «petits ragots» , pas très méchants rassurez‑vous ! Ma grand‑mère y apprit un soir l'accouchement d'une jeune personne habitant le Nord de la commune. La jeune maman était une gaillarde et tout s'était bien passé, quoique hors la présence d'un docteur, d'une sage‑femme et même d'une infirmière, mais assistée par des cousines et des amies devenues expertes par nécessité !

On évoquait aussi la mort récente de Fanchette, au terme d'une bien misérable vie et suivant de quelques années le décès de son époux, disparu tragiquement lors d'une dangereuse partie de pêche en Truyère.

Très jeune, j'avais cependant accompagné grand‑mère et participé à l'habituelle prière d'adieu précédant ses obsèques. Cette malheureuse avait acquis, hélas, une triste célébrité et était accusée de tous les méfaits et exactions possibles ! Elle n'était pas bien sûr un exemple vertueux et irréprochable et ses fréquentes exhibitions en plein centre du bourg où elle clamait de sa puissante voix de biens virulents pamphlets envers certains, étaient peu appréciées ! Mais je suis convaincu qu'elle n’en était pas l'auteur, de biens troublants indices et mures réflexions me font penser que pour «certains» de ses actes, la malheureuse avait été victime d'un odieux et diabolique individu exploitant sa misère et sa naïveté. Que d'interrogations subsistent hélas ! ! Pourquoi donc notre célèbre Fanchette a‑t‑elle‑ omis, à son départ, de nous léguer ses « mémoires » ?

Revenons à notre veillée où l'on plaignait ce cher facteur, monsieur Brun, qui juché sur sa bicyclette descendait de Ruines, qui n'était pas encore Ruynes en Margeride, nous distribuer le courrier par tous les temps. Il nous quittait épuisé et son retour devenait un exploit !

Le «Caïffa» n'était pas apparu à Chaliers depuis de longs mois et la population s'en inquiétait. Monsieur Brun l'ayant croisé vers «le Roux» nous informa qu'il se dirigeait vers nous. C'était un homme d'une cinquantaine d'années qui actionnait péniblement un tricycle surmonté d'un caisson d' 1/2 mètres cube environ, peint aux armes du «Planteur de Caïffa», proposait aux ménagères cafés, épices, levures, farines et spécialités diverses. Profession peu rentable et épuisante. Exténué, il dormait souvent dans une grange, à même le fourrage après avoir dégusté une bonne soupe chez un fermier généreux et apitoyé !

La veillée chez les «Migne» se terminait, rendez‑vous pris pour la prochaine « en notre maison » et échanges de gros poutoux ! Nous avions du un soir regagner bien vite notre logis, affrontant un violent orage et sous une pluie battante. Avant de refermer notre porte, Mémé s'empara d'une petite bouteille d'eau bénite, de Lourdes affirmait‑elle, et en aspergea le perron en faisant le signe de croix. Dieu l'en remercia, car la foudre épargna toujours notre chère maison.

Avant d'aller au dodo, Mémé me rappela que le lendemain après‑midi je devais accompagner mon cousin Lucien et aller embrasser ma grand‑mère maternelle, la «Meindroune ». Le lendemain, après déjeuner, nous nous dirigeons vers la Besse où nous ne devons cependant pas trop nous attarder car notre ami Marcel Soulié compte absolument sur notre participation à la cérémonie « funéraire » qu'il présidera le soir même à Chaliers.

Arrivant à la ferme, nous embrassons grand‑père Jean‑Maire qui est en grande conversation avec un éleveur de Lusclade venu solliciter pour une de ses laitières, la précieuse et indispensable intervention de son taureau. L'insémination artificielle n'existait pas encore et cinq à six taureaux seulement étaient répartis dans les fermes les plus importantes de la commune. Les éleveurs devaient donc y conduire leurs bêtes vers un officiant disponible.

Aujourd'hui, notre bien peu gracieux reproducteur serait‑il au mieux de sa forme ?? Très sollicité et parfois épuisé, tout le laissait craindre. Peut‑être aussi la postulante qui lui était soumise manquerait‑elle de séduction ? Allez savoir ! !

Grand‑mère Elisabeth nous apercevant des vitres de son « salon », nous fait un appel pressant de rentrer immédiatement, désirant sans doute nous épargner le piteux spectacle orchestré par grand‑père. Trop tard, chère Mémé, nous avons tout vu et notre éducation «animalière» s'est encore enrichie ! Contrariée, mais toujours aussi généreuse, elle se dirige cependant vers l'armoire où, nous le savions, se trouvaient dissimulés par la vaisselle, de bien succulentes friandises et surtout les délicieux chocolats dont ses « Parisiens » ne manquaient jamais de l'approvisionner. Merci, merci Mémé, gros poutoux et à bientôt !

Retrouvant notre ami Marcel, ce dernier nous fait part que la basse‑cour de l'un de ses voisins a subi l'attaque d'un milan affamé ou désireux peut‑être de varier son menu habituel de serpents, lézards ou rampants divers en s'offrant une volaille de choix ? Ces rapaces n'étant pas encore protégés, un chasseur local avait fait justice en abattant le coupable.

Marcel avait préparé les funérailles et exposé la dépouille du criminel au beau milieu d'une corbeille en osier munie de deux anses latérales. Selon la coutume, nous devions ensuite arpenter le bourg en présentant le cadavre de cet infâme rapace aux propriétaires de poulaillers et susciter leur compassion et leur solidarité en quémandant quelques oeufs. La générosité ne s'y manifestait pas toujours, mais la collecte nous rapportait parfois de deux à trois douzaines de «cocos» destinés aux fermiers victimes, mais qui finalement étaient toujours répartis entre les résidents les plus nécessiteux !

Je terminerai en rappelant de biens tristes événements, auxquels malgré mon très jeune âge, j'ai hélas assisté, horrifié et meurtri ! Tout d'abord, la très célèbre foire de Noël, dite aussi «foire de la Loue». La foule envahissait notre village et en dehors du marché aux bestiaux très florissant, un autre bien pitoyable et inhumain s'y déroulait ! Des pères de famille, originaires bien souvent des villages escarpés, incultes et pauvres du canton Lozérien du Malzieu, venaient proposer aux fermiers de nos communes cantaliennes les services de leurs jeunes enfants, âgés parfois de moins de 10 ans, pour garder leurs troupeaux et effectuer de menus travaux. D'autres un peu plus âgés pour des tâches de bouviers et d'autres activités plus «agricoles»

La plupart de ces malheureux étaient très correctement accueillis dans nos fermes. Quelques autres, hélas, plus malchanceux, l'étaient d'une manière frisant l'esclavage ! J'ai connu bon nombre de ces jeunes déshérités. Devenus des amis, nos fréquentations se poursuivirent en région parisienne où, adultes, ils répondirent courageusement aux offres d'emploi de livreurs de charbons, garçons de café et restaurants, et même, très souvent proposées à l'époque et combien pénibles à celles de frotteurs  "manuels" de parquets !

Les années passèrent, grands travailleurs et économes, nos chers Barrabans et Cantalous devinrent souvent gérants ou propriétaires d'importants commerces ou entreprises notoires très lucratives. Savourant leurs succès, bien juste revanche du passé, on les vit revenir au pays et y participer généreusement à sa rénovation.

La commune de Chaliers avait été, lors de cette maudite guerre de 14/18, très durement éprouvée par la mort de 43 de ses enfants. Vers 1924 ‑ 25, le rapatriement de leurs corps débutait au prix de grandes difficultés. L'accueil avait lieu à l'entrée du bourg, devant la maison de la famille Soullié, qui avait elle‑même perdu deux de ses fils.

Le cercueil drapé de tricolore était hissé sur le corbillard local. Les pleurs et les sanglots s'étant quelque peu apaisés, le maire à la tête de son conseil municipal, exprimait par une courte allocution, l'immense peine que tous ressentaient. Les enfants des écoles lui succédaient en déclamant quelques vers patriotiques de Victor Hugo, et après la bénédiction du curé, le cortège, drapeau en tête, se dirigeait vers l'église où la messe était dite. Dernières prières, derniers adieux et notre glorieux héros était conduit vers le cimetière pour y reposer à jamais dans la tombe familiale.

Tous mes souvenirs traduisent «strictement» le vécu de ma prime jeunesse. Sans doute, devraient‑ils être complétés et plus explicites ! Je compte sur mes vieux amis pour y pallier, en sollicitant leur riche mémoire pour nous relater les faits et anecdotes qui les ont tant marqués.

Merci à eux et ma grande amitié à tous.

http://jean.amarger.free.fr/Jean.htm

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La seconde guerre