CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA VÉGÉTATION DU CANTAL.
Le groupe du Cantal est remarquable par une admirable végétation. La division des eaux en une multitude de ruisseaux et de cascades, leur stagnation dans des marais élevés , la présence de magnifiques forêts , les accidents sans nombre d'un terrain inégal assurent à la flore du Cantal une richesse peu commune. Le sol, presque entièrement formé de débris volcaniques et enrichi depuis des siècles par la décomposition annuelle du feuillage des arbres, conserve une humidité qui communique aux plantes une très-grande vigueur. Il est peu de localités en France où l'on puisse suivre avec autant de plaisir le développement successif de tous les germes engourdis par un hiver prolongé et se hâtant, dans les montagnes, de jouir d'un été court que la neige interrompt quelquefois. Une végétation tout opposée se montre dans le sud du département: elle tient déjà de la flore du Midi, mais elle offre moins d'intérêt que celle qui revêt les pentes et les plateaux du groupe qui donne son nom à cette belle et vaste contrée.
Le Cantal présente peu de plantes qui lui soit particulières; il n'en est même aucune qui n'ait été encore rencontrée que dans cette seule localité. La végétation est plutôt sub-alpine que véritablement alpine, et si une comparaison pouvait être établie entre la parure végétale du groupe qui nous occupe et celles des deux grandes chaînes qui limitent la France à l'Est et au Midi, c'est avec les Pyrénées qu'il faudrait placer le Cantal. On n'y voit, il est vrai, pas plus qu'au Mont-Dore, aucune plante caractéristique des terrains élevés; mais de nombreuses espèces pyrénéennes viennent se mêler aux plantes montagnardes qui forment le fond de la végétation. Celles du Midi, que l'on rencontre communément dans les plaines entre Maurs et Aurillac, ne s'élèvent pas jusque sur les pentes des pics. On remarque au contraire une assez grande ressemblance entre la végétation némorale du nord de la France, et celle qui revêt les versants et les plateaux élevés du Cantal. La hauteur compense la latitude, et cette compensation paraît exacte.
Le développement des fleurs commence, dans les plaines chaudes du département du Cantal, dès les premiers jours du printemps, et dans les vallées des montagnes, aussitôt que les neiges sont fondues, en sorte qu'il éprouve beaucoup de variations. On voit dans certaines années des fleurs précoces s'épanouir en mars; mais il est rare qu'il en soit ainsi dans la montagne. Souvent c'est à la fin d'avril que les premières paraissent, et ce ne sont guère à cette époque que celles des tussilages qui précèdent l'apparition des feuilles. Celles-ci sortent presque toutes dans le mois de mai, et en quelques jours les admirables vallées de nos montagnes se couvrent d'une verdure nouvelle qui contraste avec les hêtres qui ne sont pas encore entièrement feuillés, ou avec les sapins dont les nouvelles pousses ne sont pas encore développées. Toutes les plantes printanières durent pendant la plus grande partie du mois de juin. Juillet et août sont l'été des montagnes du Cantal; l'époque la plus brillante de cette belle saison arrive du 20 juillet au 10 du mois suivant. La végétation se soutient encore pendant la première quinzaine de septembre ; il est même quelques plantes qui se montrent alors pour la première fois ; mais la fréquence des gelées qui accompagnent presque toutes les matinées d'automne, détruit les espèces tardives dont la neige vient bientôt couvrir les débris.
Les plantes qui tour à tour cachent les rochers volcaniques du Cantal, sont dispersées dans des localités très-différentes où l'on remarque des associations constantes entre certaines espèces. Aussi aucun site, dans le centre de la France, ne présente autant d'intérêt pour l'étude de la géographie botanique. L'élévation est déjà assez grande pour qu'on puisse distinguer quelques zones dans la distribution verticale des espèces; mais ce sont surtout leurs associations qui méritent le plus de fixer notre attention.
Les forêts forment pour ainsi dire une zone intermédiaire qui partage les prairies en deux classes. Les unes sont au-dessous des forêts et les autres les dominent; c'est ainsi que le Bois-Noir sépare les magnifiques et fraîches prairies de la vallée de Fontanges des vastes plateaux couverts de pelouses de Chavaroche et ses environs. Des circonstances accessoires modifient beaucoup les associations végétales que l'on rencontre dans ces différentes régions : les sources, les marais, les escarpements où manque la terre végétale changent les espèces, éloignent les unes et offrent aux autres des chances de vigueur dont elles savent profiter. Avant d'étudier séparément les principales associations végétales que nous présente le Cantal, nous allons reproduire ici quelques règles générales que l'on peut étudier avec soin sur ce groupe de montagnes, et que déjà nous avions énoncées en 1835 en nous occupant du Mont-Dore.
Ces règles peuvent s'appliquer à toutes les contrées du globe, et à cet effet nous emprunterons à la géologie quelques-uns de ses principes les plus élémentaires.
On sait que les différentes couches qui forment l'écorce de la terre n'ont pas été déposées en même temps. On a remarqué aussi qu'elles étaient de nature différente; mais les géologues ont reconnu que souvent plusieurs couches, dont la composition n'était pas la même, avaient été formées pendant une époque non interrompue, et ils ont donné à ce dépôt le nom général de formation. Les uns ont assigné à ce terme une grande extension, ou l'ont même considéré comme synonyme de terrain; les autres l'ont restreint à des dépôts moins compliqués, mais formés pendant l'action des mêmes causes On distingue dans une formation des couches qui prédominent, soit par leur étendue, soit plutôt par leur puissance, et d'autres couches plus minces qui paraissent subordonnées aux premières et qui ne sont pas essentielles; car sur d'autres points du globe la même formation peut exister sans que ces couches subordonnées s'y retrouvent, où souvent elles sont remplacées par d'autres; et, quand une roche placée dans un terrain manque dans une autre localité dont le sol a été reconnu par d'autres caractères être évidemment du même âge, on dit que la roche qui la remplace lui est parallèle ou équivalente. Ainsi, dans les terrains tertiaires de même époque, le gypse ou pierre à plâtre du bassin de Paris est remplacé dans la vallée d'Aurillac par du calcaire marneux, à Londres par de l'argile, sans que pour cette seule raison aucun géologue songe à placer ces formations de localités dans des classes différentes. On pourrait, dans l’étude de la géographie botanique, remplacer le mot de formation par celui d'association , et, tandis que les formations minérales sont ordinairement placées les unes au-dessus des autres, les associations végétales sont situées sur une même surface, et leur ensemble couvre la terre d'un voile de verdure.
On y distingue des plantes caractéristiques et souvent dominantes qui forment la base de ces associations, et au milieu desquelles certaines espèces apparaissent comme subordonnées et peuvent être remplacées par d'autres, sans que l'harmonie de la végétation en soit altérée.
On voit non seulement ces espèces subordonnées, mais encore celles qui prédominent dans ces groupes de végétaux, changer avec le climat, varier avec l’exposition, mais offrir toujours le même ensemble, la même harmonie entre les espèces quelquefois très-nombreuses qui constituent chaque association. En sorte que la végétation, quels que soient les types qui la composent, offre toujours le même aspect dans des localités très-différentes, mais soumises aux mêmes circonstances. C'est ce qui arrive précisément aux formations minérales que l'on reconnaît facilement pour appartenir à la même époque, quoique souvent les roches qui les composent ne soient pas de la même nature. Le Cantal va nous offrir quelques-unes de ces associations bien distinctes; nous les verrons empiéter les unes sur les autres, mais s'arrêter cependant à certaines limites. Nous aurons soin d'indiquer les espèces caractéristiques, et celles qui correspondent aux roches parallèles des formations ou aux substances isomères dans les combinaisons.
Les associations suivantes, déterminées par les diverses stations, nous ont paru suffisantes pour donner une idée de la flore du Cantal et pour éviter l'aridite d'une simple nomenclature, que nous donnerons d'ailleurs plus loin pour compléter ce travail. Ce sont les associations :
- Des forêts hautes,
- des forêts basses,
- des prairies basses,
- des prairies hautes,
- des sources et des bords des eaux vives,
- des marais,
- des rochers et escarpements.