Marie Gaston est née à Brive-la-Gaillarde (Corrèze) mais elle a de profondes racines familiales dans le Cantal. Ces racines, elles les évoquent dans son deuxième ouvrage, Un mariage d'automne (2010) dont l'action se déroule du côté de Montsalvy. Elle a très gentiment répondu à la demande de Cantalpassion d'évoquer en quelques lignes le Cantal, son Cantal à elle, tel qu'elle le voit, tel qu'elle le ressent. Qu'elle en soit remerciée, sincèrement. La parole à Marie Gaston :
Le pays d’en haut
C’est un pays en coups d’éclats où combattent ordre et chaos. À perte de vue d’immenses prairies frissonnent sous un vent têtu et tout à coup basculent entre ciel et rocs puis se noient dans d’étroites vallées. Plus loin des éboulis de lave s’obstinent à raconter le grand bouleversement géologique des origines.
Le pays d’en haut est ainsi. Majestueux, rude, silencieux. Il vire du blanc au vert selon ses humeurs ou selon le temps. Capricieux, c’est lui qui décide. Il ne s’adoucit qu’à mi-pente, sous le rire de ruisseaux et cascades, sous les sonnailles des grands troupeaux roux. Car la vache de race Salers, emblématique et fière, cette vache autochtone est présente partout.
Vache au front haut sous la lyre insolente, vache fière mais sans condescendance, vache curieuse, vache affranchie, vache du pays d’en haut, je t’aime !
C’est donc ça l’amour vache ?
Un peu plus loin sommeillent les burons, jadis ivres de lait et de fromage, encore préservés par quelques-uns qui perpétuent la tradition, sont de modestes abris de bergers bâtis de pierres grises qui se cachent sous des toitures massives … et longues comme l’hiver.
Ici rien ne vient troubler le regard. Pas même l’horizon sinueux où la terre et le ciel finissent par se rejoindre. À perte de vue s’impose le grand défilé des puys, ces bouches crénelées du plus grand volcan d’Europe. Baptisé Cantal il a donné son nom à ce pays passion qui, jusqu’au bord de l’infini propose ce spectacle théâtral d’un passé vieux de millions d’années. Le volcan fait partie de notre histoire, il nous guide et nous insuffle force et courage.
Souvent capricieux, le volcan se montre parfois discret dans les brumes du matin. En contrebas, l’or de genêts ébouriffés se mêle à celui de blondes gentianes qui tempèrent, elles-aussi, la rigueur du décor.
Partout rudesse et douceur bataillent. C’est la vie. Et c’est ce combat qui a forgé l’âme des Cantaliens.
Mes mots déambulent. Je les laisse aller librement par amour pour toi Cantal. J’entends l’écho rocailleux des gens d’ici. Il se mêle aux chuchotements de sources complices. L’accent du pays dit tout de ceux qui l’habitent. Façonné par ces montagnes blessées, par les colères de lave rouge, noires aujourd’hui mais toujours coupables, par ces fontaines bavardes, par ces soupirs de vent : frissons sans bise. Respect à toi Cantal, j’aime ta voix. Parle ! Parle-moi encore.
Le pays d’en bas
C’est d’ici que je vous écris. De la châtaigneraie cantalienne, mon pays d’en bas. Il a l’âme pentue, regrette de ne pas être montagne mais se retourne et contemple les puys et les pâtures du haut. Le vent d’altitude descend jusque-là, dans ce sud improbable. Cantal d’en bas, je tente d’être honnête. Je veux dire les contrastes entre puys du haut et puechs du bas. Sans t’humilier. Je veux expliquer comment ce pays de fausse montagne raconte une autre histoire aussi belle et puissante que celle du pays d’en haut. Celle d’un caprice. Car le pays d’en bas parfois s’amuse de ses pentes, tente d’imiter le pays d’en haut en remplissant ses vides de brumes matinales. Au bord d’un océan de nuages, il est alors en majesté et nargue le volcan.
Ici, les effondrements au-dessus du Lot ressemblent à une fin du monde. La marche est haute depuis l’écroulement, à la limite du dernier plateau. Mais rien n’effraie le Cantalien du Pays d’en bas. Seules existent les difficultés de vivre au bord du vide. On s’habitue pourtant. Et puis on se retourne et l’horizon rassure. Ni le volcan là-haut, ni les éboulis en bas n’ont réussi à saper le courage et l’obstination des gens aguerris au vertige. Ici on laboure les pentes, on plante le châtaignier, le blé et le seigle. On organise des prés audacieux où des vaches tracassées s’agrippent et se résignent.
En cet automne, c’est d’ici que je vous écris. Dans ce leurre de montagne, dans l’extrêmement bas pays, dans ce vrac de vue, de vie et de poussière de schiste que la houe fracasse en recherche d’un peu de terre fertile. En cet automne tout est roux de vaches, de châtaigniers et de soleil couchant. Le reste est fait de chemins creux, de fiers précipices, de murets de schiste, de séchoirs à châtaignes (les secadoux), de fours à pain adossés aux maisons basses et trapues, accroupies au bord du précipice en petits hameaux.
Pays d’en bas, je te sais combatif. Empêtré dans te pentes, tu ne te plains jamais. Je salue ton courage et ta fierté autant que la beauté de tes paysages chavirés. Églises aux clochers élancés, croix de granit dressées au bord des chemins témoignent de ton acharnement à regarder vers le haut. Et tes toitures fières et puissantes sont l’honneur des tailleurs de lauze qui perpétuent ici un talent ancestral, coiffant de neuf, inlassablement, châteaux et clochers.
J’ai volontairement choisi de ne parler que du Cantal rural avec ses différences et ses forces, aux deux extrémités. Caprice d’auteure !
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Marie Gaston, Brive le 4 novembre 2022