Germain Pouget (1928-2012) nous relate un accident automobile en précisant qu'à sa connaissance, cet accident mortel est le premier causé par une automobile dans le Cantal.
"Vers 8 heures, le père Lespinasse quittait sa maison et se disposait à aller entendre la messe à l'église des Carmes (1), quand arriva une automobile qui venait du côté d'Arpajon. Le père Lespinasse était au milieu de la route (2). Le mécanicien fit retentir le signal d'avertissement et modéra sa vitesse. Mais le vieillard, qui était âgé de 80 ans, était en outre atteint de surdité. Il ne put se garer à temps ... (3)
Le malheureux a expiré deux heures après l'accident. L'automobile, une belle machine de touriste complètement recouverte, contenait trois personnes. Au lieu de stopper, le mécanicien accéléra la vitesse. De tous côtés, les personnes criaient : "Arrêtez-les ! aux assassins !"
Quelques hommes se mirent inutilement à la poursuite de la voiture (4). Elle continua sa marche sans s'inquiéter de ce qui venait de se passer ...»
Mais l'enquête permet de retrouver le coupable de ce que l'on n'appelle pas encore "délit de fuite" : c'est un habitant de Rodez, M. Baptiste Tixier, 33 ans, propriétaire. Il conteste que la mort de Lespinasse soit due à la chute du vieillard. En conséquence, l'autopsie du cadavre a été ordonnée. Elle a été pratiquée par le Dr Cazals, et a démontré que la victime avait eu 9 côtes cassées et le crâne fendu entièrement par l'auto. Le propriétaire de celui-ci (5) s'est fait connaître dès qu'il a su qu'on avait relevé son numéro et que des renseignements avaient été demandés au service de contrôle.
L'affaire se règlera au Tribunal Correctionnel (17 novembre 1906). L'inculpé, bien qu'allant à une allure modérée, ignorait que M.Lespinasse fut absolument sourd. Me Appert, son défenseur, reconnaît la faute morale commise par l'inculpé lorsqu'il a fui après l'accident. Le tribunal relaxe sans dépens M. Tixier. Source : l' Indépendant du Cantal - 12 sept. au 25 nov. 1906)
(1) Notre-Dame-aux-Neiges, ancienne église des Cordeliers, est située rue des Carmes, à Aurillac. Cette dernière sera goudronnée (après l'avenue de la République et le tour du Square) deux ans plus tard en août 1898, jusqu'au Viaduc, grâce au Syndicat d'Initiative, qui prenait ... des initiatives. La dépense est payée par moitié par les riverains et l'Etat, le Conseil Municipal n'accordant qu'une subvention de ... 150 fr.
(2) Sur les cartes postales de l'époque, on remarque que les piétons occupent tranquillement la chaussée, et les chevaux les évitaient.
(3) Un arrêté municipal de mai 1912 limitera sagement la vitesse des autos à 12 km à l'heure à Aurillac. Des contrôles de police ont eu lieu, pour des véhicules qui atteignaient 30 et même 45 km à l'heure ! Ces divers faits permettent de se rendre compte de l'évolution du cadre de vie des citadins.
(4) A Paris, le préfet de police Lépine a fait passer l'ordre de service suivant à tous les postes de police : "Toutes les fois qu'un chauffeur d'automobile cherchera à se soustraire par la fuite à la responsabilité qu'il aurait encourue en raison de crimes ou délits, les agents ne devront pas hésiter à crever à coups de sabre les pneus de l'automobile." (Cantal Républicain - 2 mars 1912)
(5) Le genre n'est pas encore fixé : on dit parfois un automobile.