La veuve Trapenard va se remarier ; elle a 28 ans, son premier mari, patron forgeron, est décédé 15 mois auparavant; elle épouse un Corrézien ("étranger au pays"), ouvrier forgeron. C'est plus qu'il n'en faut pour que 11 hommes de Marchal se réunissent, deux soirs de suite, sous ses fenêtres, pour la "narguer" et la "vexer dans son amour-propre".
Le jugement du tribunal de simple police de Champs-sur-Tarentaine porte le témoignage de l'un des derniers grands charivaris du Cantal, avant la première guerre mondiale qui représentera un coup d'arrêt - même si les charivaris perdurèrent dans certaines régions jusque dans les années 1970. Ces attroupements masculins, jeunes, nocturnes, injurieux et bruyants, près du domicile de la veuve qui se remarie, de deux amants adultères ou encore d'un homme battu, manifestent la désapprobation du groupe social à l'égard de ce qui est vécu comme un désordre : noce probablement moins joyeuse représentant un mmanque à s'amuser de la jeunesse ; la veuve qui a eu sa part de plaisir et de dot enlève un parti possible aux célibataires de Marchal en épousant un "étranger", ouvrier forgeron alors que son mari était patron forgeron.
Le Code des délits et peines contenant les lois relatives à l'instruction des affaires criminelles du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) ne punit pas le charivari, mais les «attroupements injurieux ou nocturnes ». Ce sont pourtant ses articles 605 et 606 qui sont utilisés par le tribunal de simple de police de Champs-sur-Tarentaine, le 25 janvier 1912, pour condamner onze habitants de Marchal, des hommes âgés de 16 à 40 ans, à l’amende d’une journée de travail.
Deux soirs de suite, à la nuit tombée, les 3 et 4 janvier précédents, entre 6 et 8 heures du soir, « la majeure partie des habitants de la localité » (la commune compte 410 habitants en 1911, mais le bourg compte 23 maisons et moins de 90 habitants ; 4 au moins des inculpés sont du bourg) s’est attroupée « dans le but de narguer la veuve Trapenard, aubergiste au même lieu, et de manifester à l’occasion du mariage de celle-ci avec un ouvrier étranger au pays ». Le caractère « nocturne » de l’attroupement est établi, ainsi que son caractère « injurieux », car ces hommes avaient « au fond pour but de vexer dans son amour-propre la veuve Trapenard, laquelle était en prétention de mariage ».
Françoise Noémie Gardy, née à Marchal en 1883, s’était mariée en 1905 avec Léger Auguste Trapenard, forgeron ; le couple a deux enfants (Paulin en 1906, puis Anaïs, en 1909). Mais Trapenard meurt le 25 octobre 1910, à 27 ans. Or, 15 mois plus tard, sa veuve épouse en secondes noces, le 11 janvier 1912, à 28 ans, Pierre Ernest Queyrie, ouvrier forgeron à Marchal, né 30 ans auparavant à Tulle ; le contrat de mariage, passé devant maître Fournet, notaire à Lanobre, le 9 janvier 1912, établit le régime de séparation de biens entre les époux. Les témoins de la mariée sont son père et sa tante ; les témoins du mariés sont deux « amis », des « maçons » âgés de 34 et 48 ans, dont on peut imaginer, d’après leur nom (Jean Bail et Léonard Courbarie), qu’ils sont comme le marié Limousins, c’est-à-dire « étrangers au pays ». La mariée, chef de famille dans le recensement de 1911, est « aubergiste » ; il est probable qu’elle cesse de l’être après son remariage, car c’est son ex-beau-père (mentionné comme cultivateur en 1911) qui est condamné, à 66 ans, le 17 juillet 1913 pour fermeture tardive du débit de boisson, et son ex-beau-frère Jean (né en 1889) qui est condamné pour le même motif le 2 juillet 1914.
Depuis le Moyen Âge au moins, le charivari est un attroupent bruyant et nocturne, pouvant durer plusieurs jours, sous les fenêtres ou près du domicile d’une veuve sur le point de se remarier (les charivaris post-matrimoniaux étant moins spectaculaires), ou bien d’amants adultères, ou bien encore d’hommes battus (comme à Cassaniouze en 1921 [information Bernard Coste]). La veuve, qui a déjà eu sa part (de dot et de plaisir), enlève à la jeunesse locale un parti possible, d’autant qu’ici elle épouse un ouvrier forgeron (alors que son premier mari était patron forgeron), qui plus est un « étranger » (même si au moins un des condamnés est marié). Le remariage, forcément moins solennel que le premier mariage, représente un « manque à s’amuser » de la jeunesse (laquelle s’arrête ici à 40 ans), qu’elle compense par le chahut nocturne, lequel ne cesse que lorsque la veuve paie à boire ou verse de l’argent. Ici ce n’est pas la veuve Trapenard qui a déposé plainte, car elle sait que son remariage ne pouvait pas ne pas provoquer un tel charivari ; les gendarmes ont dressé procès-verbal, et c’est le ministère public qui poursuit. Le mandataire verbal des 11 accusés explique que ses mandants « reconnaissent la contravention relevée à leur charge », mais qu’ils ignorent que « les attroupements nocturnes étaient légalement interdits », ce qui doit constituer des « circonstances atténuantes ».
La guerre de 14 mettra un coup d’arrêt aux grands charivaris ; on eut moins envie de narguer les veuves de guerre, blanches ou noires, après la grande saignée et même si elles se (re)mariaient. Néanmoins le charivari perdure, avec une participation bien moindre de la population, jusque dans les années 1970 en Forez ; Bernard Coste signale le charivari du remariage de « la Cassaire » (Louise Reichert), à Lacapelle-del-Fraisse en 1958. Avec les Trente glorieuses, l’espérance de vie augmentant, les veuves sont plus âgées, le (re)mariage n’est plus le point de départ de relations sexuelles et de cohabitation (mais plutôt leur point d’arrivée). Entre 1914 et les années 1950 disparaît progressivement l’ancienne société ; les charivaris contemporains sont désormais politiques, comme en témoignent les concerts de casseroles au Vénézuéla ou au Québec.
Archives Départementales du Cantal (ADC), 4 U 4/47