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Le souvenir de la guerre de 1870, dans le Cantal, a été marqué par deux monuments ; l'un à Aurillac, place de la Préfecture, une statue en bronze du sculpteur Jean-Baptiste Champeil inaugurée le 14 juillet 1903, et récemment rénovée, l'autre à Mauriac.

La guerre franco-allemande

De 1870 à 1811, la guerre oppose à la France l'ensemble des Etats allemands, conduits par la Prusse. Voulue par le Chancelier prussien. Otto Bismarck, cette guerre est un échec pour la France qui doit céder l'Alsace et la Lorraine. Isolée diplomatiquement, desservie par une armée mal organisée et inférieure en nombre, elle accumule très vite les défaites. Le 2 septembre 1870, les troupes françaises capitulent à Sedan. A Paris, la 'Révolution du 4 septembre» renverse le second Empire de Napoléon III, jugé responsable de la défaite. Malgré ses efforts, le nouveau gouvernement est contraint de signer l'armistice, en janvier 1871. En mai 1871, le Traité de Francfort consacre l'unité des Etats d'Allemagne, ' le Reich», avec comme Empereur, le Roi de Prusse, Guillaume ter. La France a subi des pertes territoriales, humaines et financières, elle est affaiblie mais reste un pays riche.

Aurillac MAM 1870

Symbolique

Le monument représente «un jeune cantalien frappé mortellement, qui chancelle sous le coup qui l'a frappé, le corps renversé en arrière, les veux levés au ciel, la main droite étendue dans le vide dans un mouvement d'angoisse. la main gauche fixée à la hampe du drapeau du régiment, le drapeau de la France sur lequel tout le corps s'appuie dans un mouvement superbe de patriotisme. [...] Une seule chose est à regretter, c'est qu'on n'ait pas été plus heureux sur le choix de l'emplacement trop exigu, et qui ne fournit à cette statue le cadre harmonieux qu'on aurait pu trouver ailleurs. Ce qu'il eut fallu, c'est une vaste place comme le Square qui de loin comme de prés aurait permis à la statue de se profiler sur le ciel, au milieu d'un encadrement d'arbres et de verdure». [...] (L'Avenir du Cantal)

Le 14 juillet 1903 et l'inauguration du monument

Les festivités débutent clans la soirée du 13 par une longue retraite aux flambeaux. Le lendemain, mardi 14 juillet 1903, la journée associe, à la traditionnelle revue militaire, l'inauguration du monument.
A dix heures le cortège officiel prend place sur l'estrade qui avait été aménagée clins un coin de la place, en face du monument. Grâce à une délicate attention, tous les soldats natifs du Cantal et actuellement sous les drapeaux au 139ème Régiment avaient pu se masser clans la cour de la Préfecture. Les officiers et leur colonel s'étaient placés en avant de la grille préfectorale. Les Anciens Combattants et les
Vétérans munis de leurs insignes formaient la garde d'honneur du «soldat de Champeil» du côté de la rue du Rieu et la compagnie des Sapeurs-pompiers s'étaitrangée derrière le monument décoré d'oriflammes et de plantes vertes.'
Puis, après l'office religieux, les vétérans, les élus et les autorités se retrouvent au grand
Banquet Patriotique, à 4 francs par personne.
Durant l'après-midi, diverses attractions sont proposées à la foule : départs de ballons, courses vélocipédiques. En soirée, une fête de nuit avec feu d'artifice et bataille de confettis clôt le 14 juillet. Les petits ballons partirent tant bien que mal mais l'aérostat libre "Le Fétiche" monté par deux professionnels fait, dit-on, un four complet puisqu'il ne peut franchir les arbres et sombre dans la Jordanne. 94 Le 14 juillet mêle des aspects civils et militaires. Mais, on ne constate dans le Cantal aucune imbrication du militaire et du religieux. La messe à laquelle tous ne participent pas, est reléguée en fin de matinée.
L'unanimité républicaine et la cohésion nationale sont recherchées dans le culte de la patrie, et le respect d'une armée forte.

Les actes d'héroïsme individuels et collectifs sont célébrés, puisque aucune victoire ne peut être fêtée.
On remarque. aussi, l'absence des familles qui ne sont pas citées et n'ont jamais été associées a l'organisation de l'inauguration.

La Croix du Cantal
Thèmes des discours
L'éloge du simple soldat :

[...] Votre oeuvre est patriotique, mais elle est démocratique aussi, car elle ne vise pas à la glorification des grands capitaines, elle va surtout à ces pauvres ignorés, à ces héros obscurs qui ont succombé loin de leur pays, de leurs amis, de leurs familles et qui, esclaves du devoir et de la discipline, sont tombés au déclin du jour, dans les chemins creux, sur la lisière du bois, et se sont éteints douloureusement perdus, oubliés : ceciderunt pro patria. Ils sont morts pour la patrie et c'est à peine si la patrie le saura. [...] (M. le Colonel PRAX)

La glorification de l'armée :

[...]L'armée a toujours été cligne de la France. Elle a pu être mal dirigée et l'a été ; on a commis pour son malheur de graves fautes militaires et même politiques ; elle a prodigieusement souffert ; mais en face de la mort elle n'a pas un moment cessé d'être héroïque, et vous connaissiez tous le cri d'admiration qui s'est échappé à Sedan, des lèvres du Roi de Prusse.

Le culte du Souvenir et de la Patrie :

[...]De tous les enseignements civiques, celui qui contribue le plus efficacement a élever et à pétrir l'âme nationale, c'est le culte des morts au service d'une commune patrie.[ ...] Et c'est pourquoi tous les ans s'élèvent sur tous les points du territoire ces monuments qui enseignent le passé et l'avenir. Cette piété patriotique dure depuis trente ans et ne faiblira pas jusqu'au jour ou chaque ville, chaque village, chaque commune de France aura sa pierre funéraire scellée d'un côté sur d'héroïques ancêtres, entrouverte de l'autre, comme une page d'histoire, pour apprendre aux enfants comment le peuple français s'est relevé tout ensanglanté de sur le champ de bataille. (Bravos) [...](M. De Castellane, député)

Le centenaire

le centenaire de l'inauguration, le 14 juillet 2003, rassemble, comme en 1903, les autorités civiles et militaires. Le Préfet du Cantal, le Maire d'Aurillac, le Délégué Militaire départemental, des élus ... le Délégué du Souvenir Français, des représentants des anciens combattants, les Eclaireurs de France et la Protection civile assistent à la cérémonie. Mais, à la différence du siècle dernier. c'est le monument qui, seul, est célébré.
Car il n'est plus considéré comme le support artistique du souvenir des morts, ni comme une oeuvre de diffusion de la mémoire commune.
Un siècle après son inauguration, ce monument ne transmet plus de message ou plutôt, les changements de mentalités ne permettent plus à son message d'être compris par la population.
En cent ans, l'oeuvre de Champeil est devenue non pas muette mais inaudible.

Mémoire partagée.

En Allemagne. comme en France, le discours commémoratif aide à enraciner le régime politique en place : le ter Reich, en Allemagne, la République, en France. En France comme en Allemagne, les souvenirs de 18'0 sont largement transmis par l'école, l'armée et les journaux. Ces souvenirs sans cesse présents entretiennent l'hostilité entre les deux peuples, mais ils contribuent aussi à gérer pacifiquement cet antagonisme franco-allemand.
C'est pourquoi, jusqu'en 1914, les crises sont toutes résolues diplomatiquement.

La Société des combattants

« qui a pour but principal l'entretien et le développement de l'amour de la Patrie» (art. 14 des statuts) En Allemagne, des associations de combattants se créent dès la fin de la guerre. En France. il faut attendre une vingtaine d'années pour que s'organisent les premières amicales. Le Souvenir Français est fondé, en 1887, par l'alsacien Xavier Niessen et le messin Victor Flosse dans le but de veiller à l'entretien des tombes militaires. Il bénéficie de la sollicitude des républicains, car il ne s'est pas laissé entraîner dans le sillage du nationalisme. Dans le Cantal, c'est en 1896 que plusieurs combattants, tous militaires, hommes de loi. négociants ou élus (Charmes), décident de se grouper.

Le monument

Au sein de la société des combattants, un groupe se donne pour mission d'organiser le financement puis l'édification d'un ouvrage d'art et (lu souvenir. Avec l'accord du Maire d'Aurillac, (les quêtes à domicile sont organisées, qui rapportent très vite une somme de 5 000 francs. Des lettres sont aussi adressées aux maires de toutes les communes du département et (les responsables désignés dans les principales villes de France où vit une communauté de cantaliens. La municipalité d'Aurillac donne d'ailleurs l'exemple en votant une subvention de 3 000 francs, bientôt suivie par le Conseil Général, qui alloue à l'association la somme de 1 500 francs, et le Souvenir Français. Chaque jour. de nouveaux dons arrivent au bureau de l'association. En août 1902, la société se met cependant en relation avec des élus pour obtenir le concours de l'Etat et une subvention du Ministère des Beaux Arts, car la somme en caisse demeure insuffisante. L'association prend également contact avec le Maire d'Aurillac et le Préfet du Cantal pour fixer la date et le lieu de l'inauguration : «En accord avec votre conseil, Monsieur le Maire, vous avez bien voulu désigner la place de la Préfecture pour recevoir le Monument et fixer, pour raisons budgétaires, la fête du 14 juillet pour son inauguration... Les pouvoirs publics républicains ont accompagné jusqu'au bout une initiative qui, ancrée de plus à plus à droite, risquait avec danger de leur échapper.

Trente ans après la guerre, dans un département qui, en 1871, ne comptait pas plus de vingt veuves de guerre, on constate que les dons et autres subventions sont étonnamment nombreux.

L'idée. saluée par la presse de gauche. une fois lancée, se développe rapidement. En septembre 1897, une première assemblée générale réunit plus de cent membres qui votent des statuts : l'article 1" indique que 'la société, avec le concours de I'Etat célébrera les anniversaires patriotiques et poursuivra l'édification d'un monument commémoratif à la mémoire des combattants du Cantal tués à l'ennemi. Ce monument sera érigé sur une des places publiques d'Aurillac».

L'assemblée générale acclame le bureau : Prax, un lieutenant-colonel en retraite, officier de la Légion d'Honneur. accepte la présidence. L'association regroupe plus de 300 adhérents en 1898.

L'artiste

Jean Baptiste Champeil, né à Paris en 1866 d'une famille originaire du canton de Pierrefort (Cantal). En 1881, Il entre à l'Ecole des Arts Décoratifs, puis en 1884, à l'école des Beaux-Arts, dans la section sculpture. De 1884 à 1885, Champeil est récompensé par 6 médailles.

En 1896, il devient premier grand prix de Rome. J.B. Champeil est aussi le créateur du buste de Tyssandier d'Escous à Salers et le premier président de la Société artistique du Cantal, en 1904. Il meurt à Paris en 1913.

Repères

Le 14 juillet : jour de la prise de Bastille, symbole de la fin de la royauté, en 1789, n'est devenue une fête nationale, la fête de la France, que par la loi du 6 juillet 1880.

Prusse : ancien territoire qui comprenait plus des 3/5 de la superficie de l'Allemagne.

La Marseillaise : il faut attendre 1879, pour qu'un décret du ministre de la Guerre lui donne sa qualité de chant national.

Pavoisement : c'est le fait d'orner de drapeaux nationaux les édifices publics. Aujourd'hui, nous connaissons le pavoisement imposé à certaines dates par l'Etat mais on peut voir sur le cliché du 14 juillet 1903, une floraison de drapeaux aux fenêtres de particuliers, patriotes et républicains zélés. Ce pavoisement individuel, volontaire est absent des clichés du centenaire.

En 1903, 1 franc correspond à 20.77 francs de 2000 (source INSEE), la même année est organisé le premier Tour de France.

REMERCIEMENTS

Service départemental de l'ONAC du Cantal
Maison des Affaires Sociales - rue de l'Olmet
B.P 726 - 15007 Aurillac cedex -Tél. 04 71 46 83 90

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L'autre monument, à Mauriac, n' existe plus aujourd'hui. C'est de ce dernier dont il s'agit dans cette lettre du Maire au Sous-Préfet de Mauriac.

Mauriac le 4 février 1891

J'ai l'honneur, conformément au désir exprimé par votre lette du 9 janvier écoulé de vous adresser le rapport ci-après relatif au monument élevé à Mauriac à la mémoire des victimes de la guerre 1870-1871.

Ce monument élevé à l' entrée de la ville, coté de Pleaux, occupe tout le square compris entre la route départementale  de Saint-Céré, la rue de la sous-préfecture, et l' enclos Teissèdre ainsi que le champ de foire. Il couvre une surface de 600 mètres environs. Il se compose d' un jardin, clos de murs et de grilles, planté d' arbustes variés et garni de pelouses.

Mauriac MAM 1870Le monument aux morts (guerre de 1870) de Mauriac détruit en 1965

Au centre, sur une base pyramidale en basalte d' Auvergne, se dresse un socle carré, avec torches renversées aux angles et surmonté d' une colonne tronquée. Ce monument est en lave de Volvic et le fût de la colonne est enlacé d' une couronne "crucifix" également en pierre de Volvic et faisant corps avec elle. Sur la face du socle, on lit l' inscription suivante: "Aux Capitaines Basset et Vignal et à leurs compagnons d' armes de l' Arrondissement de Mauriac tombés devant l' ennemi dans la guerre 1870-1871". Sur le fût sont gravés les mots "Honneur Patrie".

L' initiative de l' érection de ce monument est due aux amis personnels des Capitaines Basset et Vignal et aux officiers du bataillon de mobiles dont Basset faisait partie.

L'ensemble des dépenses qui s'élèvent à trois mille quatre cent francs, a été couvert par une souscription privée qui a produit quatorze cent francs et le surplus à été payé sur les fonds du budget de la commune de Mauriac.

Ce monument est entretenu par les cantonniers de la Ville et il n'y a pas de crédit spécial au budget pour son entretien dans l' avenir.

L'inauguration a eu lieu en 1877 pendant la période troublée de l'ordre moral qui n'a pas autorisé une fête officielle à cette occasion. Il n'y a pas eu de discours prononcé, en raison même de la période où l'on se trouve.

Quant aux circonstances où dans lesquelles ont succombé M.M. Basset et Vignal, voici en deux mots la biographie de ces braves.

1° Basset Antoine, Raymond, Eugène est né à Mauriac, le 23 novembre 1833; engagé volontaire, il était sergent fourrier d'infanterie en Crimée. A la déclaration de guerre, il était greffier au Tribunal civil de Mauriac. Il s'engage dans la mobile, est nommé capitaine de la 2ème compagnie, 2ème bataillon des mobiles du Cantal, sous les ordres du Général de Rochebrune. Il fait fonction de commandant à la bataille du Mans, reçoit trois blessures à la seconde journée de cette bataille, est décoré sur les lieux mêmes du combat et meurt de ses blessures le 25 janvier 1871 au château de Sablé (Sarthe). Il a été transporté et inhumé en Mars 1871 au cimetière de Mauriac.

2° Vignal Dieudonné est né le 14 Août 1830 à Auzers, canton de Mauriac. Engagé volontaire, il est bléssé au siège de Sébastopol et continu sa carrière militaire.

Chevalier de la Légion d'Honneur et médaillé de la valeur militaire de Sardaigne, il était capitaine au 48ème de ligne lors de la déclaration de guerre. Il a été tué le 6 Août 1870 à la bataille de Freshwiller et inhumé sans doute au même lieu avec ses compagnons d'armes.

Comme il n'existe pas à Mauriac d'atelier de photographie, je ne puis que vous adresser le plan qui a été dressé par le paysagiste Moindreau, pour l'érection du monument commémoratif.

J'ai l'honneur d'être, avec respect,

Monsieur le Sous-Préfet, votre tout dévoué,

pour le Maire, l'Adjoint délégué,

N.D.L.R. : (A.D. 15 3 R 42) Orthographe, ratures et ponctuation respectés

[ce monument] a été démonté vers 1965, puis réutilisé en partie par un artisan pour le caveau d' un particulier ! 

Germain Pouget 2002 in "Monuments du Souvenir" (page 10) Société des lettres, sciences et arts la Haute Auvergne

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