Bien que les ultrasons aient remplacé la pince à broyer du Docteur Jean Civiale, le patient du XXIè siècle qui pénètre, non sans quelque légitime appréhension, dans l’impressionnante salle hi-tech du Centre Médico-chirurgical de Tronquières n’imagine pas le moins du monde que c’est un de ses compatriotes du XVIIIè siècle qui, le premier, a broyé avec succès un calcul sur le vivant.
Jean Civiale est né le 5 juillet 1792 dans une ferme de Salilhès, un hameau situé à 900 m d’altitude. Il fréquenta les bancs de l’école, avec plus ou moins d’assiduité en fonction des besoins en main d’œuvre de la ferme et des conditions météorologiques, d’abord à Thiézac, puis à Vic-sur-Cère, soit dans un cas comme dans l’autre, à plus de 5 kilomètres, et, enfin à Aurillac, à 26 km du domicile familial.
A l’âge de 25 ans, en 1817, après avoir fréquenté l’hôpital d’Aurillac, Jean Civiale monte à Paris pour se perfectionner en médecine. La chance lui sourit rapidement puisqu’il intègre le service du célèbre chirurgien, le baron Guillaume DUPUYTREN, à l’Hôtel-Dieu. Grâce à son aisance au maniement des différents outils de chirurgien, il se fait remarquer et est affecté au traitement de la « gravelle » ou « maladie de la pierre », les premiers noms donnés à la lithiase urinaire. Les traitements étaient particulièrement invasifs, douloureux au-delà de l’imaginable, délabrants et souvent mortels (8 cas sur 10 !) compte tenu, entre autres, du manque d’aseptie. C’est sans doute cela qui poussa le jeune Civiale à innover en créant la pince de Civiale en collaboration avec les couteliers du bassin de Nogent alors en pleine expansion. Il utilisa la pince pour la première fois le 13 janvier 1824. L’histoire retient que ce fut un succès (puisque le patient survécut), le premier d’une longue série pour le jeune docteur Jean Civiale alors âgé de 31 ans. On ignore les conditions d’analgésie mises en place, ce n’était sans doute pas le souci premier des chirurgiens de l’époque, la morphine ne fut isolée de l’opium qu’en 1827 et l’anesthésie ne fut pratiquée qu’à partir du milieu du XIXe siècle.
La dextérité du chirurgien et de ses assistants associée à l’utilisation de la pince de Civiale ont fait la fortune et la renommée du Docteur Jean Civiale qui reçut deux prix de l’Académie de médecine en 1826 et 1827. Il sut entretenir cette manne en publiant une dizaine d’ouvrages, tous sur la maladie de la pierre et son traitement faisant du natif de Salilhes le premier spécialiste hyperspécialisé de la médecine. Il est nommé professeur et chef du service d’urologie de l’hôpital Necker sans passer le moindre concours, de quoi susciter inimitié et animosité de la part de ses confrères et concurrents. Pourtant, en dépit d’un caractère réputé difficile, son service ne désemplit pas, on s’y presse de toute l’Europe et sa réputation, entretenue par ses patients reconnaissants, ne faiblit pas. On lui attribue plus de 1500 lithotrities. Son pourcentage de réussite est également lié à un rare souci d’hygiène pour l’époque, Jean Civiale est un chirurgien qui se lave les mains et les fait laver à ses assistants. S’en suivent de nombreuses décorations, en France où il est fait officier de la Légion d’Honneur, membre de l’Institut, de l’Académie des Sciences et de l’Académie de Médecine et même à l’étranger.
L’eau de Garches avait la réputation de soigner les lithiases, est-ce pour cette raison qu’il s’y installa et y vécut jusqu’à sa mort ? Toujours est-il qu’il y acheta un vaste terrain de 15 hectares probablement pour placer une partie de la fortune gagnée. La belle demeure édifiée sur ce terrain est l’actuelle mairie de Garches.
Curieusement à sa mort, le 18 juin 1867, il n’eut droit à aucun éloge officiel. Le prix à payer pour la notoriété et les honneurs acquis de son vivant ? Le Docteur Pajot fut le seul à se fendre d’un quatrain un rien moqueur à ses obsèques :
« De Civiale au cimetière,
Où la mort vient de l’envoyer,
La tombe n’aura pas de pierre,
Il sortirait pour la broyer. »
Dans le Cantal, tout le monde connait la statue du Pape Sylvestre II située à l’extrémité du parking du Gravier à Aurillac mais peu d’entre nous savent que David d’Angers, le sculpteur, a représenté son amis, le Docteur Jean Civiale, en qualité de « l’homme bon » sur l’un des bas-reliefs du socle.
Le 2 décembre 2017, la commune de Thiézac, à laquelle il a fait don de sa maison natale de Salhiles pour qu’elle y installe une école, lui a rendu hommage en inaugurant une plaque commémorative, en proposant une exposition sur l’œuvre sa vie et en organisant une conférence animée par Jean-Paul Boiteux, professeur agrégé d'urologie de la faculté de Clermont-Ferrand intitulée « Traitement des calculs urinaires, ce que l'urologie doit à Jean Civiale ».
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