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Rhue de Cheylade (la). Je vais supposer qu'ayant formé le dessein de remonter le cours de la Rue, vous vous êtes d'abord mollement assis sur la crête moussue de ce rocher qui domine les vallées de Rue et de Véronne, vers le confluent des deux rivières, et que, du haut de ce kiosque improvisé , vous avez jeté un coup d'œil rapide sur le panorama qui vous entoure ; à votre gauche, vous aurez remarqué la petite ville de Riom-ès-Montagnes, bâtie en amphithéâtre sur l'un des côtés de cette anse triangulaire formée par les alluvions de la Véronne, avant qu'elle eut quitté son ancien lit pour prendre sa course vers le nord; elle vous offre de là son plus agréable aspect : à ses pieds se déroule un tapis vert de fertiles prairies, ayant pour bordure les sinuosités ombreuses de la rivière, et pour ornement trois agréables villas, les Mazets, le Sedour, la Volumard; au centre, s'élève majestueuse la flèche élancée du clocher qui surmonte une tour carrée avec sa couronne de créneaux, monument tout à la fois guerrier et religieux, qui vous reporte au moyen âge. Mais ce n'est plus hélas! cette ville importante dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et dont le nom n'est pas même parvenu jusqu'à nous; silencieuse nécropole, il n'en reste aujourd'hui que la trace à peine reconnaissable. La légende, néanmoins, cette histoire naïve des traditions d'un autre âge nous la représente comme la reine de ce bassin. Au sud de Riom , les basaltes du Sard projettent leur ombre effilée sur les ruines sans nom de l'antique cité; la cascade du même nom brille étincelante aux rayons du soleil, et ici, vers l'ouest, vous devinez derrière ce monticule de terrain tertiaire le château de St-Angeau, siége nagi/ère d'une école régionale d'agriculture, avec ses tours massives, ses vastes corps de logis et sa chapelle de construction récente. Vous rencontrez ensuite sous votre rayon visuel, en le laissant infléchir vers le nord, Châteauneuf, bâti au pied d'un dike aux formes circulaires, sur le sommet duquel se détache la ruine d'une tour qui vous paraît, là, semblable au vase antique que le sacrificateur des Hébreux aurait oublié sur l'autel des holocaustes; au-dessous, le village de la Grange et l'étang de ce nom, dont les bords solitaires sont dépouillés d'ombre et de verdure, et dont les eaux ridées par le moindre souffle ne réfléchissent que la teinte violacée de la bruyère en fleur, ou le jaune éclatant d'un bouquet de genêts fleuris; Journiac, presque sur la, lisière de la sombre forêt d'Algères, dont les sapins élancés descendant par masses touffues et serrées des plaines du Mazou et de la Champ d'Algères jusqu'aux bords de la Rue, lui servent d'encadrement, même au-delà de sa jonction avec la Rhue-de-Condat.

Vous ne quitterez pas ces lieux sans vous arrêter un instant sur les bords évasés du volcan éteint de Lestampe, et pour contempler à vos pieds ces tronçons mutilés de colonnes, aux fûts angulaires, qu'on dirait avoir été coulées dans le même moule , et qui semblent détachées, la veille, de ce qui reste encore debout des éruptions d'une autre époque. Au-delà de la Rue, vous voyez se développer le vallon de Sapchat, do Jointy, qu'on nomme la Mer-Rouge, ct qui se continue jusqu'à l'autre rivière de Rhue, dominé, au couchant, par le plateau de Loncheyre; au levant, par celui de Montagnac et de Bagil, qui le sépare de la vallée de la Santoire, et borné, vers le nord, par le pays d'Artanse. les plaines de Tauves et de la Tour, et, vers le nord-est, par les Monts-d'Ore , qui, par une illusion d'optique, ne vous paraissent qu'à quelques kilomètres de distance. Ce village que vous apercevez, presque sur la crête de la montagne, c'est Chassagni; au-dessous, cette large excavation, c'est une carrière où l'on exploite le schiste amphibolique pour servir à la toiture des bâtiments de la contrée; dans ce ravin, au-dessus du moulin de Barazols, que fait jouer la rivière de Grolle, l'un des affluents de la Rue, se trouve une source minérale d'eau limpide et gazeuse, qui attire pendant l'été une grande affluence de buveurs; voilà Roueyre, Bagilet, Soubrevèze, trois villages perchés sur les escarpements qui dominent la rive droite de la Grolle, groupés autour des ruines de leurs tours fortifiées, qui, malgré l'avantage de leurs positions, furent prises et rasées par les Anglais vers le milieu du XIVe siècle.

La rivière de Rue, qui sert de limite, sur presque toute l’étendue de son parcours, entre les arrondissements de Murat et de Mauriac, établit aussi une démarcation bien tranchée entre les mœurs, les coutumes et même le langage des populations qui habitent les deux rives opposées; ainsi, pour n'en citer qu'un seul trait: « de la Rue jusqu'au puy Chamaroux, tous les biens appartiennent aux femmes. » C'est là un proverbe bien connu du monde commercial pour désigner le territoire compris dans les communes de St-Amandin, Marchastel, St-Bonnet, Marcenat, Montgreleix et Condat, pays classique du colportage, d'où partent, chaque année, une foule de marchands forains, véritable fléau du commerce, connus sous le nom de Leveurs (1).

 

(1) Ce qui a donné lieu à ce proverbe, c'est que lorsque des négociants de Limoges ou d'ailleurs ont voulu poursuivre le recouvrement de leurs créances par la voie de la saisie immobilière, ils ont trouvé, presque toujours, les biens de leurs débiteurs grevés d'hypothèques légales ou conventionnelles, la plupart du temps supposées, qui primaient les leurs. Un leveur, avant de partir, s'adresse d'abord au maire de sa commune pour avoir un passeport, ensuite il va trouver un notaire pour régler ses affaires, et après, à la grâce de Dieu...Il prend des marchandises à crédit partout où il en trouve, bien convaincu d'avance de n'en jamais payer le prix ; voilà ce qu'il appelle faire un trou à la lune.

 

 

Je n'ai garde, toutefois, de faire une généralité de cette boutade de quelque négociant victime de sa bonne foi ; il y a là, comme partout, des fortunes honorablement acquises et sagement administrées.

Vous quittez cette première station où, comme l'ingénieur topographe vous avez presque fait le tour de l'horizon en observant les points principaux qui méritaient voire attention, et vous continuez votre course en remontant la vallée de la Rue, à travers le taillis fourré de la forêt d'Apchon, pour atteindre ce roc escarpé que vous voyez là-haut, couronné d'une ruine ébréchée, dentelée, trouée, qui va vous servir d'observatoire pour contempler, sous ses divers aspects, le cours intermédiaire de la Rue. Vous visiterez, en passant, l'étang ombragé de Roussillon, celui des Boudes et son île où se plaisent à nicher les sarcelles, tous deux tributaires de la Rue; les orgues du Suc-de-la-Ponsou; l'énorme dépôt de conglomérats et de cailloux roulés, traversé par le chemin de Riom à Apchon, et vous vous hâterez d'atteindre le sommet de ce pic détaché qui sert de piédestal à l'imposante ruine du château d'Apchon.

Pour arriver à la plate-forme, un seul côté accessible se présente à vous, c'est celui du nord; le sentier qui y conduit a la forme d'un Z et s'élève graduellement de la base au sommet, comme la rampe d'un escalier dont chaque marche serait formée d'un prisme de basalte posé horizontalement. Les autres côtés sont à pie, mais surtout le côté oriental qui commande toute la vallée de la Rue. Vous comprenez dès lors que les comptors d'Apchon, ces fiers et puissants barons du haut-pays d'Auvergne, aimassent, en temps de guerre, à se retrancher dans ce château fortifié, bâti, dit-on, par un officier de la famille des Ursins, venu en Auvergne à la suite du conquérant des Gaules. Au pied de ce rocher, et dans la gorge étroite qui le sépare d'un monticule voisin, son frère d'origine, appelé le Cheylet (i), autre émanation platonique des dernières convulsions du foyer central Je l'Auvergne, se trouve groupé le bourg d'Apchon, et là, vers les Mazeires, vous pouvez apercevoir la redoute du Pré-de-la-Guerre, bien digne de porter ce nom, s'il faut en croire la légende que je vais raconter.

 

(I) Suivant AI. Bouillet. Description de ta Haute Auvergne, page 287, on ne pouvait arriver au château que par un pont-levis jeté d'une montagne à l'autre. Cette supposition, que l'honorable auteur n'a sans doute pu vérifier sur les lieux, n'est pas admissible, car la distance qui sépare le château d'Apchon du Cheylet (la montagne la plus rapprochée) est de 230 mètres au moins.

 

 

LE PRE-DE-LA-GUERRE.

Entraînée par la bouillante ardeur du valeureux Montluc, une foule de jeunes seigneurs et de gentilshommes ; quittaient la cour de François 1° pour voler en Piémont se ranger sous la bannière du duc d'Enghien. En tète de leur rang marchait un trompette du roi, Guillaume Dumont. né à Apchon, un beau jeune homme, ma foi, brave comme son épée, joyeux compagnon, hardi, quelque peu téméraire, et que plus d'une jolie dentellière de son bourg natal accompagnait, en secret, de ses vœux de retour. Soutenu par cette foule de braves, le duc d'Enghien gagna la célèbre bataille de Cérisoles, et, parmi les prodiges de valeur qui signalèrent cette mémorable journée, le trompette du roi fut surtout remarqué. Déjà les Impériaux se débandaient de toutes parts, déjà les trompettes sonnaient bataille gagnée, lorsqu'une balle perdue vint frapper en pleine poitrine l'intrépide Dumont; on le relève, et d'Enghien, qui, lui aussi, avait vaillamment payé de sa personne et avait remarqué les brillants faits d'armes du jeune trompette, ordonne qu'il soit transporté sous sa tente et le recommande lui-même aux soins de son premier chirurgien, Thomas Rey, homme d'expérience et d'un grand savoir. L'extraction de la balle eut lieu après une opération douloureuse; cependant l'homme de science ne perdit pas espoir; en effet, quelques jours après, Dumont, grâce à sa bonne constitution, put entrer en convalescence, et, sur ces entrefaites, la paix ayant été conclue, il sollicita et obtint un congé.

Or, le 24 décembre 1544, veille de la grande fête do Noël, il n'était bruit dans tout le bourg d'Apchon que de l'arrivée du brave Guillaume Dumont, le trompette du roi, qui s'était si noblement conduit à la bataille de Cérisoles. Sa bonne et vieille mère avait versé de bien douces larmes en l'embrassant; chacun s'empressait de le féliciter sur son heureux retour et sur sa guérison, et plus d'une jeune fille, en lui souhaitant la bienvenue, essuyait, du coin de son tablier, une larme furtive, larme aussi bien d'attendrissement que de joie.

La veillée fut nombreuse ce soir-là chez la mère Dumont pour entendre le récit des campagnes de Guillaume; parmi les plus empressées à s'y rendre, il faut citer trois jeunes dentellières, l'espiègle Mamourette, la brune Toinon et la timide Françonnette aux yeux bleus.

— Je parie, disait Mamourette à ses deux compagnes, je parie une aune de cette dentelle que je destine à mon bonnet de noces, que Guillaume, tout brave qu'il est, n'irait pas, sur le coup de minuit, planter la quenouille de la mère Beynac au milieu du Pré-de-la-Guerre, qui n'est qu'à trois cents pas d'ici.

— Je tiens le pari, dit Toinon. et, d'avance, tu n'as qu'à me donner l'enjeu, car le beau trompette n'est pas un poltron comme ces deux habitants de Cheylade, qui, passant la veille des Trépassés sur le Pré-de-la-Guerre, à onze heures du soir, furent saisis d'une telle frayeur en entendant le sabbat que les démons y faisaient, qu'ils rentrèrent ici à demi-morts de peur.

— Il est quelquefois imprudent, fit observer Françonnette, d'aller provoquer sur leurs domaines les démons et les sorcières, car nous savons que le Pré-de-la-Guerre leur appartient et qu'ils aiment à s'y réunir pour prendre leurs ébats; aussi, sans mettre en doute le courage de Guillaume, à sa place je n'irais pas.

La veillée tirait à sa fin et déjà le sacristain de la paroisse avait sonné le premier coup de la messe de minuit, lorsque la brune Toinon, qui tenait à gagner son pari, s'adressent à Guillaume:

— Gentil trompette du roi, lui dit-elle, vous plairait-il ouïr ma supplique? et alors elle lui raconta le défi de la jeune Mamour. Dumont accueillit, avec un sourire de bienveillance, le récit de la jeune fille, et pour lui prouver qu'elle n'avait pas en vain compté sur sa bravoure:

— Qu'il soit fait comme vous l'avez désiré, ma belle enfant; mais à une condition, c'est que Françonnette gagnera pareillement une aune de cette dentelle si gentiment ouvrée.

— Soit, dit Mamourette.

La mère Beynac prêta sa quenouille; Guillaume la prit, ainsi que sa trompette, et il se dirigea vers le Pré-de-la-Guerre. Après quelques instants on entendit le son d'une fanfare guerrière, puis tout rentra dans le silence, moins le vent qui continuait de grincer aux portes, et la rafale de pluie mêlée de neige qui fouettait, plus furieuse, les ais mal joints des volets extérieurs.

On attendit bien longtemps le retour du trompette ; car personne, à cette heure, n'eût osé s'aventurer jusqu'au Pré-de-la-Guerre; quatre des plus intrépides s y rendirent, pourtant quand le jour eut paru, et là ils trouvèrent l'infortuné Guillaume couché la face contre terre et ne donnant plus signe de vie; ils le transportèrent chez lui, et le barbier du lieu, appelé en grande hâte, pratiqua une saignée qui eut les plus heureux résultats. Le malade reprit connaissance; mais, un tremblement convulsif qui l'agitait et à ses yeux hagards, on devinait assez quelles avaient été ses terreurs de la nuit. Pendant huit jours, il fut en proie au délire de la fièvre; enfin les symptômes alarmants cessèrent et, plus calme, il put raconter ce qui lui était arrivé.

« A peine eus-je planté la quenouille sur le pré fatal, que j'entonnai sur ma trompette une fanfare des plus bruyantes et des plus belliqueuses; aussitôt,

des quatre points cardinaux, je vis s'abattre sur le Pré-de-la-Guerre, et prendre position sur la redoute qui en forme l'enceinte, une nuée de démons aux couleurs étranges, montés les uns sur des boucs aux cornes lumineuses, d'autres sur des salamandres aux proportions difformes. Les chefs chevauchaient sur des dragons ailés et rangeaient en bataille leurs légions infernales. Sur l'ordre de l'un d'eux je dus emboucher la trompette et sonner la charge; quoique soufflant à perdre haleine, mon oreille ne percevait aucun son. Alors commença un de ces fantastiques combats, dont nous, pauvres humains, ne saurions nous  faire une idée. Je voyais des démons pourfendus jusqu'à la ceinture par des glaives flamboyants maniés avec une rapidité étonnante, recommencer le combat après que les parties séparées par le glaive s'étaient réunies d'elles-mêmes; d'autres allaient ramasser à dix pas , qui un bras, qui une jambe, qui sa tête, que des coups incessants, et comme les démons seuls savent en porter, détachaient à chaque instant de ces corps hideux... Et cela dura ainsi jusqu'aux premiers rayons de l'aurore. Tout disparut alors, et je tombai épuisé  au lieu où l'on m'a recueilli. »

Le 25 décembre 1545 les cloches de l'abbaye de Feniers annonçaient une prise d'habit; c'était le trompette du roi, Guillaume Dumont, qui, relevé de son service, et après une année passée dans la pénitence et la prière, allait revêtir l'habit religieux; il avait été vaillant soldat, il fut un serviteur de Dieu , zélé, pieux et repentant.

Mais qu'est-ce qu'une froide légende comparée au tableau que vous avez sous les yeux? n'est-il pas préférable ce paysage riant et varié que vous offre la vallée de la Rue avec ses angles saillants et rentrants depuis Cheylade jusqu'au dessous de Terrou! le cours sinueux de la rivière qui, quoique s'écartant peu de la ligne droite, forme des courbes gracieuses que l'art aurait peine à imiter, et la dépression de ses rives, tantôt insensible, tantôt plus accusée, ou bien s'élevant  souvent en pentes douces du thalweg jusqu'au faite; la vallée, dans ce cas, est très-évasée, et, sur les deux versants, de nombreux villages s'échelonnent par maisons groupées ou isolées. Ainsi : voilà Cheylade à la base du plateau redouté du Limon, posée là, abritée, en tête d'un verdoyant tapis de fertiles prairies qui s'étend jusqu'à la Rue, belle de son joli cortège de maisons bâties à la moderne, et fière aussi de sa vieille tour en ruines et de son église gothique, monument d'architecture du une siècle; la Bastide, qui touche à la montagne; Rastoul. le Sagueix, la Chastô, qui descendent graduellement jusqu'auprès de la rive, et plus haut le chateau des Mouleires, celui du Caire, et la grotte curieuse taillée dans le roc au-dessus du village; Taussac, Nastrac, Lagarde, Pouzols et Terrou, etc., etc. Voilà pour la rive droite.

En face de Cheylade, et sur la rive gauche, c'est Selins, autrefois chef-lieu de commune; Rochemonteix, aux sources fertilisantes, bâti au pied d un roc escarpé; Béchadoire, sur la crête de la montagne; la Font-Sainte, oratoire vénéré, et le chef-lieu de la petite commune de St-Hippolyte.

En avant d'Escourolle, deux ruisseaux se réunissent pour former la rivière de Rue; le ruisseau de Chamalière, venant du Puy-de la-Tourte, et le ruisseau du Claux, originaire du Puy-Mary. Ces deux frères jumeaux, qui courent parallèlement dans deux petits vallons séparés par les mamelons du Christ et de Cezeins, jalons plantés à distance sur la plaine de l'Exercice, forment, avant de se confondre dans le même lit, les deux belles cascades d'Escourolle et du Sartre, qui tombent l'une et l'autre tantôt en colonnettes de cristal, tantôt eu éventail transparent, selon que l'eau abonde, dans un bassin ovale où leurs ondes agitées tourbillonnent un instant pour le quitter en écumant.

Parvenu ainsi aux sources de la Rue, vous résisterez difficilement, je le présume, à la tentation de gravir cette énorme masse conique qui se dresse, imposante, en face de vous et qu'on nomme Puy-Mary; combien d'autres, avant vous, n'ont-ils pas stationné sur ce pic remarquable par sa forme et son élévation? Les uns, comme MM. Dufrénoy et Elie de Beaumont, pour étudier la cause des soulèvements des Monts Cantal ; d'autres, comme l'abbé Lacoste, l'Anglais Scrope et Amédée Burat, pour interroger leur mode de volcanisation; ou, comme MM. Bouillet et Lecoq, pour nous faire connaître leurs richesses minéralogiques et botaniques; d'autres aussi, et je vous suppose de ce nombre, pour contempler le tableau grandiose et incomparable qu'un horizon sans bornes offre aux regards de l'observateur.

Mais hélas! chaque médaille a un revers; tandis qu'absorbé dans la contemplation de ce magique spectacle, vous aviez peine à vous en détacher, quelques étoiles ont déjà brillé au firmament, le disque argenté de la lune vous envoie ses pâles rayons, la nuit approche : vous voilà surpris au milieu de ces montagnes, loin, bien loin de toute habitation? Qu'allez-vous décider? Le temps est si calme, la brise si parfumée, les nuits, dans cette saison, ont si peu de durée, le tableau qui va s'offrir à vous promet, par sa nouveauté, tant d'a'ttraits. que, subjugué, vaincu, vous vous résignez, sans regrets, à passer une nuit d'été au Puy-Mary; n'est-ce pas d'ailleurs une agréable page de plus à noter sur vos tablettes? Voyez plutôt..

« Pas un nuage au ciel, et, cependant, depuis que le soleil a disparu à l'horizon, les ombres croissent rapidement dans les vallées et semblent monter vers vous en formant des ondulations qui grandissent sans cesse; le vert des forêts est devenu d'une teinte plus sombre; les rochers ne vous paraissent plus que comme des masses de noires vapeurs pendues aux flancs des précipices, et les fours de Peyrarches comme des géants placés en sentinelle pour garder les défilés de la Santoire; le bois Mary ne ressemble-t-il. pas à une légion romaine campée là, en silence, en attendant le jour pour planter ses aigles victorieuses sur le sommet du Puy-Mary? Cependant tout se tait autour de vous; tantôt vous prêtiez l'oreille au tintement argentin de la clochette suspendue au cou de la vache favorite, ou au refrain cadencé du pâtre regagnant son buron; maintenant, plus rien rien .. Le murmure des bois, des ruisseaux, des torrents, ne saurait monter jusqu'à vous; l'alouette matinale tient encore sa té te cachée sous le pli de son aile ; aucun bourdonnement ni dans l'air, ni dans l'herbe. C'est la nuit, c'est l'instant du repos, après les fatigues du jour; vous êtes seul, seul à veiller dans cette solitude où tout porte au recueillement et aux graves méditations; seul avec vous-même en présence du magnifique spectacle de la nature; laissez, laissez aller votre âme aux douces rêveries, méditez , et, dans quelques heures, lorsque le soleil frappera de ses premiers rayons ces pics qui vous environnent, vous saluerez son retour, et si cette excursion ne vous a pas trop fatigué, je vous ferai descendre, cette fois, par la vallée de la Santoire.

L. ROBIN.

 

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