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Massiac

Massiac, chef-lieu d'un canton compris dans l'arrondissement de St-Flour. Il est borné au nord par le département du Puy-de-Dôme ; au sud, par le canton nord de St-Flour et celui de Ruines; à l'est, par le département do la Haute-Loire , et à l'ouest, par le canton d'Allanche. Sa configuration est allongée du nord-ouest au sud-est.

Il se compose de douze communes, savoir : Auriac, Bonnac, la Chapelle-Laurent, Laurie, Leyvaux, St-Mary-Ie-Cros, St-Mary-le-PIain, Massiac, Molèdes, Molompise, St-Poncy et Valjouse.

La surface de son territoire est de 25,544 hect. 64 a., répartis ainsi qu'il suit: terres, 11,351 h. 51 a.; prés, 2,039h. 63a. ; pâtures, 177 h. 79 a.; bois, 4,560h. 57 a.; vignes, 11" h. 15 a.; jardins, 50 h. 64 a. ; bruyères, 2,265 h. 81 a. ; châtaigneraies, 17 h. 40 a ; terres vaines. 263 h. 8 a. ; chenevières, 43 h. 78 a. Le revenu approximatif est de 192,000 fr.

II est arrosé par les rivières d'Allagnon, d'Allagnonet, d'Arcueil, la Sianne et le ruisseau Daü.

Sa population est de 10,371 habitants, dans 2,100 maisons.

Ce canton est traversé par la route impériale n° 9, la route départementale qui suit le cours de l'Allagnon et par celle de Massiac à Brioude,

Il s'y fait un commerce assez lucratif de fruits transportés à Murat. Des mines d'antimoine ont été exploitées avec un médiocre résultat.

Ce canton a été augmenté, en 1850, du village de Combalibœuf, détaché d'Anzat-le-Luguet.

Son sol est en général volcanique et dans quelques endroits granitique; il est maigre sur les plateaux et assez productif dans les vallons.

Commune. — Elle est bornée au nord par la département de la Haute-Loire; au sud , par les communes de St-Poncy, de la Chapelle-Laurent et de St-Mary-le-PIain ; à l'est, par le département de la Haute-Loire, et à l'ouest, par les communes d'Auriac et de Molompise.

Sa surface territoriale est de 3,371 hect. 56 a., savoir: 1,552 h. 72 a. en terres cultivées; 241 h. en prés; 450 h. 47 a. en pâtures; 785 h. 92 a. en bois; 64 h. en vignes; 13 h. 50 a. en jardins; 227 h. 76 a en bruyères; 84 h. 70 a. en châtaigneraies, et 26 h. 13 a. en terres vaines. Son revenu cadastral est de 31,527 fr. 90 c

Elle est arrosée par la rivière d’Allagnon, sur laquelle a été fait un pont en bois pour le service de la route départementale, par l'Allagnonet, etc. Leur confluent se trouve à l'aspect ouest de la ville même.

La population de la commune est de 2,187 habitants, dont 1,100 pour la ville, dans 527 maisons, réparties ainsi qu'il suit : 300 sont agglomérées, et 227 forment 16 villages et 9 hameaux.

Massiac, chef-lieu du canton et de la commune, est presque à la limite du département, à 3 myr. 2 lui. de St-Flour. La vallée dans laquelle il est situé s'ouvre de l'ouest a l'est.

La vallée.

 Un voyageur se rendant à Massiac par la route n° 9, soit qu'il vienne de la Fageole, soit que sa direction parte de Vernassal, parvenu au point culminant de l'une ou de l'autre des deux côtes abruptes et dangereuses qui, des plateaux supérieurs, le descendront rapidement dans le fond de la vallée, est saisi d'un ravissement imprévu lorsqu'il aperçoit cette riche plaine, large au plus de 400 mètres, rouverte de verdure, d'abondantes moissons et d'arbres fruitiers de toute nature, embellie encore par le ruban d'argent formé dans sa longueur par les eaux limpides de l'Allagnon. C'est qu'aux steps arides et désolés des plateaux que nous venons de nommer a succédé un reflet gracieux de la belle Limagne, avec un encadrement merveilleux des sauvages beautés de la montagne; c'est que le tout est dans une harmonieuse proportion, et l'oasis inattendu, et Ia roche basaltique aux flancs sombres. Quelque insensible que l'on soit aux beautés de la nature, nul, dans la belle saison, n'a joui de ce coup-d'œil sans en être frappé.

La grand'route, couverte de noyers, suit le fond de la vallée au pied du coteau de la rive droite de l'Allagnon, sous le rocher de la Madeleine. La pente méridionale est couverte de vignes; la pente opposée forme un contraste sensible par le sombre reflet de la verdure de ses sapins. D'un côté se trouve la chapelle de Ste-Madeleine, assise sur le bord de l'escarpement; en face, sur l'autre plateau basaltique, domine l'église de St-Victor. L'un et l'autre rocher sont formés de trois courbes distinctes de basalte, quelquefois prismatique, qui reposent sur un lit de cailloux roulés. M. Bouillet dit, dans sa description de la Haute-Auvergne, que ce basalte a un aspect tout particulier que l'on retrouve rarement; qu'il parait d'un âge bien plus ancien que celui des plateaux que l'on remarque dans le Cantal el dans le Puy-de-Dôme, et qu'il n'en a vu d'à peu près analogue que dans la Haute-Loire, aux environs du Puy.

Les deux rochers, en face l'un de l'autre, sont de même nature, tous deux se terminant par un plateau ; leur hauteur est identiquement la même. Les angles saillants de l'un correspondent exactement aux angles rentrants de l'autre. A cette conformité singulière, il faut ajouter que chacun d'eux a sa cime couverte de laves dans une très-grande épaisseur, et que vers leur sommet, à l'aspect du vallon, la lave de chacun est escarpée de la même manière. Aussi, l'observateur le moins éclairé conclura que ces deux rochers out dû jadis ne faire qu'une seule montagne.

Mais, quelle put être la force incommensurable qui fendit en deux parties celte montagne rocheuse? Dans quel cataclysme de nos contrées ce rocher basaltique a-t-il été séparé par un espace de 200 mètres de profondeur sur 400 de largeur? La raison répugne à admettre l'action unique de la rivière. Faut-il en venir à la théorie des soulèvements, plus satisfaisante pour l'imagination quand il s'agit de ces grands mouvements du globe? Dans une ébullition, le vide a été fait, et, de chaque côté, les profondeurs de l'abîme ont été comblées par le fractionnement de notre montagne.

Nous avons rapporté que ces rochers étaient formés de trois couches distinctes. Legrand d'Aussy dit que dans la dernière on trouve trois ou quatre petites grottes volcaniques, et, dans l'une des autres, une belle caverne où quelquefois les habitants de Massiac viennent faire des parties de plaisir. Cette caverne offre un phénomène utile : comme elle se trouve tournée au plein sud, le soleil, lorsqu'il est au méridien du lieu , l'éclaire en entier dans sa profondeur , et elle devient ainsi pour les habitants une sorte de cadran solaire.

Il s'éboule de temps en temps des parties considérables de ces rochers. Les blocs, en se détachant, roulent plus ou moins loin; quelques-uns restent sur la place même où ils sont tombés; d'autres sont portés vers les vignobles et les plans inférieurs; il en arrive même parfois jusqu'à la grand'route, et, pour la débarrasser, on est réduit a se servir de la mine.

Nous terminerons ce qui concerne cette vallée en empruntant au citoyen Legrand d'Aussy la légende qu'il rapporte sur saint Victor et sur sainte Madeleine:

« Les deux parties de la Chauds ont reçu leur nom de deux dévots personnages qui s'y étaient retirés : saint Victor avait un ermitage sur l'une, sainte Madeleine sur l'autre, et, actuellement encore, chacun d'eux y a une chapelle bâtie en son honneur. De leur dévote retraite, les deux anachorètes pouvaient se voir; mais la rivière les empêchait de communiquer ensemble. Cependant, Madeleine désirait beaucoup consulter Victor sur les choses divine : enfin, elle l'obtint du ciel, et y parvint par un miracle, suivant la tradition.

Un jour, la sainte s'avance sur le bord de sa montagne, son chapelet à fa main, et, après avoir appelé Victor, le lui jette en l'air. A l'instant même, le chapelet s'étend miraculeusement; il se prolonge d'une montagne à l'autre dans toute sa longueur et forme un pont qui les joint toutes deux par leur sommet. Alors, l'anachorète et sa sainte voisine s'approchent pour faire leur pieux colloque. Enfin, toutes les fois que Madeleine voulait demander à Victor quelque conseil, elle employait le même moyen. Mais, pour éviter toute occasion de scandale et de chute, elle ne se permettait point d'aller jusque chez lui, ni ne l'autorisait à venir chez elle : tous deux s'arrêtaient à mi-chemin sur le pont; et, pendant leur entretien, ils restaient ainsi exposés aux regards et par conséquent à l'admiration des gens du voisinage. »

La ville.

Si l'on part de Grenier, village placé dans la vallée, sur la limite du Cantal et où les deux coteaux se resserrent pour ne laisser à l'Allagnon que la largeur de son cours, la route que l'on suit pour arriver à Massiac est couverte de noyers, comme nous l'avons dit, et la proximité de la ville vous est annoncée par une longue et belle avenue de peupliers.

La cité est assise en amphithéâtre sur le penchant Est du coteau de la vallée qu'a formé l'Allagnolo (Allagnolet ou Aigadou); et, du confluent de ce ruisseau avec l'Allagnon, le micaschiste et le gneiss, qui lui servent de base, a fourni ses matériaux de construction, et, comme les maisons de l'ancienne ville ne sont pas recrépies, elles en reçoivent un air de tristesse et de pauvreté. Quelques critiques même ont fait l'observation que son emplacement avait été mal choisi, puisqu'il se trouve exposé aux ravages de deux ennemis terribles, l'Allagnon et l'Allagnonet, plus furieux encore, parce que son lit est plus resserré. Avant la rectification de la côte de la Baraque, elle aboutissait à un beau pont d'une seule arche, construit il y a plus de cent ans, jeté sur le ruisseau. L'embranchement de la route départementale de Murat à Massiac, qui se fait avec celle de St-Flour a la sortie de ce pont, a nécessité son abaissement, et son arche a été ramenée à des proportions ordinaires. C'est non loin de cet embranchement que la vallée reprend ses dimensions rétrécies en se dirigeant sur Molompise et sur Blesle. Quelques kilomètres de longueur, c'est tout ce que présente cette plaine riante.

Il y a peu d'années, la famille d'Espinchal possédait le long de la route n° 9 un magnifique enclos; il a été vendu par elle. Son emplacement a été couvert de constructions nouvelles, faites avec luxe et arec goût. Une nouvelle ville s'est élevée auprès de l'ancienne; mais celle-ci a toutes les grâces et la fraîcheur de la jeunesse : la vieille ville n'est plus qu'une ombre qui rehausse sa fille. Ces embellissements, cette augmentation, cette prospérité moderne sont dus d'abord à la route n° 9, ensuite à la route de Murat, qui a créé une branche de commerce et des relations inconnues avant son ouverture, et vont encore être augmentées par la ligne du chemin de fer Grand-Central qui passera vers ce point.

Massiac est l'une des villes du haut-pays d'Auvergne dont l'existence a été consignée dans nos anciens fastes. Ce fut en 869 qu'elle servit d'asile aux chanoines de St-Martin-de-Tours. Ces bons moines fuyaient devant l'invasion des Normands. Les troupes de Charles-le-Chauve , en traversant l'Auvergne , ravagèrent ses environs.

Les rues de l'ancienne cité sont étroites, tortueuses et mal tenues. La ville était entourée d'une enceinte fortifiée. On y pénétrait par trois portes.

La première, au nord était dite du Clocher; elle était commandée par la tour du clocher, dans laquelle était placé le beffroi.

La seconde, qui portait le nom de Tempel, était sous la protection de Notre-Dame ; elle était placée au sud, et le dessus occupé par une chapelle dédiée à la Reine des anges.

La troisième était à l'ouest. Son nom lui provenait d'une grosse tour, connue sous celui de la Tour-d'Ally C'était le siége d'une des cinq justices de Massiac. Elle communiquait avec l'église par une galerie.

La ville, en outre, était entourée d'un fossé large et profond.

Ces fortifications étaient encore en bon état en 1490, lors de la guerre avec les Anglais. La cité leur dut-elle d'être préservée de leurs ravages ; car nous n'avons vu nulle part qu'ils s'en soient rendus maîtres, quoi qu'ils eussent à Brioude un de leurs principaux établissements. Ne serait-ce pas plutôt la difficulté des abords, qui offrait des dangers continuels dans ces gorges étroites et profondes qui précèdent la ville de toutes parts, a des troupes disséminées que l'on pouvait attaquer en détail avec des avantages immenses?

Le château féodal complétait cet ensemble de défense. Il se nommait le Montel; il était situé sur une éminence qui dominait la ville. Ce château fut rasé à la suite de l'arrêt de la Cour des Grands-Jours, qui condamna à la peine de mort Gaspard d'Espinchal, son propriétaire, et ordonna sa destruction. Il ne reste plus que quelques vestiges de cette forteresse. Dans des fouilles récentes, on a découvert la source et les canaux qui conduisaient l'eau au château.

En 1616, lors de la fin des guerre s de religion, Massiac eut beaucoup à souffrir du passage continuel des troupes entre la montagne et la Limagne. Les brigandages qu'elles commettaient étaient tels, que le grand prévôt Lacarrière dut intervenir et les réprimer.

Massiac était déjà une viguerie en 859. Bernard, comte d'Auvergne, et Lutgarde, sa femme, en font mention dans une donation faite à cette époque au chapitre de Brioude.

Etablissements religieux. Fête

 Legrand d'Aussy, je ne sais sur quel document, a avancé que l'église paroissiale de Massiac était sur lu plateau de la Madeleine, et que l'on en voit encore des ruines. Les inconvénients de la distance, ceux de la fatigue et du mauvais temps la firent abandonner, et les habitants s'en construisirent une autre dans le bourg.

Cette deuxième église, si tant est qu'il en ait existé une première, remonte en partie à une haute antiquité. Elle est sous le patronage de saint André. Les anciennes maisons se groupèrent autour d'elle, et masquèrent ce que sa tour carrée et ses bas-reliefs pouvaient présenter à l'archéologue.

L'existence de cette église à Massiac au IX° siècle est certaine; elle est mentionnée, sous la date de 849, dans une donation faite à cette époque au chapitre de Brioude par Guillaume, duc d'Aquitaine, de certaines propriétés qu'il avait à Massiac. Elle est encore mentionnée dans une charte de 919, à l'occasion d'un échange fait avec l'église de St-Martin-de-Tours.

Il existait déjà à Massiac un monastère de l'ordre de St-Benoit. Son abbé se nommait Hugo, et fut transféré postérieurement à celui de St-Pierre-le-Vif, de Sens. Nous avons vu qu'il avait servi d'asile aux chanoines de St-Martin-de-Tours, ainsi qu'à Hugues, leur abbé. Chose à remarquer : le monastère de Massiac aurait été au moins contemporain de celui de Mauriac, antérieur à celui d'Aurillac, et prédécesseur de celui de St-Flour d'environ 200 ans.

L'abbé de Cluny, Odilon de Mercœur, le réforma en 1015. C'était l'époque où il s'occupait de l'érection de celui de St-Flour; il le constitua en chapitre composé d'abord de 16 chanoines. En 1435, il fut ramené à 8, y compris le curé, par une bulle du pape Eugène IV, confirmée, en 1448, par le pape Nicolas. Enfin, il fut réduit, en 1508, au nombre de six. Un privilège concédé à la bourgeoisie de la ville, était qu'il ne put être recruté que parmi des ecclésiastiques sortis de son sein, nés et baptisés dans Massiac; mais ce privilège aurait été un jour une cause de mort; la piété antique s'était affaiblie, la bourgeoisie avait progressé dans les lumières des siècles, ses enfants n'embrassèrent plus la carrière ecclésiastique. Cette pépinière ne put donc pas fournir au recrutement indispensable. Vers le milieu du XVIII° siècle, le chapitre fut réduit à son doyen, et comme les dîmes qu'on payait mal ne pouvaient plus suffire aux besoins de la paroisse, quoique le traitement du curé ne fût que de cinq cents livres, l'unique représentant du chapitre, sans s'inquiéter de la légalité, les vendit à M. le marquis d'Espinchal, qui était plus à même que lui d'en opérer la rentrée. Ces dînes étaient considérables.

Quelques années après cette vente, plusieurs jeunes gens appartenant à la bourgeoisie entrèrent dans les ordres et attaquèrent en résiliation M. le marquis d'Espinchal; mais la révolution de 1789 mit fin à ce procès, porté déjà devant la sénéchaussée de Riom.

L'église de Massiac, dans l'année 1458, fut pillée et dévastée par les gens de guerre, qui dépouillèrent entièrement les chanoines et enlevèrent les vases sacrés, les reliques et les cloches. L'année suivante, le chapitre acquit les rentes de Landeyrette de Draguinet de St Vidal. Le roi lui fit grâce du droit qui lui était dû pour l'amortissement, à cause du pillage que l'église avait éprouvé.

Il y avait aussi à Massiac une communauté de prêtres auxiliaires que l'on nommait alors Filleuls, et qui secondaient les curés dans le service de leurs paroisses. Cette communauté, comme cela était ordinaire, devait avoir des droits à une portion congrue, acquittés par le chapitre; aussi les trouvait-on souvent en mésintelligence. Leurs querelles s'étant animées, en 1475, à un tel point que l’autorité supérieure dut intervenir.

Nous avens réuni les noms de quelques-uns des curés de Massiac. On n'a pas oublié qu'ils étaient de droit membres du chapitre.

Jean Roulhac était recteur en 1323; Jean Tempel, en 1378. Il plaida, conjointement avec le chapitre, contre le seigneur de Puy-Francou. Pierre Textris , recteur en 1414; Louis Brunechou, en 1471 ; Frère Mourinot du Crozet, en 1306; Jean de Montjean, en 1542; Raymond, curé en 1573. Il succéda à Antoine Lafont, qui avait été nommé en 1574. Autre Antoine Lafont fut curé en 1685; Philippe Clémentis, en 1687. 11 fut le premier nommé par l'évêque de St-Flour. Les curés jusque là avaient été pris parmi eux par les chanoines. Il en résulta pour lui de grandes contestations avec le prieur de Rochefort. Jean Chauriat fut curé en 1699.

L'église de Massiac dépendait de l'abbaye de Blesle. Le prieur de Rochefort avait la présentation.

Cette église est petite, mais bien entretenue et bien ornée. Dans une de ses chapelles se trouvait le tombeau de la famille d'Espinchal. Son clocher a été restauré il y a peu d'années. Il est surmonté d'une flèche couverte en zinc, qui se détache parfaitement de la côte et produit un bon effet dans le paysage.

Au milieu de la ville existait, vers 1823, une antique chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste. Sa construction indiquait deux époques différentes. Le sanctuaire, dont l'architecture était romano-bizantine, témoignait d'une très-haute ancienneté et remontait peut-être à l'origine de la fête, et la nef, agrandissement visible sans aucun style, construction ancienne aussi mais grossière. On pénétrait de la nef dans le sanctuaire par une porte en bois grillée, enchâssée dans un arceau en maçonnerie faisant mur de refend. La partie la plus ancienne était à 2 mètres en contre bas du sol, ce qui indiquerait que ce chœur avait été construit bien avant le surplus, et que, dans le principe, c'était un petit oratoire uniquement. C'est dans cette chapelle que pendant plusieurs siècles avait été célébrée la fête, ce qui fut sans doute la cause de sa destruction.

Il fut un curé qui n'aimait point la fête de la St-Jean. Sans doute il avait ses raisons pour cela; la simplicité et la foi antique avaient disparu; la moralité équivoque du nos âges corrompus leur avait succédé. La destruction du sucellum lui porta un coup funeste, la fête avec lui fut supprimée; mais ce ne fut pas sans douleur pour la population. Les vieillards encore aujourd'hui n'en parlent qu'avec attendrissement; aussi ils racontent que l'ouvrier qui arracha la première pierre tle l'édifice sacré fut puni de son audace par une chute qu'il fit du haut de ses murs; qu'il se cassa la cuisse, ce qui le rendit boiteux et le fit souffrir longtemps; ils vous diront encore que le curé qui a détruit leur fête ne guérira jamais d'une gastralgie qui lui est venue en châtiment, à moins qu'il ne prenne un Reinage. Je ne sais s'il voudra user de ce spécifique; je ne le lui ai point demandé.

Comme la cité d'Allanche, sa voisine, au jour aussi de la St-Jean-Baptiste, Massiac avait une fête dans laquelle l'amalgame du sacré et du profane se faisait également remarquer. Son origine est inconnue et se perd dans la nuit des temps. Nous pensons cependant qu'elle est plus ancienne que celle d'Allanche, et nous serions portés a croire qu'elle fut créée sous Charlemagne, à cette époque où ce grand prince cherchait à détruire les restes survivants du paganisme, et où l'on employait contre lui les armes du ridicule avec les ordonnances. Un caractère satyrique est empreint dans son organisation et ses cérémonies. Le paganisme y est représenté par les animaux qu'il adorait, par les folies de ses ministres, tandis que le christianisme avec ses solennités, la pompe et la dignité de son culte, chassait devant lui ces croyances insensées et ignominieuses pour l'intelligence humaine.

Nous devons à M. Fournier, ancien juge de paix de Massiac, juge maintenant au tribunal de St-Flour, une relation de cette fête que nous allons donner presque textuellement, et qui sera bien accueillie de nos lecteurs. Nous ajouterons que le même mémoire nous a fourni des notes très-intéressantes sur la notice qui nous occupe.

Pour l'intelligence de cette fête, il faut d'abord, dit M. Fournier, faire connaître comment elle était régie, le personnel de son administration.

Deux rois et deux reines tenaient la première place, mais ils étaient sans pouvoir; ils n'avaient à s'occuper que de leurs prières et de leurs plaisirs, quand leurs infirmités leur permettaient de s'y associer. L'autorité, le gouvernement étaient dans les mains de trois fonctionnaires, ministres irresponsables de cette royauté éphémère.

Le premier, nommé le fou, en patois lou fouel (1), était le ministre surveillant des plaisirs de la fête; il avait la surintendance de la musique et de la danse; c'était par ses ordres que les repas étaient réglés; au signal donné par lui, on se mettait à table et l'on s'en levait. Son costume était parfaitement analogue à son titre; il était vêtu d'un habit et d'un chaperon bariolé de toutes couleurs; il portait à la main une baguette blanche; il ne manquait que des grelots à cette marotte.

Le second se nommait le baile; il était chargé, sur le produit des nombreux reinages, de pourvoir à toutes les dépenses ; c'était chez lui que se faisaient les festins; en un mot, il était l'entrepreneur de la fête.

Le troisième était le secrétaire trésorier. A lui seul appartenait le droit de publier les reinages, d'en percevoir les produits qu'il versait dans la caisse du baile. Il avait encore d'autres fonctions dont il sera fait mention plus tard.

Ces rouages administratifs connus, j'arrive à la fête.

Elle commençait en quelque sorte le 9 juin, jour de foire à Massiac. A ce marché, la jeunesse faisait ses emplettes, et son cœur bondissait déjà à l'idée des plaisirs qu'elle se promettait. De son côté, le trio administratif achetait une vache; elle était destinée à devenir la pièce fondamentale des jouissances culinaires des nombreux invités. Mais avant d'être livrée au couteau, la vie du pauvre animal était pleine de jouissances. Aussitôt acheté, on le couvrait de bandelettes aux brillantes couleurs; promené dans toute la ville, on le présentait à toutes les portes des autorités et des notables, au son des musettes, des fifres et des tambours. Mais il obtenait encore un privilège unique, plein de délices pour lui, et concédé à nul autre. Une fois reconnue vache de la St-Jean, c'est ainsi qu'elle était nommée, le droit de pacager à sa volonté dans toutes les prairies de la vallée lui était acquis; son caprice seul, sa convoitise dirigeaient sa marche. Malheur a quiconque s'y serait opposé! il était assuré d'attirer sur lui la malédiction du peuple et la colère du saint. Cette croyance était si enracinée que personne ne se serait permis un tel méfait; car tout le monde avait appris dés le jeune âge la vieille chronique de la fête ; elle racontait les malheurs survenus aux mécréants; comme quoi Gaspard d'Espinchal, le grand Diable, ainsi que le nommaient nos grand'mères, qui ne croyait guère en Dieu et encore moins à ses saints, trouvant un jour la vache privilégiée dans sa prairie, la chassa lui-même brutalement, car nul de ses hommes d'armes, de ses valets, quoique accoutumés à ne reculer devant l'exécution d'aucun de ses ordres, n'aurait osé l'entreprendre! Mais mal lui en prit; il fut atteint aussitôt par un tel torticolis, que sa face tourna et se trouva fixée par derrière, position disgracieuse et lamentable pour un grand et beau séducteur comme lui. La légende rapporte encore que vainement il eut recours aux médecins pour ramener sa tête à sa position normale, et qu'elle ne put y revenir qu'après une amende honorable, et en soumissionnant la charge de premier roi, que ses malicieux feudataires ne manquèrent pas de lui faire payer cher. La légende ajoute encore que la leçon lui fut bonne, et que depuis, malgré son esprit satanique, Gaspard n'y revint. 1

Cette légende est comme bien d'autres, y croira qui voudra; ce qu'il y a de certain, c'est que les vieilles matrones qui la racontent y croient comme a leurs patenôtres.

Maintenant que la vache est bien établie, que ses droits sont reconnus, laissons-la paître à l'aise; arrivons à la neuvaine qui précédait la fête.

Pendant ce laps de temps, les habitants de la cité se préparaient à la solennité par la prière. Chaque famille se rendait le soir à la chapelle de St-Jean, et chacun rivalisait pour couvrir l'autel de fleurs et l'illuminer de son mieux. La confiance ct la dévotion étaient grandes, en serait-il autant de nos jours!

Le samedi, veille du grand jour impatiemment attendu, toute la ville était en mouvement. Les ménagères, les manches retroussées jusqu'aux coudes, s'occupaient des préparatifs nécessaires à la réception des parents et des amis de la famille. On allait, on venait dans les rues comme aux jours les plus solennels. Les conversations, ne tarissaient pas, les fours publies étaient assiégés, les tartres, les gâteaux arrivaient de toutes parts, et chaque ménagère briguait la palme de l'invention pour ses pâtisseries, et pendant ce tohu-bohu la pauvre vache succombait sous la masse du boucher, et chacun venait réclamer un fragment de sa chair! C'était encore un acte de piété.

Au déclin du jour, le fou, escorté de la musique, allait chercher les rois et les reines, les conduisait à la chapelle pour y terminer la neuvaine, et de là au champ de foire pour y allumer le premier feu de joie. C'était un signal pour toutes les contrées environnantes, et chaque coteau était aussitôt illuminé par des feux semblables.

Enfin, arrivait le grand jour si impatiemment attendu; il était salué par le son de toutes les cloches et les roulements des tambours. Bientôt, toute la ville était sur pied : alors commençaient les farandoles. Tous les invités allaient chercher les rois et leurs douces compagnes ; on les conduisait à la chapelle, puis dans la campagne où les attendait un déjeuner abondant. Au retour, on se rendait encore à la chapelle; une procession était organisée et devait faire le tour de la ville dans l'ordre suivant:

La marche était ouverte par la musique, précédée par le fou dans tout l'attirail de son costume bizarre; venaient ensuite les étendards, suivis de mille bannières peintes en l'honneur de la vie du saint précurseur; puis venaient des hommes portant, qui la tête, qui le bras droit, qui le bras gauche, enfin tous les membres disloqués à cet effet d'une statu« de saint Jean. Sous un dais placé sur un brancard venait la statue du saint elle-même. Huit torches de 6 mètres de longueur figuraient près d'elle; elles étaient recouvertes d'une infinité de petits ornements en cire.

A la suite du dais venaient les rois et les reines portant une couronne fleurdelysée en forme de collier de chien; ils étaient suivis par le chœur des chantres, dirigé par le secrétaire perpétuel qui, comme nous le verrons et comme je l'ai déjà dit, cumulait plusieurs fonctions. Enfin, dans les temps modernes, le maire, l'adjoint, le conseil municipal et les autorités, escortés par la gendarmerie, terminaient la partie officielle de la procession.

Jadis le chapitre avait sa place d'honneur; mais, depuis la révolution, le curé qui lui avait succédé s'abstint d'y figurer. Pendant les saturnales d'une époque aujourd'hui jugée, les adeptes avaient trouvé convenable de l'aire célébrer la fête. Au rétablissement du culte, le curé ne voulut point participer à ces saturnales déplorables; il voulut même réformer tout ce qui ne ressortissait pas à la fête religieuse; il éprouva une telle résistance, qu'il dut refuser son ministère. La chapelle même fut interdite! Nonobstant cela, la procession continua à être célébrée comme nous venons de le rapporter. Les fonctions sacerdotales, comme au temps de la révolution, échurent au secrétaire perpétuel, petit homme, suivant la coutume, bossu par devant et par derrière, qui, le nez pincé par d'énormes lunettes en corne, nazillait les litanies du saint, les psaumes et les leçons.

La fête se prolongeait le lundi, le mardi, et quelques retours avaient encore lieu le mercredi. Les deux premiers jours, comme le dimanche, étaient consacrés à la prière et à la danse. Le mardi, à trois heures, on procédait à l'élection des fonctionnaires pour l'année suivante. Cette élection était annoncée au son des cloches; elle avait lieu sur la place, devant la chapelle. Là était établie toute la défroque de la fête : les étendards, les bannières, les statues. Chaque objet, à titre de dévotion, était adjugé au plus offrant et dernier enchérisseur.

On procédait d'abord par la soumission des rois et des reines. Ces pieux honneurs coûtaient quelquefois très-cher. L'adjudicataire devait ordinairement payer et livrer:

1° Vingt livres en argent;

2° Vingt livres d'huile de noix;

3° Trois septiers de froment;

4° Vingt pots de vin (soit 320 litres);

5° Vingt livres de cire.

Le tout de bonne qualité.

Toutes les enchères réunies formaient une somme considérable.

Les fonctions de fouet (de fou) étaient aussi soumises au même système d'élection; mais il y avait moins de concurrents, parce qu'il fallait être doué d'un certain esprit. C'étaient d'ordinaire les loustics du pays qui se présentaient ; ils devaient en outre être pourvus d'une certaine légèreté pour les gambades, sous peine d'être sifflés.

Les élections faites, les nouveaux rois et leurs reines étaient introduits avec pompe dans la chapelle. Là, au pied de l'autel, on procédait à leur consécration. Le petit bossu entonnait le magnificat, que les assistants chantaient avec lui: arrivé au verset : Deposuit potentes de sede, et exalltavit humiles. il prenait les couronnes sur l'autel et les plaçait sur la tête des nouveaux élus. L'hymne terminée, la fête était close.

Le mercredi était le jour consacré aux officiers de la cuisine. Ceux-ci et celles-là, après avoir dîné copieusement, revêtus de leurs plus beaux costumes , se livraient , en se tenant par la main, à une farandole des plus furibondes. Pour la rendre encore plus piquante, tous allaient se vautrer dans tous les bourbiers; on appelait cela la danse souillarde. Comme de juste, c'était le fou qui dirigeait la marche.

Il existait encore un autre usage qui ne doit pas être passé sous silence. Lorsque les nouveaux-nés avaient été baptisés, on les portait à la chapelle de St-Jean. Là, les parrains et les marraines récitaient cinq Pater et cinq Ave. Pendant ce temps, les nombreux gamins qui avaient suivi le cortége, armés de marteaux et de crécelles, montaient aux deux tribunes latérales de la nef et y faisaient un vacarme infernal, et voici pourquoi : si le présenté était un garçon, il aurait de bonnes oreilles, de la voix et surtout une bonne mémoire; si au contraire c'était une fille, elle saurait chanter, danser et parler. Les parrains et les marraines, dans ce siècle encore, n'auraient pas manqué à cette formalité.

Tels sont les détails circonstanciés que nous, devons à M. Fournier. La fête du la Saint-Jean n'existe plus à Massiac; elle est réduite à un faible et malséant reinage publié dans l'église, et qui bientôt disparaîtra comme le reste. Les vieillards de cette génération, qui, dans leur jeune age, ont apprécié ses plaisirs, en emporteront avec douleur le souvenir dans leur tombe. C'est que l'esprit moderne de réformation a pénétré dans le clergé comme dans les autres sommités sociales. Les souvenirs d'autres temps sont sapés sur toute la ligne. A de pieuses folies, qu'a-t-il succédé? La corruption, le matérialisme. Y gagnerons-nous!

Le propriétaire le plus ancien connu de la seigneurie de Massiac est Guillaume de la Tour, qui vendit à Mathilde Dauphine, en 1280, tous les droits qu'il possédait sur la ville de Massiac et ses appartenances. La terre était alors divisée entre plusieurs seigneurs.

Vers la même époque, la maison d'Apchon en jouissait d'une partie. Il paraît même qu'il y avait deux autres parties possédées par les familles de Montmorin et de Rochefort, branche de celle d'Ally.

En 1346, Giraud de Rochefort, seigneur de Puy-Francon, fit hommage à l'évêque de Clermont pour sa partie de la terre de Massiac.

En 1356, Thomas ou Taurin de Montmorin, fait prisonnier à la bataille de Poitiers, était encore seigneur d'une partie de Masstec.

Il parait que ce fut vers cette époque que les quatre parties de la seigneurie de Massiac furent réduites à deux, et que les seigneurs de Rochefort et d'Apchon en restèrent nantis.

En 1409, Antoine d'Espinchal devint titulaire de la partie de Rochefort par son mariage avec Marie, dame en partie de Massiac.

Enfin, en 1584, François Ier, baron d'Espinchal, réunit la propriété entière de cette terre par son mariage avec Marguerite de St-Germain-d'Apchon , dame de l'autre partie de Massiac.

Nos lecteurs nous permettront de sortir de nos habitudes généalogiques à l'égard de la maison d'Espinchal. Quoiqu'un article important lui soit consacré dans le Nobiliaire d'Auvergne; quoiqu'on trouve dans un ouvrage publié sous le titre de Mémoires de Flèchier des actes qui la concernent, nous entrerons dans quelques détails et publierons des documents inédits que nous devons à la communication bienveillante de son dernier représentant.

Et puis, comment passer sous silence cette vie de Gaspard d'Espinchal, le grand diable, si pleine de bonnes et de mauvaises actions, de passions bouillantes, de crimes peut-être! Son souvenir est encore palpitant d'actualité à Massiac; il est le croquemitaine qui sert aux mères à effrayer leurs marmots indisciplinés. Sa place est donc marquée dans nos annales.

Avant d'entrer dans la légende, jetons un coup-d'œil rapide sur son origine et les grands hommes que cette famille a produits.

L'histoire et les nobiliaires constatent qu'elle est originaire d'Ecosse, et qu'elle a transmis son nom au lieu d'Espinchal. Bertrand était chanoine-comte de Brioude en 1266, et fut caution des comtes de Lyon, pour les droits de leur église.

Autre Bertrand d'Espinchal, d'après le Sallon des Croisades, avait déjà figuré parmi les premiers croisés.

Antoine d'Espinchal, en 1487, devint conseiller d'Etal, chambellan du roi Charles VIII, et commanda le ban et l'arrière-ban de la noblesse d'Auvergne, convoqués pour expulser les Anglais. Gilbert d'Espinchal, marié en 1648, fut tué dans un combat, près de Brives, à la tête de la noblesse d'Auvergne, qu'il commandait.

François, son petit-fils, marié a Isabeau de Polignac, fut revêtu de la dignité de grand amiral des galères de France, et acquit dans ce haut rang la plus brillante renommée par ses succès contre les Anglais. Ayant remporté un nouvel avantage sur eux, près de Gibraltar, il reçut les ordres du roi et le gouvernement de Murat.

Gaspard d'Espinchal, lieutenant-général des armées françaises et généralissime des armées bavaroises, négociateur heureux du mariage du grand dauphin avec la princesse Marie de Bavière. Nous allons donner sa vie.

François II d'Espinchal, marié à Anne de Montmorin, commandait l'avant-garde du maréchal de Villars, son oncle, à la bataille de Denain, au gain de laquelle il contribua puissamment , en pénétrant l'un des premiers dans les lignes formidables d'où l'ennemi prétendait marcher sur Paris.

Thomas, marquis d'Espinchal, comte de Massiac, lieutenant-général, commandant l'escadron des gardes du corps du roi, gouverneur des villes et citadelles du pays de Salces, marié à demoiselle de Chavagnac, petite-fille du maréchal de Tessé.

Louis d'Espinchal, maréchal-de-camp en 1770.

Joseph-Thomas, maréchal-de-camp en 1792, émigra avec ses trois fils. Ainsi, le savoir militaire et la vaillance étaient héréditaires dans cette noble famille de d'Espinchal. Nous venons actuellement à Gaspard.

Quelques courtes réflexions sur la situation morale de l'état social de l'époque qui nous occupe sont indispensables.

La France en général, et la Haute-Auvergne particulièrement, venaient de subir plusieurs siècles de dévastations, de pillages, de meurtres et d'outrages de toute nature. La force régnait seule, et la religion restait impuissante à retenir ces âmes de fer dans lesquelles toutes les passions bouillonnaient avec effervescence. Les idées du juste, du droit, de la justice, n'existaient plus : routiers, malandrins, compagnons enrôlés sous la bannière des Anglais, ne connaissaient que la violence, l'assouvissement des passions, la satisfaction de l'avidité.

A ces guerres, d'origine en quelque sorte étrangère, succéda un état pire : les guerres civiles, les guerres religieuses aux passions plus ardentes encore, aux mœurs plus féroces, aux actes impitoyables, avaient porté a son comble la confusion dans les esprits. Plus d'autorité divine ou humaine de reconnue, plus de frein aux convoitises ignobles: tout consistait à satisfaire ses appétits, méme immoraux. Dans ce bouleversement de toutes les notions généreuses, les hauts tenanciers, les barons, les hobereaux, toujours la dague au poing, devaient participer de cette nature brutale.

Gaspard d'Espinchal naquit dans cet intervalle du désordre moral au rétablissement de l'ordre régulier. Il avait été bercé dans des souvenirs calamiteux; sa vie devait se ressentir de ses premières impressions Haut et puissant seigneur, favorisé par la nature des qualités du corps, de l'esprit et de hauts talents militaires, la subordination à une autorité quelconque lui était inconnue. On ne lui enseigna pas les notions du vrai, de la justice, de la moralité, des régies de l'existence sociale; il fut ce qu'il devait être!

Et d'ailleurs, a-t-il été aussi criminel qu'on a bien voulu le dire? t On ne prête qu'aux riches, dit le proverbe. Les commérages populaires ont été fort généreux à son égard. Nous en jugerons par l'extrait des actes authentiques dans la possession de son descendant.

Disons d'abord que Gaspard s'attira l'aversion de toutes les classes élevées de Massiac : le chapitre, il s'empara d'une portion de ses biens ; les autorités civiles, il usurpa de force certaines propriétés de la ville à sa convenance pour agrandir son parc; il maltraita les autorités qui tentèrent de s'opposer à ses empiétements. Les particuliers furent lésés dans leurs femmes et leur avoir. Le désir de se venger devint naturel, tous les moyens pour y parvenir trouvés bons. Gaspard avait mérité, par son entreprise irrévérencieuse à Saint-Flour, la colère du roi. C'était un germe à développer; il le fut.

Nous avons déjà rendu compte, à l'article Corens, du duel de Gaspard avec M. Durochain. On verra aussi, à Molompise, le récit de son combat avec les gens du pays. Voici d'autres actes de sa vie, extraits des lettres de grâces accordées par le roi, le 10 août 1678:

I642. D'Espinchal, accompagné d'un officier de son régiment, fit rencontre, près de la ville de Tournon, d'un gentilhomme accompagné de trois autres cavaliers; et, comme il existait quelque froideur entre eux, après l'avoir dépassé de vingt pas, ce gentilhomme revint sur lui l'épée et le pistolet à la main. S'étant joints, ils firent feu en même temps l'un sur l'autre; ils furent blessés tous les deux, mais le gentilhomme reçut le coup dans le corps et mourut quelques jours après.

1645. Des discussions s'élevèrent entre Gaspard et les habitants de Massiac au sujet d'une somme de 400 livres, empruntée pour faire les frais d'un voyage à Paris, réclamé de lui pour obtenir d'être ménagés dans les logements militaires assignés à la ville. Comme M. d'Espinchal n'avait point touché cette somme, on l'accusait de s'en faire servir le retenu au sol pour livre; en outre, de se faire payer illégalement un impôt appelé de taille-bonne. On avançait aussi que des droits de leyde étaient établis illégalement; les fours de la ville détruits pour rendre le sien banal; d'avoir saisi, sur les chanoines de l'église de Massiac, des droits de dîmes de la paroisse, malgré une sentence du présidial de Riom.

1652. Accompagné du sieur Chandorat, bourgeois de Massiac, d'un page, d'un valet de chambre et d'un jeune soldat, Gaspard, se rendant chez le marquis d'Allègre, rencontra le sire de Sailhans s'y rendant aussi avec vingt-cinq cavaliers. Après avoir marché ensemble plus d'une heure, un valet ivre du sieur de Sailhans suscita une querelle et tira un coup de pistolet qui tua le sieur Chandorat. Les valets tirèrent alors les uns sur les autres; il y eut plusieurs blessés. D'Espinchal revint vers eux pour rétablir l'ordre, et, quoiqu'il eût seul le droit de se plaindre, il fut compris dans les poursuites.

En 1655, un fils de M. d'Espinchal fit une chute de dessus un poulain et se meurtrit le bas-ventre, ce qui exigea un traitement très-difficile. Comme il ne réussissait pas et que la gangrène pouvait s'y mettre, l'avis d'un habile médecin fut de taire une opération. On l'accusa de l'avoir ordonnée pour mettre cet enfant dans l'impossibilité de se marier, parce qu'il supposait qu'il n'était pas son fils.

1657. M. d'Espinchal revenait de l'armée. A mille pas environ de Massiac, vers le soir, il aperçut des paysans qui volaient du bois dans un de ses bûchers; la moitié déjà en était emportée. Il envoya les gens de sa suite après les voleurs; mais ils se sauvèrent au travers des vignes. S'étant avancé lui-même jusqu'au bûcher, il y trouva une femme à laquelle il signifia d'avoir à lui faire connaître ses complices. Comme elle s'y refusa, il la contraignit de le suivre jusqu'à Massiac pour être remise à la disposition du juge. Celui-ci ayant trouvé l'heure tro p avancée pour commencer la procédure, elle fut donnée en garde aux servantes, avec recommandation d'en prendre soin jusqu'au lendemain. Après leur retour des poursuites, ses gens déclarèrent n'avoir reconnu qu'un seul des voleurs, père de la fille détenue. Le lendemain, ce paysan vint la réclamer, et pour le punir de son vol, Gaspard le fit emprisonner. Sa fille alors demanda grâce pour lui et pour elle, ce qui lui fut accordé sous la condition de faire connaître les délinquants; ce qu'elle fit. Rentrés chez eux, ils y passèrent plusieurs années sans concevoir l'idée qu'ils eussent à se plaindre de leur seigneur. Mais lorsque la ligue contre M. d'Espinchal se forma, ses dettes envers lui dépassaient son avoir. On l'engagea à déclarer qu'il avait fait violence à cette fille dans la nuit où elle resta prisonnière chez lui, et invoqua à l'appui de la plainte quelques ouï-dire.

1661. Un jeune gentilhomme du voisinage fit une visite à M. d'Espinchal; revenu le soir dans son hôtel, l'aubergiste se prit de querelle avec lui et lui tira même un coup de pistolet comme il rentrait dans sa chambre. Des informations eurent lieu sur ce fait; l'aubergiste vint chez M. d'Espinchal malgré la défense qui lui en avait été donnée; il persista même à rester, ce qui fit qu'il lui donna un soufflet. En sortant, cet aubergiste fit sonner le tocsin. La fête de la St-Jean célébrée ce jour-là avait à l'ordinaire amené beaucoup d'étrangers. L'aubergiste eut promptement réuni 400 hommes, les fit boire pour les déterminer à l'attaque de la maison d'Espinchal, et l'on ferma les portes de la ville. M. d'Espinchal, averti et ne se trouvant pas en force pour résister à ces forcenés, tenta de se retirer par une petite porte de derrière, avec son fils aîné âgé de 12 ans et deux domestiques à pied pour le soutenir, laissant le reste de ses domestiques dans la maison pour la préserver du pillage. Les insurgés s'aperçurent de sa retraite, coururent après lui avec tant de vitesse qu'une quinzaine d'entr'eux le rejoignirent dans le faubourg, et firent sur eux une décharge de laquelle deux balles blessèrent son cheval. Gaspard eut été certainement égorgé avec son fils, si son cuisinier n'avait tiré un coup de feu qui atteignit à la mâchoire le chef des insurgés, blessure dont il mourut un mois après, par défaut de soins, car elle était légère dans le principe. Ce fait fut dénaturé, et le Sr d'Espinchal accusé d'avoir tiré lui-même. Quoiqu'il eut porté plainte au lieutenant-criminel pour ce guet-a-pens; quoique les habitants de Massiac eussent fait un acte délibératoire signé même par une partie de ceux qui avaient participé à cette échauffourée, la commission organisée contre lui ne comprit pas moins cet acte de violence dans la plainte envoyée au lieutenant-criminel de Riom, son ennemi personnel, et pour corroborer encore cette plainte, ils furent rechercher tous les actes de sa vie, même ceux qui ne le regardaient pas. Le lieutenant-criminel admit Ions ces témoignages de ses adversaires, malgré que M. d'Espinchal fut absent, et les faits rapportés par ouï-dire seulement.

Des députés de la ville de Massiac, tant au nom du corps commun qu'en leur qualité de syndics de ladite ville, savoir : Antoine Boyer, Jean Bonnafoux, Pierre Fabre, curé et chanoine de l'église de St-André, donnèrent suite à la plainte portée contre M d'Espinchal, contumace.

Ils obtinrent contre lui, le 8 août 1662 , un arrêt rendu par les juges et magistrats de la sénéchaussée de Riom. Gaspard, condamné à mort, devait avoir la tête tranchée par l'exécuteur des hautes-œuvres, sur un échafaud dressé à cet effet sur la place des Taules de Riom, et dans le cas où il ne pourrait être appréhendé, être exécuté en effigie, ses biens confisqués, sa maison, ensemble la tour du Monte1, située au faubourg, et ses autres châteaux à proximité devaient être rasés.

La Cour faisant on outre droit a la requête des habitants de Massiac, les réintégra, ainsi que les sieurs Boyer et Bonnafoux, dans les héritages usurpés par le Sr d'Espinchal, et annexés à son parc, dont les murailles durent être abattues. Le curé et les chanoines rentrèrent en jouissance des dînes et autres droits à eux appartenant suivant le traité passé avec le père de l'accusé. Trente mille livres furent accordées à titre d'indemnité.

Gaspard d'Espinchal voulant se présenter devant les magistats pour être relevé de sa contumace et se jutifier des faits à lui imputés, n'osa pas l'entreprendre sans avoir obtenu du roi des lettres de rémission. Elles lui furent accordées lors de la naissance du dauphin.

Mais ces lettres n'étaient pas entérinées lorsque survint l'acte le plus criminel commis par d Espinchal. Ici nous allons suivre cette lamentable histoire, telle qu'on la trouve dans un manuscrit de la famille.

En 1663, Gaspard se trouvait en Italie où il commandait la cavalerie française. Il fut informé, par une dame de ses amies, de l'inconduite de Mr d'Espinchal, secondée par deux de ses domestiques. Il quitta l'armée la rage dans le cœur, agit d'abord avec toute la prudence qu'exige une affaire aussi délicate; il se rend en cachette en son château des Ternes, fait arrêter les deux domestiques soupçonnés et les met sous la garde d'un vieux valet de chambre affidé, lui fait connaître le motif de leur détention, et lui recommande expressément de ne point les laisser sortir ni communiquer avec personne jusqu'à nouvel ordre. Mais ce faible valet se laissa entraîner à prendre sa part d'une collation; aussi la porte ne fut pas plutôt ouverte, qu'ils tentèrent de s'évader. Connaissant sa faute, le valet, qui était estropié, fil feu sur eux par une fenêtre. L'un des fugitifs fut blessé et mourut de sa blessure en Rouergue, peu de temps après.

Gaspard, sur ces entrefaites, s'était rendu à Massiac. Il avait vu la dame dont la correspondance avait éveillé ses soupçons. Il ne put arriver à la vérité. Une nuit, dans un accès de jalousie, il entra dans la chambre de sa femme, un pistolet d'une main une tasse de poison dans l'autre, et comme elle ne peut parvenir à se justifier au gré de ses désirs, le choix du genre de mort lui est donné. La comtesse choisit le poison et l'avale. Gaspard l'abandonne à ses souffrances. Cependant la nature vint à son secours; elle rendit une partie du poison; un médecin fut appelé à son aide par ses femmes qui avaient entendu ses cris. M. d'Espinchal, soit par hypocrisie, soit par des remords réels, l'accueillit avec de grandes marques de repentir. Mm d'Espinchal fut bientôt rétablie.

Mais le jeune page soupçonné ne trouva pas grâce a ses yeux comme son épouse. Toute sa haine, tout son désir de vengeance se concentra sur lui; il fut enfermé dans les oubliettes du château. Pour écarter tout soupçon, on lui faisait écrire des lettres datées d'Italie, pour qu'on le crut a l'étranger, et lorsque cette croyance fut accréditée, ce malheureux jeune homme, horriblement mutilé, périt dans les oubliettes au milieu d'horribles tortures.

On comprend que Gaspard ait constamment nié ce que nous venons de rapporter.

Cependant, la disparition du page avait répandu dans le public des rumeurs sinistres; le duel avec M. Durochain en avait été la conséquence. M. de Candalle, gouverneur d'Auvergne, lit faire des investigations qui n'amenèrent, il est vrai, qu'à des conjectures. Mais l'opinion publique était éveillée dans le pays; les rumeurs les plus fâcheuses planèrent sur Gaspard.

Les syndics de Massiac ne s'endormirent pas; la grâce obtenue n'avait point reçue la dernière sanction. Une nouvelle dénonciation fut envoyée au monarque. Le roi informé prescrivit des poursuites. Les Grands-Jours d'Auvergne furent ordonnés. D'Espinchal ne s'en effraya point et se rendit à Paris chez le duc de Guise, laissant a ses amis le soin d'obtenir sa grâce. Mais dans cette ville encore il séduisit la fille d'un conseiller au parlement. Le père en étant informé, sollicita une audience du roi, demanda justice, ce qui lui fut promis, s il parvenait à découvrir la retraite du coupable.

Mais le pauvre conseiller ne prévoyait guère le sort qui l'attendait. Au sortir des Tuileries, il fut saisi, jeté dans une chaise-à-portcurs et enlevé malgré ses cris, sans que la troupe lui donnât assistance, dans la pensée que c'était un grand criminel que l'on transférait à la Bastille. Toutefois, cet enlèvement ayant paru suspect, un chef de la troupe envoya des soldats courir après la chaise-à-porteurs. Ils ne la rejoignirent qu'en dehors de la barrière, au moment où les porteurs reprenaient haleine. Voyant les soldats, ils se sauvèrent.

Le roi fut fort irrité; mais Gaspard semblait se jouer des dangers. Avec une témérité inouïe, il revient en Auvergne, se rend à Riom, et un étui de fer-blanc sous le bras, contenant, disait-il, les lettres de grâces que S. M. avait bien voulu lui accorder, il va se présenter chez le lieutenant-général criminel; il lui demande la faveur de les lui communiquer le lendemain, ayant encore à voir le président. Ces magistrats eurent la bonne foi de le croire, et le double rendezvous fut indiqué pour le jour suivant. Mais, dans la nuit, Gaspard partit; la boîte de fer-blanc seule reparut, uniquement avec un billet exprimant la satisfaction qu'il avait éprouvée en faisant connaissance avec des têtes aussi estimables que les leurs. Il promettait, du reste, vu l'intérêt qu'ils lui avaient témoigné, de les tenir au courant de son voyage.

De Bordeaux, en effet, Gaspard leur écrivit une nouvelle lettre, leur annonçant qu'il était inutile de lui adresser une réponse, parce que le lendemain il aurait repris son voyage. Cette cérémonie fut renouvelée à la frontière; mais cette fois il annonçait aux magistrats que, dans sa prochaine missive, il leur ferait connaître sa résidence définitive.

Le père de Gaspard avait été ambassadeur en Bavière; il avait toujours conservé les relations les plus amicales avec cette Cour et particulièrement avec son souverain; il pensa donc qu'il recevrait là l'hospitalité qui lui était devenue nécessaire. La Bavière se trouvait alors en guerre avec la France. Son roi s'estima heureux d'attacher à son service un aussi habile général. Gaspard fut donc nommé capitaine-général de ses gardes du corps, et peu après généralissime des armées bavaroises, avec lesquelles il eut le triste avantage de battre les Français sur les bords du Loch; fait sans excuse, car il ne pouvait alléguer l'ancienne maxime : Là où se trouve le roi, là est la patrie. Il paraît que plus tard il en avait conçu des remords; car, à son lit de mort, il recommanda à ses enfants de rester constamment fidèles à Dieu, à leur roi, et à ne jamais porter les armes contre la France.

Gaspard avait tenu sa parole: il écrivit au lieutenant-général criminel qu'il se trouvait définitivement fixé en Bavière, et qu'il le prévenait que s'il voulait lui faire subir une arrestation, il eût à envoyer des forces suffisantes, car il était placé à la tête d'une armée de 60,000 hommes, parfaitement décidée à défendre son général.

Ces impudences mirent toute la Cour de Riom en émoi. Les Grands-Jours jugèrent le fugitif par contumace. Ils confirmèrent le jugement rendu par la sénéchaussée; cela allait de droit. Une condamnation à avoir la tête tranchée fut prononcée, ainsi que la démolition de sa maison et de son château de Massiac, qui devaient être entièrement rasés; plus la destruction des forteresses d'Espinchal et de Vernières, dont les ruines qui existent encore prouvent l'ancienne importance. Hélène de Lévis, la vertueuse épouse de Gaspard, avait du se retirer chez son père. Pardonnant à son mari les crimes dont il s'était rendu coupable à son égard, elle usait de la faveur de sa famille pour obtenir sa grâce. La paix avec la Bavière était faite. Le maréchal de Vilars, cousin de d'Espinchal, avec l'autorisation du roi, eut une conférence avec lui, et l'engagea à négocier le mariage du grand dauphin avec la princesse de Bavière. Ses démarches ayant réussi, Gaspard obtint, en récompense de ce grand service, des lettres de grâces pleines et entières. La terre de Massiac fut érigée en comté pour lui et ses descendants, et il reçut en outre, des mains du roi, son portrait enrichi de diamants, conservé encore par ses descendants.

Mais la permission de reconstruire ses châteaux ne lui fut pas accordée. Gaspard fit bâtir alors, à Massiac, une habitation dans l'architecture moderne, habitation qui existe encore, que ses descendants ont vendue il y a peu d'années avec le surplus de leurs possessions, et dans laquelle se trouvent aujourd'hui les établissements civils de la ville.

Gaspard reconnut aussi ses torts envers sa femme; une réconciliation complète entre eux se fit, et l'harmonie du ménage ne fut plus troublée.

Gaspard mourut dans un âge fort avancé, après avoir réparé les erreurs de sa conduite passée par ses bonnes œuvres, une vie et une fin exemplaires; il reçut avant sa mort tous les sacrements, et fut enterré dans la chapelle de l'église de Massiac, où se trouvait le tombeau de sa famille.

Nous terminerons cet article par l'extrait du portrait de cet homme extraordinaire, inséré dans les mémoires publiés sous le nom de Fléchier.

D'Espinchal eût été l'homme le plus accompli du pays s'il eût pu joindre les bonnes mœurs à ses perfections extérieures, et s'il eût eu une aussi belle âme qu il avait le corps beau et l'esprit bon. Il était si bien fait et disait des choses de si bonne grâce, que sa présence et sa conversation charmaient tout le monde; il était brave; enfin, il avait tout ce qu'il faut pour se faire craindre des cavaliers et pour se faire aimer des dames Il était en grande réputation auprès du sexe: à Clermont, toutes les filles prenaient son parti et démentaient jusqu'à leurs mères. Une demoiselle, charmée par lui, avait accoutumé de dire que cet homme, quand il serait bien méchant, était d'ailleurs si aimable, qu'on devait pardonner et le mal qu'il faisait, et le mal qu'on pouvait faire avec lui. Quand les prudes se scandalisaient de ses discours hardis, on le justifiait en les menant dans quelque compagnie où il était; et, comme si ses yeux eussent perverti tous les esprits, elles se trouvaient presque immobiles et approuvaient les sentiments de leurs compagnes. Ainsi, pour se justifier d'aimer d'Espinchal, on n'avait pas de meilleures raisons que de le montrer. Aussi avait-il un talent admirable à conquérir un cœur. Il avait une douceur qui charmait dans la recherche; mais, dans la possession, il avait une jalousie redoutable. C'était enfin l'amant le plus doux lorsqu'il servait une maîtresse, et le plus cruel tyran lorsqu'il était devenu le maître, ce qui ne l'empêcha pas de trouver rarement des cruelles. Telle est l'histoire de cet homme dans toute son exactitude. Nous avons dit que Joseph-Thomas d'Espinchal avait émigré avec ses trois fils. Henri, l'aîné, avait eu un fils mort à Paris du choléra, à peine âgé de 22 ans.

Alexis, le second fils, est tombé sous le plomb révolutionnaire des fusillades de Lyon.

Hippolyte, le seul qui vive encore, a fait avec distinction toutes les guerres de l'Empire. Il avait une fille; jeune fleur à peine éclose, sur laquelle s'étaient concentrées toutes les affections de la famille, elle a été moissonnée avant l'heure par la parque fatale.

Race antique et chevaleresque, votre passage sur les terres de l'Auvergne n'aura pas été sans un reflet de gloire déversé sur votre patrie adoptive! Et, lorqu'une dernière tombe se sera ouverte sur votre grande lignée, il n'en restera que le souvenir des bienfaits déversés par elle sur ces contrées pendant des siècles.

Massiac a une justice de paix, un receveur de l'enregistrement, un receveur des contributions indirectes, le chef-lieu d'une perception, un bureau de poste aux lettres, une brigade de gendarmerie à cheval.

Le marché de Massiac existait de temps immémorial. L'histoire de ses variations est longue. Il avait lieu d'abord le vendredi; il fut transféré au mercredi parle roi Philippe-le-Bel. Guillaume, comptour d'Apchon, obtint du roi, en 1323, qu'il fût remis au vendredi. La ville d'Auzon s'y opposait fortement, parce que son marché avait lieu le même jour; mais, suivant les enquêtes faites et les avis donnés par MM. Bertrand de Rochefort et Géraud de Montmorin, il fut maintenu au vendredi. Plus tard, nous le trouvons fixé au dimanche; mais ce jour, sur des réclamations générales, a encore été changé et, depuis un an ou deux, renvoyé au lundi.

Ses foires ont lieu le 25 février, le 23 avril, le 9 juin, le 30 août, le 30 septembre et le 13 novembre; elles sont assez suivies par les marchands de bestiaux et surtout de moutons.

La ville, dans un temps, avait des tanneries; c'est tout au plus s'il en reste encore une aujourd'hui. Il s'y fait un petit commerce de détail et de roulage.

On trouve sur la roche de St-Victor quelques traces de constructions que l'on croit gallo-romaines.

Dans des fouilles faites au rocher de la Madeleine, on a recueilli une petite hache gauloise en pierre, nommée par les antiquaires Jade d'Europe; deux fers de flèche dont la forme est pyramidale; un petit fer de lance ou plutôt de flèche en forme de losange, dont la longueur est d'un peu plus de sept centimètres, y compris la douille, mutilée ; enfin, une anse à angles aigus, d'une poterie rougeâtre assez fine, sans aucune moulure, seulement avec quelques bandes blanches. L'église de la Madeleine a été restaurée en 1824.

Les villages et hameaux de la commune de Massiac sont:

  Auliadet, village au sud de la ville et sur la rivière! d'Areuil.

Boustelorgue, village près d'Auliadet et sur la rive opposée.

Brousse, village à l'est du chef-lieu; il appartenait, en 1675, à N. Claude de Murat, seigneur de Vareillette.

Bussac, village à la jonction de l'Areuit et de î'Allagnon.

Chabannes, village dépendant jadis de la paroisse de St-Victor; il était habité, en 1730, par la veuve de Louis de Miramon, seigneur de Fayet.

Challet, gros village sur la route impériale n° 9; il avait donné son nom à une ancienne famille. Etienne de Challet vivait en 1114; Rongier de Challet, seigneur de Montel, en 1341. C'est près de ce village, qui domine la route, que les anciens seigneurs d'Apchon et de Massiac avaient construit l'église de la Madeleine, à la cime du rocher. Challet appartenait, en 1495, à Jacques de Leotoing, qui fit don à l'église de St-André-de-Massiac d'une maison qui lui était attenante, du côté du cimetière, et de la tour d Ally.

Chaumaresse. hameau.

Chevaley, village.

Le Fayet, village à l'ouest de Massiac, sur la rive gauche de I'Allagnon. Nous avons dit que Louis de Miramon en était seigneur en 1715.

10° Grand-Moulin, hameau.

11° Le Lac, hameau.

12° Moulin~de-Parcel, hameau.

13° Moulin-Petit, hameau.

14° Onches, village.

15° Ondeyre-la-Barraque, hameau.

16° Prugnes, village au sud, assez rapproché de la limite du département.

17° Puy-Francon , hameau sur l'Agnolet, près de la route. C'était jadis un fief avec un château qui, eu 1345, appartenait à Jean de Rochefort. Après lui, Guillaume de Ferrière, chevalier, son beau-frère, en prit possession. Vidal de Babeuf en devint titulaire en 1478, par son mariage avec N. de Ferrière. La seigneurie passa plus tard ù la famille de Leotoing, et enfin à celle d'Espinchal.

18° Rabeyrolles, hameau.

19° Sabathey, village sur le ruisseau d'Agnolet, au sud de la ville.

20° Sagne, hameau.

21° St-Etienne, village, commune et paroisse réunies récemment à celle de Massiac. Ce village dépendait de la terre d'Aurouze; il avait une église dédiée à saint Léon, qui fut le sujet de discussions entre l'abbesse de Blesle et l'abbé de là Chaise-Dieu. Le pape Urbain II, en 1097, fulmina une bulle qui la conserva à ce dernier. Jean Berge en était curé en 1694; Jean Laurie, en 1699.

22° La Valette, hameau sur l'Agnolet.

23° Vazerat, hameau.

24° Verdier, village.

25° Vialle- Challet, gros village sur la route, au sud de Challet.

26° Vielle-Vialle, village.

Chabrol dit que la seigneurie de Massiac était composée de cinq justices différentes qui s'étaient réunies de fait sans lettres-patentes, savoir : Massiac proprement dit, le Montel, Leyrenouse, la tour d'Ally et le Puy-Francon. C'est à cause de la réunion que la coutume à dit : Massiac-du-Montel. La partie de Massiac était du ressort de Montpensier , et les autres dépendaient de la sénéchaussée d'Auvergne. La justice du Montel s'étendait aussi sur une partie du faubourg, dont quelques maisons dépendaient de celle de Massiac.

Il ne reste que quelques ruines du château du Montel. Il se nommait Monlel-le-Roucoux, et appartint d'abord à la maison de Rochefort; il passa ensuite dans la maison de Villebeuf. Louis de Villebeuf, seigneur aussi de Chalinargues, régla, vers 1500, les dîmes que le chapitre de Massiac pouvait prendre sur cette paroisse. Jacquette, sa fille, porta le Montel dans la famille de Miramon.

Les différentes justices réunies entre les mains du seigneur de Massiac ne comprenaient pas encore la totalité de la ville. Le commandeur de Celles était seigneur justicier de trois ou quatre maisons, à cause du mandement de Croute et Tempel.

Les droits de lods étaient dus, dans la seigneurie de Massiac, à raison de 3 sols 4 deniers, et au Montel, 2 sols 6 deniers seulement. La coutume locale était celle de Lamothe-Canillac.

P. DE CHAZELLES.

 

1) Le patois a deux termes pour rendre l'expression de fou, suivant le sens moral qui lui est attaché, Lou fouet est celui qui se livre a des excentricités empreintes d'esprit; quant à l'affection qui prive l'homme de son Intelligence, elle est rendue par le mot nechi. La langue française n'est pas toujours aussi riche et aussi vraie dans ses énonciations. Il y a encore lou berrie, mais c'est pour l'effervescence de l’âge.

 

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