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LE CELE
— Il y a dans les basses terres du Cantal quatre rivières qui tirent leur origine de cette région. Elles se nomment le Celé, la Rance, la Veyre et l'Auze, et déterminent quatre bassins. A ces bassins, gorges, vallons ou défilés nous devons une description; mais nos regards ne s'arrêtent plus ici sur nos reines de l'Highland cantalien. Les vallées du haut-pays sont en effet les incomparables rayons d'une magnifique étoile. Leurs vingt naïades échappées des grottes de cristal que surmontent les dômes du Plomb, Bataillouse, Mary, ou le suc d'Eron, épandent délicieusement autour de ces monts altiers leurs beaux rubans moirés vert et argent. Où retrouverait-on des tableaux semblables à ceux de ces vingt vallées : la magnificence de leur berceau, la majesté de leurs encadrements, la puissance de leurs reliefs, la grâce et l'infinie variété de leurs pendentifs; leur somptueuse décoration de bocages et de forêts ; leurs grandes et fuyantes avenues, et cette féconde végétation qui ne laisse pas un ravin sans le crêper d'arbustes, ou le joncher de plantes fraîches et vives, pas un rocher sans le velouter de mousse, lui tresser une couronne de feuillage et de fleurs, ou faire jaillir de ses fissures mille entrelacs de verdure? Où retrouver leur splendide coloris, et le chant solennel des cascades sous leurs gothiques nefs d'aulnes et de rochers ; et ces mystérieuses galeries cachées à l'ombre de gigantesques falaises, entrecoupées par de fantastiques pilastres, frangées et ogivées de feuillée, percées de mille grottes, sculptées de mille clochetons; vallées ignorées dans d'autres vallées; longs et féeriques sanctuaires au fond desquels la nymphe des eaux, dans ses ravissants caprices, bondit d'un roc à l'autre, enroule autour d'eux sa blanche écharpe, disparaît sous des arceaux bizarres, plonge et repose au sein de vasques profondes, glisse sur la mosaïque des cailloux ou vient se mirer dans la glace la plus limpide? Non, certes, les vallées du bas-pays n'ont pas reçu de la nature tant de richesses et tant d'éclat. Eloignées des grands monts, elles ne réfléchissent ni la fierté de leur port, ni la fraîcheur et la vivacité de leurs nuances. Elles sont d'une condition plus humble, d'un teint plus pâle, de formes plus maigres, et portent des vêtements plus pauvres que les filles de la montagne sorties de leur royal berceau; et cependant leur modeste nature est parfois charmante, et leur sauvagerie relevée par de pittoresques attraits.
Le Celé, dont nous avons à nous occuper, naît dans la bruyère, à peu de distance du hameau du Bos, commune de Calvinet. Descendu d'un coteau rougeâtre, il infléchit pendant quelque temps de ses méandres des prés bordés de châtaigniers; la broderie d'aulnées qui suit le cours du ruisseau , décore le paysage environnant, paysage pauvre et faiblement accentué. Quittant bientôt cette plaine onduleuse, le Celé, qui ne porte encore que le nom de Celeyrou (petit Celé), s'incline et s'enfonce dans le fourré de grands bois de chênes. Ces bois couvrent les pentes du chaînon méridional de la vallée; ils laissent régner au-dessus d'eux une croupe uniforme, et alternent avec de grands espaces nus, aux tons jaunes et aux chétives moissons. Sur l'autre bord du torrent figure un pays tourmenté, dont les pentes descendent jusqu'à lui, rapides, ravinées et chargées de châtaigniers.
Le Celeyrou reçoit dans cette partie de son cours deux ruisseaux dont l'un alimente l'usine de Sans Souci, création remarquable dans un pays jusque là sans industrie. L'autre cours d'eau baigne les murs du château de La Motte, l'un des beaux et nobles manoirs de la Haute-Auvergne. Ce château, entretenu avec goût, orné avec élégance, domine plusieurs terrasses successives, du haut desquelles on descend, à travers les fleurs, jusqu'à ses jardins et à ses bosquets. La vue dont on y jouit, plonge d'une part sur d'immenses prairies, et fuit avec elles jusqu'aux gorges du Celé, tandis qu'elle remonte, d'un autre côté, le long d'une avenue de verdure, entre des massifs d'arbres. Les jardins, tracés avec art et dans le style classique, sont relevés par un amphithéâtre semi-circulaire, et animés de tous côtés par le bruit des eaux qui s'élancent au-dessus des vasques de bronze, dorment dans les bassins, ou rafraîchissent, par leurs gerbes gracieuses, des kioskes de charmilles ouvrant sur des galeries concentriques et de l'effet le plus agréable.
Le Celeyrou passe près de ces lieux et se perd de plus en plus dans une gorge pauvre et osseuse. Cette gorge est pressée par deux côtes escarpées sur lesquelles le granit se dessine de toute part en longues vertèbres. Des châtaigniers parsemés çà et là, tachent ces rochers de leur ombre. Dans ces solitudes retentissaient jadis, d'après la tradition, tous les bruits d'une ville; une ruine pittoresque, celle du château de Méallet, en marque la place. Le village de Fournoulès accidente aussi l'aspect des hauteurs. Plus bas, se dresse un promontoire ardu, au pied duquel le ruisseau de la Ressègue vient torrentueusement se réunir au Celeyrou, pour former avec lui le véritable Celé. Sur la pointe sauvage de ce promontoire apparaît un cadavre de pierres, décapité, démembré, tout enlacé de lierre, mais qui semble couver encore la gorge de son regard fauve. Ce sont les débris du château de Chaule-le-Merle, démoli en 1579 par ordre du gouverneur d'Auvergne. L'Allemagne n'offre pas de sites plus effrayants aux légendes de ses reîtres.
Aussi le Celé s'échappe en bouillonnant de ces lugubres défilés; il se précipite vers des lieux plus riants. La montagne s'abaisse, s'éloigne de part et d'autre et prend la forme d'agréables collines. Dans l'horizon qu'elles entourent se développe un large et fertile bassin paré de bois et de prairies. Ici l'œil retrouve la grâce et la vie. Le bourg de St-Constant baigne ses pieds dans la rivière, tandis que des villages et des hameaux scintillent sur chaque éminence. La belle habitation de Lacan paraît de loin comme une perle agrafant au coteau méridional la ceinture de cet aimable paysage. Puis la vallée se referme ; ses deux revers grandissent; des forêts de chêne étendent sur eux leur draperie, tandis qu'une lisière de belles prairies accompagne la rivière dans ses contours. Ce paysage, d'un ton calme et d'un caractère élégant et pittoresque, se prolonge ainsi quelque temps, puis se dénude et s'appauvrit. Près du village des Aurières, le Celé reçoit la Rance. Grossi de ses eaux, il pénètre près de la Darse, dans le département du Lot, où entre avec lui la route de Figeac. Il baigne cette ville et se jette dans le Lot, près de Bouziès.
Deux routes traversent le Celé : celle des bords du Lot, près de sa source; celle de Decazeville, à St-Constant.
H. DE LALAUBIE.