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Une belle journée, au début de l'été, m'invitait à cueillir des fraises, sur le versant sud du serre des AYGUES. Dans le chemin qui longe la Prade des Majougou, je dérangeais, dans la haie, un écureuil qui à mon approche, partit se réfugier dans le petit bois de sapins, sur les bords de la Cère, dans le pré de Jou de Bas.

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J 'avais, certes vu des écureuils, mais ce jour là, cette apparition, la vision fugitive du gracieux animal, sautant de branche en branche, me laissèrent perplexe. Délaissant la tâche vermeille des fraises qui, avec les violettes, décorent la pierraille du serre des Aygues, j'allais m'asseoir sur une grosse pierre, sur les rives de la Cère, avec dans l'esprit ces pensées :- " Pourquoi l'écureuil vit-il dans les arbres ? pourquoi, lui si agile dans les branches, ne va-t-il pas courir et gambader sur le sol, comme tous ses congénères à fourrure ? est-il un intermédiaire voulu par la nature, entre les oiseaux et les mammifères ? "Tout en regardant, au fil de l'eau les évolutions gracieuses d'une libellule, je dus énoncer tout haut, mes réflexions. Mon soliloque fut entendu par une vieille pie, juchée sur un hêtre tout proche ; d'un coup d'aile, elle vint se poser sur un vergnat qui me dispensait une ombre fraîche, j'entendis l'oiseau me dire : - " Tu es intrigué par l'écureuil, souffre que je te raconte son histoire que je tiens de ma grand'mère : Jacasse, "- "Merci, de bien vouloir m'éclairer" lui répondis-je. La brave pie me narra la légende de l'écureuil que je vus livre sans la déflorer :- Il y a bien longtemps, sous le règne du bon roi, l'Aigle, tous les animaux qui marchent, qui volent, qui rampent, cohabitaient dans la paix et la concorde, bien sûr, il y avait bien quelques disputes, des peccadilles, que le roi arbitrait, ses jugements étaient équitables et acceptés par tous.


Au printemps, des hérauts du Roi, des roitelets sillonnaient tout le royaume, pour lire une proclamation du monarque qui disait à peu près ceci :


-« Mes braves sujets, après le rude hiver qui j'espère n'a pas laissé trop de traces, profitez des beaux jours pour réparer les outrages subis pendant les mauvais mois, jouissez pleinement des rayons du soleil ; mais, n'oubliez pas, en prévision de la neige, des frimas, des vents froids, d'entasser des provisions que vous prodigue la nature et, qui vous aideront à survivre l'hiver prochain ".


Tout allait pour le mieux dans le monde animalier.
Chaque soir, dans les prés, dans les clairières, ce n'étaient que des fêtes éclairées par les vers luisants, aux sons d'un orchestre de rossignols : le renard dansait avec la fouine, le blaireau avec la martre, l'écureuil avec la belette, le mulot avec la souris, dans le ciel, d'un arbre à l'autre, les oiseaux dessinaient de gracieux carrousels, sous les yeux émerveillés des serpents qui battaient la mesure avec leur queue.
Cette joie de vivre, presque insouciante, ne faisait pas oublier les recommandations royales.
Dans la journée, l'activité était grande, chacun entassait en prévision de l'hiver : qui des baies et des fruits dans des trous de muraille et d'arbre, qui des graines, des herbes dans des nids bien protégés de branchage ou sous les racines des haies ; A ce travail, l'écureuil était un des plus actifs, à l'automne sa réserve alimentaire enfouie sous les racines d'un sapin était bien substantielle, du moins, le croyait-il.
Vers la mi-octobre, l'écureuil voulut juger l’importance de ses provisions, il les déterra, hélas ! seules quelques faines et noisettes, judicieusement placées, cachaient des grains de sable et des petits cailloux. Pas de doute, un indélicat s'était servi dans les provisions patiemment amassées. Contenant sa colère, il entreprit de trouver une nouvelle cachette, de l'approvisionner, tout en surveillant son ancien magasin où il avait laissé quelques nourritures pour appâter son voleur et pouvoir, ainsi, le surprendre.


A la fête du soir, pour donner le change, il clama haut et fort : qu'il avait trouvé, assez loin, une haie aux noisettes aussi grosses que des oeufs de pigeon, qu'il y irait le lendemain matin, et qu'il envisageait de les stocker sur place, bien qu'il n’eût aucune crainte pour l'hiver, ses provisions étant importantes. Le matin, dès le premier rayon de soleil, il quittait le territoire, en se faisant remarquer par tous ses voisins. Après avoir fait une centaine de mètres, il retourna sur ses pas, tantôt sur le sol, tantôt de branche en branche, sans le moindre bruit, il vint se tapir sur une branche du sapin qui protégeait ses provisions. Son attente dura jusqu'à midi. Des légers bruissements l'alertèrent, retenant son souffle, immobile comme un chasseur à l'affût, il vit l'orvet qui rampait sans bruit, sans déranger une herbe, vers sa réserve. Un coup d’œil à droite, puis à gauche, rien d'insolite, le serpent bondit, déplaça la pierre qui bouchait le trou de la cachette, prit dans sa gueule une faîne, aussi vite, aussi silencieux qu'il était venu, l'orvet s'apprêtait à repartir. Vif comme l'éclair, toutes griffes dehors, l'écureuil fondit sur le reptile, dans la bagarre qui suivit, il creva les deux yeux de l'orvet.


Cette bagarre fut vite connue du roi Aigle qui ordonna à ses gendarmes, les "rapinels" ( les buses ) d'aller chercher les deux belligérants pour comparaître devant lui. Manu militari, les deux antagonistes furent présentés au roi qui, sans attendre leurs explications, apostropha ses deux sujets, sans chercher à cacher le courroux qui perçait dans sa voix.


- "Dans toute communauté, il est normal que des disputes naissent, se développent, jusqu'à ce jour, pour toutes les brouilles, tous les différents, mes sujets me demandaient un conseil, de rendre un jugement ; je suis fier de croire que les sentences que je rendais, et que je voulais équitables ont toujours satisfaits ceux qui me faisaient confiance Vous avez, l'un et l'autre, dérogé à cette règle qui est la base de l'union de tous, dans mon royaume. Sachez qu'après vous avoir entendu, ma décision sera dure. Parle, le premier, toi l'orvet.
Après avoir essuyé ses yeux sanguinolents, avec sa queue, l'orvet commença :

-« ô ! Majesté, dépourvu par la nature de membres, malgré mon agilité, rampante, j'éprouve beaucoup de difficultés pour me nourrir et , encore plus pour faire des provisions pour l'hiver ; de plus mon sang qui subit toutes les variations de la température fait que je ne suis en possession de tous mes moyens que sous les chauds rayons du soleil, ce qui limite beaucoup le temps pour faire des provisions. Je ne pensais pas, que quelques graines, quelques noisettes prélevées dans la cachette de l'écureuil, pouvaient amputer son budget alimentaire hivernal. Ces menus larcins ne méritaient pas, que l'écureuil me rende aveugle pour la vie »
L'Aigle, roi, commenta les déclarations de l'orvet :

- " Certes, tes aptitudes physiques sont pour toi une entrave, mais en aucun cas, tu n'avais le droit de t'approprier des réserves d'autrui. Si tu m'avais fait part de tes difficultés, j'aurai demandé à mes sujets de te venir en aide, j'aurai ordonné une "bouado" ( corvée) et en une matinée, ta réserve hivernale aurait été faite. Tu savais très bien qu'un appel à la solidarité animale n'a jamais été vain. Par fierté, par facilité, tu as préféré le vol, tu es bien puni. Maintenant, à toi, écureuil ".

- " Sire, suivant vos conseils printaniers, je m'attache pendant les beaux jours à entasser des provisions, en prévision de la mauvaise saison ; chaque fois que je grignote une faine, une noisette, une graine, j'en mets une, dans ma réserve, ainsi je suis sûr de posséder assez d'aliment pour l'hiver. Voulant juger de l'importance de mon stock, j'eus la stupéfaction de constater qu'il était presque nul, des grains de sable, des petits cailloux remplaçaient mes vivres, patiemment, ensilées. Heureusement, que je m'en suis aperçu, car avec la neige, les vents froids, la terre gelée, je n'avais rien, j'aurais pu mourir de faim, je voulais connaître le voleur. En voyant l'orvet piller ma réserve, mon sang ne fit qu'un tour, je bondis sur lui pour le corriger. Je lui ai crevé les yeux, dans la bagarre, mais lui, me condamnait à mort, pendant l'hiver, en volant mes provisions. Moi, je lui ai laissé la vie."

-" Ecureuil, je comprends ta colère, mais tu n'avais pas à te faire justice. Comme je l'ai déjà dit, je suis là pour aplanir les différents, tu devais donc me faire appel. Je suis sûr que j'aurais arrangé votre affaire équitablement. Maintenant, il est bien tard, l'orvet est aveugle et ses descendants le seront aussi et, je ne pourrai pas éviter la vengeance de l'orvet »
Comme un écho aux dernières paroles royales, l'orvet, d'une voix pleine de haine, lança :

- " Avec mes amis, les serpents, je me vengerai, nous te crèverons les yeux ".

Pour éviter une bagarre immédiate, les "rapinels" gendarmes reconduirent séparément, les deux antagonistes.C'est depuis ce jour, que l'écureuil, prenant au sérieux la menace du reptile, ne s'hasarde que très rarement sur le sol, après avoir pris d'infinies précautions. Se souvenant du vol, l'écureuil, toujours aussi prévoyant, ne met plus toutes ses billes dans le même panier, c'est pourquoi, il dissimule, dans des caches nombreuses et variées, ses provisions pour l'hiver. Comme il a une petite cervelle, à la mauvaise saison, il ne les retrouve pas toutes ; le gel, la neige, les frimas sont durs pour lui, c'est la punition qui sanctionne son geste qui mutila l'orvet.Cette dispute eut des effets insoupçonnés qui marquèrent et marquent encore la vie des animaux des campagnes et des forêts.

Certains, à l'exemple de l'orvet, voulant bien vivre sans trop d'efforts, tentèrent de profiter des autres en les volant. Les victimes ripostèrent, les dents qui ne servaient que pour manger, les griffes sorties des fourreaux, devinrent des armes redoutables. La fréquence, la violence des bagarres augmentèrent.Le roi Aigle devenu vieux, incapable de maîtriser la montée de la violence, abdiqua et partit se réfugier dans la montagne.Fini les fêtes au clair de lune, à la clarté des vers luisants, aux sons de l'orchestre de rossignols, la tranquillité, la concorde, la paix avaient laissé la place à la violence. La saine justice royale cédait peu à peu, le pas à la loi, du plus rusé, du plus fort, bref, à la loi de la jungle. Ami, te voilà renseigné " me dit la pie, en me saluant d'un coup d'aile, avant de prendre son envol »

M'arrachant de la pierre et des évolutions gracieuses de la libellule sur les eaux claires de la Cère, je partis cueillir les fraises, dans la pierraille du serre des Aygues.Pendant la cueillette, l'histoire de l'écureuil et de l'orvet se confondait avec le récit biblique fait en chaire, par le vieux curé : la perte du paradis terrestre par Adam et Eve.

Comme le serpent a détruit le bonheur paradisiaque des hommes, l’orvet a tué la paix animale.

Jean-baptiste Manhes

 

 

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