Pourquoi les loups ont déserté le haut cantal ? C'était, il y a très longtemps, à l'époque où les bêtes étaient seules à peupler le haut Cantal. Le renard et le loup s'étaient associés pour exploiter, un petit champ, que l'on peut voir encore, au dessus du village des Chazes : "la terro-naouto" (champ haut).
La première année, ils décidèrent de planter des pommes de terre. Le loup qui se méfiait un peu du renard, exigea, pour que leur union fut régulière et ne prête pas à discussion que tout soit noté par écrit.
" D'accord", dit le renard, demain nous irons chez Maître Bouc, notaire à Niereveze. Le lendemain, de bonne heure, ils se présentèrent à l'étude. Un gratte-papier, un clerc, un jeune chevreau, les introduisit auprès du notaire.
" Asseyez-vous. Que voulez-vous ? " questionna Maître Bouc, en se lustrant doucement la barbichette.
" Nous exploitons ensemble la terro Naouto nous voudrions pour éviter les disputes, que notre union et plus particulièrement le partage de la récolte, soient consignés par écrit". Le loup, toujours méfiant, coupa la parole au renard.
"Le plus facile je crois, serait de donner à l'un ce qui est visible, l'autre aurait ce qui est sous terre".
" Etes-vous d'accord, renard"
"Oui, choisis ce que tu veux, loup ?"
Le loup qui, toute sa vie, s'était nourri des plantes qu'il voyait, pensant jouer un bon tour à son associé, répondit :
" Si tu n'y vois pas d'inconvénient, je prends ce qui se voit ".
" D'accord acquiesça le renard ".
L'accord étant conclu, Maître Bouc griffonna des papiers que les deux compères signèrent. L'après midi, de retour à la terro naouto, ils se mirent au travail. Le loup, plus costaud, s'attela à l'araire, tandis que le renard tenait les mancherons. Ils plantèrent de la bonne semence de pomme de terre, tout l'été, ils sarclèrent, binèrent. Le loup, voyant les fanes, si vertes, si drues, savourait par avance sa récolte, et pensait : "j'ai bien eu le renard."
Au mois de Septembre, le renard dit au loup :
" Les pommes de terre sont mûres, il est temps de les récolter, prends ta part, loup ? "
Le loup faucha les fanes et les emporta, vite, chez lui. Après, le renard fouilla la terre, avec une houe, et fit une belle cueillette de patates. Quelques jours après, le loup voyait les fanes se flétrir, sécher, tomber en poussière ; il dut se rendre à l'évidence, il n'aurait rien à manger, pendant l'hiver, de plus, il enviait le renard qui se régalait avec les beaux tubercules. Il vint se plaindre au renard :
" Tu as eu la bonne part, j'ai travaillé autant que toi, il serait juste que tu partages la récolte, avec moi ".
" Nous avons respecté le contrat signé chez Maître Bouc, tu as eu la part qui te revenait, moi, je garde la mienne. De plus, je te ferai remarquer, que c'est toi qui as choisi La part visible "
Le renard resta intraitable, pour survivre, le loup dut mendier pendant tout l'hiver. Au printemps, dès que la neige fut fondue, le loup, dans l’espoir d'une vengeance, vint trouver le renard.
" Malgré notre différend de l'automne, malgré ton intransigeance, nous pourrions, encore cette année, exploiter la terro naouto ".
" Je veux bien répondit le renard mettons nous d'accord. Cette année, pour que la terre se repose, nous planterons des choux ".
Le loup qui voyait sa vengeance se dessiner, demanda, presque timidement :
" Cette année, si tu veux, je prends ce qui est sous terre, toi, tu auras la récolte visible ".
" D'accord, nous irons chez Maître BOUC, Notaire à Nierevèze, pour le consigner par écrit ".
Quelques jours plus tard, ils signèrent, sur papier timbré, chez Maître Bouc, les conclusions de leur arrangement. Le soir même, de retour à la Terro Naouto, le loup s'attela à l'araire, le renard tint les mancherons. Ils plantèrent plusieurs centaines de choux. Tout l'été, ils sarclèrent, binèrent, arrosèrent quand le soleil était trop chaud. A la fin de l'été, le loup pensait, en voyant les choux, bien verts, bien drus, bien pommés :
" L'année dernière, les fanes étaient moins belles et pourtant la part du renard avait été conséquente, sur que dans la terre, il doit y avoir une récolte importante"
Au mois d'octobre, le renard dit au loup :
" Je vais prendre ma part, afin que tu puisses déterrer la tienne, avant que la neige tombe".
Le renard coupa les choux et les emporta chez lui. Aussitôt, le loup fouilla la terre avec une houe. Hélas ! Il ne déterra que des racines dures, tordues qui ne l'aideraient guère à survivre, pendant le rude et long hiver auvergnat. En proie d'une vive colère, il partit chez le renard.
" Je veux la moitié des choux " hurlait-il.
" Non" - répondit fermement le renard. "Tu voulais la part qui était sous terre, tu l'as, d'ailleurs, je respecte le contrat que nous avons signé devant Maître Bouc, notaire"
" Cela ne se passera pas comme ça, je veux ma part, nous allons nous battre" criait le loup en saisissant une "agulhado" (longue tige de noisetier servant à diriger les attelages de bovins).
" Doucement loup, nous n'allons pas nous livrer en spectacle à toutes les bêtes du village, si tu veux te battre pour régler notre différend, rentrons dans le four communal, nous serons à l'abri des regards de nos voisins " proposa le renard, en s'emparant d'un court bâton de hêtre bien sec et bien noueux.
Mes amis quelle bagarre !
L'exiguïté du four ne permettait pas au loup de manier sa longue " agulhado ", tandis que, le renard utilisait facilement son court bâton de hêtre bien sec et noueux.
Vlan ! sur la tête du loup, vlan ! sur son dos, vlan ! sur ses pattes. Rapidement le loup demanda grâce.
"Arrête renard, arrête par pitié".
A la sortie du four, le loup qui voyait arriver l'hiver avec de sombres perspectives, supplia encore, le renard :
" Donne moi, une petite part de choux ? "
" Non, mais je t'accorde une revanche, si tu gagnes, je te donnerai tous mes choux ".
Oubliant ses plaies, ses bosses, le loup accepta.
" Nous n'allons pas nous donner en spectacle à toutes les bêtes du village, partons dans la clairière de la Font-Négro, nous serons loin de tous les regards, proposa le renard"
Le loup qui portait les traces du court bâton de hêtre bien sec et bien noueux s'en empara prestement, tandis que le renard mettait sur son épaule, la longue "agulhado". Ils furent vite à la clairière de la Font-Négro ;
Mes amis, quelle bagarre !
Chaque fois que le loup tentait d'approcher, avec son court bâton de hêtre bien sec et bien noueux, pour donner des coups au renard, celui-ci le repoussait durement avec sa longue " agulhado "
Vlan ! sur la tête du loup, vlan ! sur son dos, vlan ! sur ses pattes .
Sous cette avalanche de coups, d'autant plus douloureux qu'ils tombaient sur les plaies et les bosses faites par le court bâton de hêtre bien sec et bien noueux, reçu dans le four, le loup rompit le combat et s'enfuit, aussi vite que le lui permettaient les douleurs à la tête, au dos, aux pattes.
C'est depuis ce jour que les loups ont déserté les montagnes du Cantal.
Des esprits chagrins me rétorqueront :
"Les loups n'ont pas déserté les montagnes du Cantal, depuis si longtemps, la preuve : juste après la guerre 14/ 18, un chasseur des Gardes - Monsieur Frescal Antoine en tua un"
Cette argumentation ne contredit pas les conclusions de ce conte.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, les loups ont bien quitté les monts du Cantal, pour des cieux plus hospitaliers pour eux.
Celui qui acheva sa vie, dans les genêts des communaux des Gardes, le poitrail percé par des chevrotines, était un loup érudit, un ethnologue, qui venait dans les montagnes du Cantal, à la recherche de ses origines et étudier la vie de ses ancêtres.
Jean-baptiste Manhes