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En ce temps là, bien avant la venue des hommes, les chaînes du Plomb du puy Griou étaient plus hautes et plus acérées qu'aujourd'hui. L'érosion des ans n'ayant pas encore fait son lent travail de sape, protégeaient la haute vallée de la Cère ; en aval, les roches abruptes des pas de Compains ne laissaient passer que la rivière et interdisaient l'entrée à d'éventuels intrus.

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Dans ce cadre magnifique vivait toute une colonie d'animaux. Sur les rives de la Cère l'herbage abondant nourrissait un important troupeau de vaches de race Salers ; sur les pentes des serres, au milieu des genêts, à l'abri des forêts, pacageaient les moutons et les chèvres. Cette faune, aujourd'hui domestiquée, cohabitait avec les bêtes dites sauvages : sangliers, loups, renards, etc.

Cette colonie animale avait adopté un petit âne gris qui venait nul ne sait d'où. Il avait trouvé un refuge, sous quelques hêtres, aux Tachounes, sur le rocher en surplomb du confluent de la Cère et du Viaguin. Véritable ermite, un peu poête, il vivait de peu, en regardant pousser les fleurs, et en contemplant l'eau claire des deux ruisseaux qui coulaient à ses pieds.

Cette année là, l'hiver avait été très rude, pratiquement pas de neige pour protéger des fortes gelées la végétation, pas de neige aussi pour alimenter les sources ; au printemps pas de pluie, pas de giboulée ; si bien, qu'au début de l'été, les sources étaient taries, et les ruisseaux à sec. Dans les prades, le long de la Cère, les pentes des serres, l'herbe était jaune, sèche et très rare ; une sécheresse catastrophique sévissait, la disette guettait les animaux. Sur cette terre assoiffée et pelée seuls, les chardons résistaient, ils narguaient grâce à leurs piquants et épines les bouches affamées du bétail.

Sur cette terre de désolation, malgré la chaleur caniculaire, trois petites fleurs avaient poussé, sous les hêtres, à côté du domaine du petit âne gris. En les voyant, le grison avait murmuré :


" Bien sur, elles sont belles, je devrais les laisser car, elles ne peuvent calmer ma faim, pourtant chaque matin j'en cueillerai une, doucement je la mâchonnerai, sa fraîcheur, son parfum me rappelleront l'herbe tendre et abondante des autres années." 

Quelques jours plus tard, le petit âne gris cueillit une deuxième fleur, la mit dans sa bouche pur la mâchonner et en savourer sa fraîcheur. une abeille qui voletait au dessus du domaine du petit âne gris, le vit, avec la petite fleur dans la bouche, elle lui dit :


" A cause de cette maudite sécheresse, depuis de longs jours je n'ai pas apporté du pollen à la ruche ; petit âne gris veux-tu me donner la petite fleur, afin que j 'amène un peu de nectar aux larves de ma ruche qui risquent de mourir de faim. "

Sans hésitation, le petit âne gris répondit :

" Abeille prend la fleur, qu'elle amène un peu de réconfort dans ta ruche ".

 " Merci petit âne gris, tu es bien gentil ".

Un matin, le petit âne gris cueillit la dernière fleur qui avait bien poussé, la mit dans sa bouche pour la mâchonner et ressentir sa douce fraîcheur. Un escargot qui se desséchait aux pieds des hêtres, interpella le petit âne gris :

" L'ombre des arbres ne réussit pas de me protéger des ardents rayons du soleil qui dessèchent et bientôt je vais mourir, petit âne gris veux-tu me donner la fleur, elle me servirait de parasol pour m'abriter des chauds rayons du soleil Spontanément, le petit âne gris jeta la petite fleur à l'escargot ".

 " Prends la fleur, escargot, qu'elle te protège bien du soleil ".

" Merci, petit âne gris " .

Plus de fleur sur le domaine du petit âne gris, sur le rocher des Tachounes surplombant le confluent de la Cère et du Viaguin, et pourtant le petit âne gris satisfait méditait :

 " Ces fleurs, des friandises qui ne pouvaient nullement calmer ma faim, après tout, je ne me suis pas privé en les donnant, elles ont été bien plus utiles à la mésange, à l'abeille et à l'escargot ."

Le petit âne gris, faisant sien, le dicton : " qui dort dîne ", pour calmer son estomac, la conscience tranquille, s'endormit. Depuis combien de temps dormait-il quand une main le secoua amicalement.

" Ouvre donc les yeux petit âne gris, je suis le Dieu des Bêtes. "

Eberlué, le petit âne gris, tout en s'excusant, bredouilla :

 " Excuse-moi de te recevoir ainsi, mais je dormais pour calmer ma faim, que me veux-tu Dieu des Bêtes ? "

" La mésange, l'abeille, l'escargot racontent à tous ton désintéressement, ta gentillesse ; ces propos bienveillants sont arrivés à mes oreilles, j'ai voulu te connaître et aussi te récompenser. "

" Dieu des Bêtes, je n'ai rien fait de sensationnel, ces fleurs ont été plus utiles à la mésange, à l'abeille et à l'escargot qu'à moi, ce que j'ai fait est tout naturel, je ne mérite aucune faveur, ni récompense ".

" Petit âne gris, ta modestie n'a d'égale que ta gentillesse, malgré ton refus, je te donne un privilège que seul de toutes les bêtes, tu posséderas. "

" C'est trop d'honneur pour moi, Dieu des Bêtes "

" A dater de ce jour, ta bouche sera si dure que tu pourras, sans inconvénient manger les chardons, pourtant bien défendus par leurs épines et leurs piquants. Dès maintenant, tu peux déguster, mieux te nourrir des nombreux chardons qui résistent si bien à a sécheresse. Ne me remercie pas au revoir petit âne gris . "

" Au revoir, Dieu des Bêtes ".

Avec un tantinet d'appréhension, le petit âne gris s'approcha d'un buisson de chardons qui semblait le défier, il prit une feuille garnie de piquants, stupéfaction, la feuille ne blessa pas sa bouche, au contraire, elle était douce et savoureuse, alors goulûment, le petit âne gris avala, les feuilles, la fleur et même la tige du chardon.

Jamais plus une sécheresse aussi sévère s'abattit sur la haute vallée de la Cére, malgré l'herbage abondant, les descendants du petit âne gris se régalent toujours des chardons épineux.

Le petit âne gris en donnant ses fleurs à la mésange, à l'abeille et à l'escargot en se privant généreusement d'une petite friandise a permis grâce à la bonté au Dieu des Bêtes, à toute la race asine, d'avoir un dessert savoureux qu'aucune autre bête leur dispute.


Jean Baptiste Manhes (Printemps 1988)

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