Quant Noë eut accosté sur le mont Ararat et que les eaux se furent retirées, le vieux patriarche libéra toutes les bêtes qu'il avait sauvées du déluge dot le paon et le corbeau. Les deux compères, peu pressés de rentrer, voulant tout voir sur le long trajet du retour, prirent le chemin des écoliers, pour admirer la nature renaissante, après une longue inondation.
- " Comme elles sont belles " dit le corbeau.
Il faut dire qu'à cette époque, le plumage du paon et du corbeau était terne, fade, d'une couleur indéfinissable.Les hommes partis, il ne fallut qu'un coup d'aile pour que les deux amis atterrissent au milieu des pots de peinture et des pinceaux
- " Corbeau, je me bande les yeux, pour mieux savourer ma surprise à la fin de ton travail qui, je sais, sera artistiquement réalisé "
- " Terminé " annonça le corbeau, en débandant les yeux du paon
- " A mon tour maintenant, fais aussi bien que moi, paon ".
Celui-ci, sournoisement passait et repassait le pinceau sur les plumes du corbeau pour prolonger son travail, mais surtout pour l'abuser
- " Crôa crôa " furent les seuls mots que put prononcer le corbeau en découvrant le travail de son compagnon de voyage.
La fureur et l'indignation du corbeau étaient grandes, le paon l'avait enduit, de partout de peinture noire, sans aucun dessin, sans aucun ornement. Le paon, craignant la colère de son compagnon, le laissait se débattre, puis l'abandonna, il partit seul à tire d'ailes. Comment allait-il être accueilli par la faune de son Auvergne natale ? Sûr que les lazzis ne manqueraient pas sur son passage ; Agasse, la pie, aurait tôt fait de colporter la nouvelle dans tout le pays. Sûr que le paon aurait un accueil différent, il le voyait se pavanant devant tous les animaux extasiés, il serait reçu à la cour ; mais orgueilleux et sournois, qu'il était, il tairait le nom de l'artiste responsable de sa nouvelle tenue.
Après deux jours de vol, entrecoupés de courtes haltes, pour reposer ses ailes, le corbeau aperçut le dôme du Puy Griou. Il passa la nuit, sur un sapin de la forêt du Lioran, dès les premiers rayons du soleil, il dirigea ses ailes, vers le palais royal. Le corbeau se posa sur l'aire d'atterrissage en sable fin venant de la rivière toute proche. L'attente du corbeau fut courte, un page roitelet vint le chercher et l'amena dans la salle du trône.
- " Mais, quel déguisement portes-tu corbeau ? "
- " Sire, je viens vous demander justice "
Le corbeau narra son aventure sans omettre un détail, son travail d'artiste sur le plumage du paon, le sabotage du paon qui le laissa noir, désespéré, prêt à mettre fin à ses jours.
- " Corbeau, ton histoire paraît plus véridique que celle racontée par le paon. Il nous a dit, et raconté partout, que Noé, avant son départ de l'arche, avait peint ses plumes, une à une, pour qu'il garde éternellement le souvenir des quarante jours passés en sa compagnie".
Le roi ordonna au chef de sa garde, le Grand-Duc, d'aller chercher le paon, et de le conduire devant lui. En attendant, le roi reprit :
- " Corbeau, je ne peux rien pour toi, toute ta vie ton plumage restera noir, tes descendants aussi, porteront l'habit de deuil. Console-toi, le noir te sied à merveille. Pauvre corbeau, tu as été crédule, le paon t'a berné sournoisement. C'est une dure leçon à l'avenir, méfie toi des flatteurs."
Hélas ! on sait que plus tard, le corbeau qui a la mémoire courte, se laissa prendre aux paroles flatteuses du renard, pour une histoire de fromage.Quelques heures après, le Grand-Duc, au garde à vous, annonça:
- " Sire, le paon est arrivé ".
Quelques instants plus tard, le paon faisait sa révérence, en se relevant, il aperçut son ancien compagnon de voyage. La présence du corbeau le rendit anxieux, perplexe. Son attente fut courte, la voix remplie de colère du Roi tonna dans le palais :
- " Paon tu nous a menti, je connais votre véritable histoire. Par vanité, tous les deux, vous avez voulu modifier les lois de la nature, vous avez réussi, vous et vos enfants porteraient éternellement le plumage que vous vous êtes donné. Toi, paon tu as abusé de la naïveté, de la crédulité du corbeau, orgueilleux tu voulais être le plus beau, tu ne voulais subir aucune concurrence. Tu pourras à ton aise pavaner, car je te condamne à ne plus voler, tu auras tout loisir pour étaler ta parure, devant les hommes qui ne manqueront pas de te cloîtrer dans leurs parcs".
Puis s'adressant au Grand-Duc :
- " Qu'on lui dépointe le bout de ses ailes"
Aussitôt, d'un violent coup de bec, le Grand-Duc exécuta la sentence et mutila le paon. Si vous voyez, un jour, un corbeau survolant un parc ou une cour de ferme, dans lesquels, un paon fait la roue, écoutez les croassements du corbeau.
" CROA , CROA ORGUEILLEUX PAON, JE N'AI PAS TA BEAUTE MAIS JE SUIS DANS L'AlR ET VOLE EN LIBERTE ".
Jean-baptiste Manhes