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Né à Maurs, où il passa sa jeunesse, Albert Seyrolle choisit de devenir marin, puis explorateur, jusqu’aux Iles Kerguelen. Son journal de bord est le seul écrit par un matelot du début du XXe siècle. Orphelin à 11 ans, le petit Albert, aîné de cinq enfants, doit revenir à Maurs.

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Le 15 août 1887, naissait à la Drulhe, commune de Maurs, Albert Seyrolle, de Jean et de Jeanne Bessonies. Ils étaient «frotteurs-cireurs de parquet» à Paris. Les conditions très dures de leur vie entraînèrent la mort de sa mère en 1898 et de son père en 1903, sans doute de la tuberculose, la maladie des pauvres.

Albert l’évoquera sobrement dans son journal de bord, pour l’anniversaire de la mort de sa mère, depuis les Kerguelen : «souvenir de famille. Déjà 15 ans». Son frère aîné étant mort, le jeune garçon se retrouvait le plus âgé des cinq enfants. Orphelin à 11 ans, l'aîné de 5 enfants fut placé, avec toute la frarie, en nourrice à Maurs, chez la soeur de sa mère, auprès de son cousin Marcel qui avait son âge.

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Albert, ayant obtenu son brevet à l’école catholique, ira travailler dans l’étude d’un notaire de Bagnac, alors que Marcel, élève de l’école publique, deviendra instituteur, puis ingénieur des mines.

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La maison natale

Le 15 mai 1905, le jeune maursois décide d’embarquer à Marseille, comme novice, sur « La France » qui fait la ligne France-Amérique du sud, via l’Afrique de l’ouest. Il y restera jusqu’au 19 juillet 1906 comme matelot. Ayant renoncé à sa dispense de service militaire en tant qu’aîné d’orphelins, il devient timonier à Toulon le 22 octobre 1906. Il va naviguer sur le Brennus, puis sur le Hoche et le d’Iberville, devenant matelot puis quartier maître. Il sera affecté à la 3e flottille de sous marins de Méditerranée de juin 1908 jusqu’à sa mise en disponibilité le 27 octobre 1911. Le 12 octobre 1913, alors qu’il vogue vers les Kerguelen, une seule phrase de son carnet de bord donne une indication sur ce qui pousse vers la mer ce Cantalien : « sous la clarté lunaire, j’ai trouvé quelque chose de ce que j’ai entrevu dans mes rêves d’enfant ». Pour savoir ce qu’ont été ces cinq années dans la marine de guerre, il reste quelques évocations dans son journal. Le 26 octobre 1912, il note « congédié il y a un an, je quittais les sous marins de Bizerte. Un commencement d’angoisse me disait que je laissais quelque chose derrière moi ». Le 7 décembre 1913, il parle aussi du «sous marinier Corse Morganti, musicien dans l’âme…sans pareil pour la guitare qu’il faisait rire et pleurer. Cette fameuse guitare que je rendis à sa soeur Berthe après la mort brusque de Morganti que j’aimais ». Jamais, au long des années pendant lesquelles il tient son journal, Albert n’évoquera aucun autre ami. Ni aucun intérêt pour une femme qu’une phrase sur « Berthe, rencontrée aux calanques de Piana. Le beau regard de cette jeune fille honnête pour laquelle je n’ai jamais su si quelque chose est né ou a disparu en moi ». Ce qui le conduisit vers « la mer cette ennemie en permanence » comme il l’écrit le 20 septembre 1913 au départ du Cap qui « est bien le symbole de la perfidité, ne serait-ce que « la solitude morale dans laquelle je vis auprès de laquelle tous les autres maux ne sont rien » ? Il n’a alors que 26 ans, dont déjà neuf passés en mer.

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La candidature d’Albert Seyrolle est acceptée par Raymond Rallier du Baty, pour son expédition vers l’antarctique «à la recherche des îles peu connues, ou désertes, ou ignorées, quasi chimériques» comme l’annonce «L’illustration», l’un des plus grands journaux de l’époque.

Dès le premier jour, le 15 juillet 1912, Albert, le matelot dessinateur, tient son journal. Sur la «Curieuse», voilier de 21 mètres, ils sont huit : trois officiers, quatre matelots, dont Seyrolle, et un cuisinier. Les journées sont faites des quarts passés sur le pont et des corvées de nettoyage et d’entretien. Les escales seront nombreuses, en Afrique et en Amérique du sud, avec de fréquents changements de marins, des pannes et des tempêtes. Albert Seyrolle, plus instruit que les autres matelots, mais séparé hiérarchiquement des officiers, va souffrir de cette position intermédiaire «la solitude morale est chez moi toujours la même, personne avec qui je puisse échanger mes idées» note-t-il le 10 janvier 1913 à Rio de Janeiro. Le 16 juin, après une succession de tempêtes, «l’eau suinte partout, y compris dans nos couchettes». L’escale du Cap, en juillet, permettra «la première toilette depuis 58 jours». Après un mois de navigation dans le sud de l’océan indien «fuyant devant les grains de neige et de gel, sans abri sur le pont pendant nos quarts dans le froid, la fatigue et l’humidité », la Curieuse arrive aux Kerguelen le 22 octobre 1913. «Nos effets et nos matelas pourrissent peu à peu» note Albert qui décrit l’archipel «ce n’est pas encore l’épouvantable vision d’un monde figé dans la mort, mais c’est quelque chose de très approchant». Il faut dire que les Kerguelen ne jouissent pas d’une situation agréable. Les températures ne varient que de -1° à 10° «avec la sacro sainte pluie habituelle, éternelle, le vent jusqu’à force 12, la neige, la glace, la brume, la grêle…les glaciers gigantesques aperçus et l’oppression des îles où ne pousse aucun arbre». Albert Seyrolle, pendant les six mois et demi du séjour, aidera les officiers pour les sondages, les relèvements topographiques, l’hydrographie, les prélèvements d’animaux, les relevés météo, les films et les photos. Il élaborera la carte et réalisera d’excellents dessins d’animaux. Ses compagnons se moquent de sa passion pour le dessin «dieu que d’intellectualité ici !» relèvera-t-il. Même s’ils continuent à vivre à bord, les marins travaillent aussi à terre. Ils découvrent «partout sur l’île des tombes d’Anglais, d’Allemands, de Français bien sûr, mais aussi de Chinois». Le 8 mai 1914, la Curieuse quitte l’archipel après six mois et demi d’activités scientifiques. Le 20 mai c’est l’île Amsterdam avec «des arbres !» Le 8 août, en Australie, «nous apprenons des bruits de guerre. Nous en avions assez causé dans les Iles Froides. Pour ma part je ne crois pas avoir la chance d’être rappelé aux sous-marins». Le bateau est mis en carénage à Sydney sous la garde d’Albert resté seul «la guerre est la cause que la mission est interrompue» notera-t-il en point final le 24 décembre 1914. Matelot sur «le Pacifique», puis sur «le Sontay», le jeune Maursois rentrera en France le 27 décembre 1915. Il rejoint alors ses chers sous-marins à Toulon, le 2 février 1916, comme quartier maître timonier. Participant à toutes les opérations de l’armée navale pendant deux ans, il est victime, avec une partie de l’équipage, d’intoxications dues à des émanations d’hydrogène arsénié, lors d’une plongée de longue durée. Hospitalisé à Corfou, il est réformé le 16 octobre 1918. Il décède le 6 octobre 1919 à l’hôpital de la Charité, à Paris. Il n’avait vécu que 32 années, dont 15 passées en mer.

L’un de ses huit neveux, Albert Seyrolle, conseiller municipal maursois, qui a toujours vécu près de la Drulhe, dit son émotion lors de la découverte de tous les souvenirs de son oncle. «C’est Marie Thérèse Albouy qui l’a fait reconnaître en préparant une exposition à Maurs». L’institutrice retraitée ne cache pas son admiration lors de la lecture du carnet de bord de son compatriote «je suis heureuse de l’avoir rencontré au travers de son journal».

seyrolle5Marie Thérèse Albouy et Albert Seyrolle à la Drulhe

Raymond Rallier du Baty, devenu aviateur de 1914-1918, écrira le 5 mai 1920 : «C’est aujourd’hui que j’apprends la mort d’Albert Seyrolle. Quel beau caractère était celui de votre frère ». 

Texte de Jean Claude Champeil extrait de son livre Des Vies Cantaliennes

 

 

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